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En Pologne, un vent de révolte souffle dans le pays

Des slogans et les cintres, le symbole de la lutte pour l'avortement légal.

Des slogans et les cintres, le symbole de la lutte pour l’avortement légal © Zuza Gałczyńska / Unsplash

Le 22 octobre 2020, le Tribunal constitutionnel polonais déclare l’avortement pour « malformation grave et irréversible » du fœtus ou « maladie incurable ou potentiellement mortelle » inconstitutionnel. Cette décision a provoqué une vague de manifestations inédite dans tout le pays, une menace pour le pouvoir en place.

Tandis que les médias sont obnubilés par les élections américaines et par la pandémie du coronavirus, le droit des femmes est à nouveau dans le viseur du gouvernement national-conservateur Droit et Justice (PiS, en polonais). L’avortement est une fois de plus pris pour cible, rappelant les manifestations qui avaient eu lieu dans le pays en 2016 et 2018 en réaction au projet de loi qui visait à en restreindre l’accès.

La loi sur l’IVG en vigueur en Pologne était déjà l’une des plus restrictives en Europe. La nouvelle décision prise le 22 octobre par le Tribunal constitutionnel, sous la mainmise du parti PiS, revient à délégaliser 98 % des quelques 1 100 avortements légaux recensés à cause d’une malformation du fœtus chaque année. En réalité, des estimations portent à plus de 200 000 les cas d’IVG réalisés clandestinement ou à l’étranger par les Polonaises. Désormais, il ne sera permis d’avorter qu’en cas de viol ou d’inceste et sur autorisation d’un juge.

Un mouvement de protestation inédit

La réaction de la population polonaise face à ce nouveau coup de massue sur le droit des femmes a été sans précédent. Depuis fin octobre, la Grève des Femmes (Strajk Kobiet) a déferlé dans tout le pays, mobilisant des centaines de milliers de femmes et d’alliés à leur cause. Il s’agit d’un mouvement intergénérationnel que les jeunes, qui se montraient jusqu’alors «  indifférents  » à la vie politique rejoignent, selon Marta K., une jeune cadre polonaise de 28 ans. D’autant qu’il ne se limite pas aux grandes villes, comme à l’accoutumée : cette fois-ci la protestation mobilise jusqu’aux villages polonais plus conservateurs.

Une convergence des luttes s’est opérée au sein du Strajk Kobiet pour incorporer les groupes de défense des droits des personnes LGBTQI+, également attaquées par le gouvernement PiS et l’Église catholique notamment pendant la dernière campagne présidentielle. Les prises de position d’Andrzej Duda qui considère «  l’idéologie LGBT  » comme un «  néo-bolchévisme  », en référence à l’idéologie communiste qui était imposée pendant la guerre froide, avaient marqué les élections. Le Strajk Kobiet a été créé par une avocate et activiste pour la reconnaissance des droits sociaux, notamment des femmes, des handicapés et des personnes LGBTQ+.

Le mouvement se distingue par des vagues de solidarité unique et sans précédent. Par exemple, les Ukrainiennes sont sorties massivement dans la rue au côté des femmes polonaises. De même, on observe des mouvements de soutien au Strajk Kobiet dans des villes de nombreux pays européens notamment en Allemagne, en Suède ou en Norvège qui permet de donner de la visibilité à leur combat.

To jest Wojna («  C’est la guerre »)

L’ampleur de ces manifestations a été telle qu’elle a conduit le président polonais, Andrzej Duda, à reporter l’entrée en vigueur de la décision du Tribunal. S’il a affirmé avoir entendu les craintes des Polonaises, il a proposé une solution de compromis, d’emblée rejetée par l’opposition et qui ne convient pas non plus au gouvernement.

Les manifestants ne sont pas dupes, cette tentative de compromis n’est qu’un leurre pour temporiser les débats. Face aux propos d’Andrzej Duda, ils trouvent ceux de Jaroslaw Kaczynski, chef politique du parti PiS et véritable dirigeant de l’État, qui les accuse, lui, de «  détruire le pays  », des propos qui semblent refléter l’avis du gouvernement.

Le slogan est clair  : «  To jest Wojna  » (trad. c’est la guerre) et prend le visage d’une femme « la révolution est une femme – une Polonaise  ». C’est une réponse au phénomène de marginalisation et de dévalorisation des femmes dans la sphère publique et privée. Par conséquent, leurs revendications ne se limitent pas à la question du droit à l’avortement. Elles veulent une Pologne pour tous, respectueuse des droits des minorités  ; des droits reproductifs ; l’application de la Convention d’Istanbul, un traité sur les violences faites aux femmes dont la Pologne a annoncé vouloir se retirer en juillet dernier  ; et enfin le Strajk Kobiet cherche à mettre en place un «  État sans superstition  » dans un pays où l’éducation sexuelle à l’école a été visée par un projet de loi de criminalisation.

Une profonde remise en cause du rôle de l’Église

Face à une montée en puissance de ce que certains appellent du fondamentalisme ou de l’obscurantisme religieux, une volonté de séparer le politique du religieux émerge. Pour Marta K., les jeunes polonais commencent tout juste «  à remarquer l’influence de l’Église sur la politique  » et «  ne veulent plus de cette ligne conservatrice.  »

Dans un pays où il est presque unanimement admis que l’Église catholique est très influente sur le pouvoir, Agnieszka, une sexagénaire Polonaise qui vit en France, estime qu’on assiste à un «  affaiblissement de son autorité morale et de son capital de confiance auprès de la population.  » Ce phénomène s’explique par la révélation des scandales de pédophilie au sein de l’Église au grand public notamment par le long métrage Kler (« Clergé ») sorti en 2018 et des documentaires des frères Siekelscy Nie Mov Nikomu («  Surtout ne le dit à personne  », 2019) et Zabawa w chowanego («  Jeu de cache-cache  », 2020), tous visionnés par des millions de Polonais.

La sécularisation est en marche depuis quelques années en Pologne et elle risque de s’accentuer par la radicalité des positions de l’Église et de sa proximité avec le pouvoir. L’institution a pourtant été historiquement présente dans de nombreux mouvements de contestation ou d’opposition au pouvoir. Désormais, elle a changé de positionnement vis-à-vis de la société civile, jouant le rôle de soutien au gouvernement.

Pour Agnieszka, qui observe de manière désabusée la situation politique en Pologne se détériorer depuis l’ascension de PiS au pouvoir, «  cette vague de protestation redonne de l’espoir.  » Elle explique que «  ces manifestations permettent de dépasser le clivage existant  » dans le pays qui consiste généralement à structurer la société entre une Pologne nationaliste, conservatrice, et rurale et une autre, pro-européenne, libérale et urbaine.  

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