MUSIQUE

SAULT – Noire symphonie

© pochette SAULT – Untitled (Rise)

Le problème a beau exister depuis des siècles, on ne devrait jamais s’en accommoder et ce, plus que jamais en 2020, où l’on prend la pleine mesure du libre arbitre de l’homme, avec un racisme qui ressurgit terriblement. Loin d’être le premier à porter le fardeau, le mystérieux collectif de néo-soul SAULT – qui sortait il y a quelques jours son 4ème album Untitled (Rise) – semble bien décider à y mettre un terme, et faire résonner ce message : plus jamais. Portrait.

Mystère en quatre temps

Zéro information, zéro live, zéro vidéo, zéro interview, c’est principalement ce qui ressort quand on se lance aux trousses du collectif, qui a fait surface il y a 18 mois de cela. Peut-être a-t-on affaire ici à une énième stratégie de maison de disque, visant à jouer la carte de l’anonymat ? L’histoire semble trop mince pour qu’il s’agisse de cela. En creusant un peu, le mystère n’est pas si épais, il est presque résolu. Étape par étape, on découvre sur à la copie vinyle de leur premier album 5 le nom du producteur inscrit à l’arrière : Inflo (Dean Josiah Cover), un producteur britannique qui a bossé avec quelques sujets de la reine tels que Little Simz, Jungle ou encore Michael Kiwanuka. Rien que ça. On commence doucement à saisir d’où l’essence musicale de SAULT émane. 

Egalement crédité sur la pochette, le label Forever Living Originals, nous amène lui droit vers la chanteuse soul Cleopatra Nikolic aka Cleo Sol, seule artiste au compteur sur le bandcamp et facebook de la maison. La native de Londres a d’ailleurs déjà collaboré avec Little Simz (sur le titre Selfish). En comparant les voix, on comprend vite ; Cleo Sol est l’une des deux voix féminines du projet – d’autant plus qu’on trouve sur l’album Untitled (Black Is) un sample de son titre en solo Young Love. La troisième roue du carrosse – on peut remercier la plateforme TIDAL d’être si précise – inscrivant le nom de Melissa Young, plus communément, Kid Sister, rappeuse de Chicago, qui a elle aussi signé l’an dernier le titre Long Way Back sur ce même label. Enfin c’est un certain Kadeem Clarke, musicien dont on ne sait pas grand chose, si ce n’est que c’est un des compositeurs et paroliers du collectif, et qu’il travaille également avec Michael Kiwanuka.

Le mystère est levé mais les questions subsistent. Si l’anonymat n’est clairement pas un objectif – beaucoup trop de pistes pour que ce soit le cas – quid de la stratégie ? La musique, le message d’abord ?

Héritage & Black Music

Facile à lire, la musique de SAULT porte avec elle une délicieuse nostalgie. A travers quatre albums, on découvre un mélange infini de genres, nuances de ce qu’on appelle la black music. Un terme que certains progressistes décriraient aujourd’hui comme malsain quand il fait de toute évidence partie de son héritage, et qu’il est important de rendre à César ce qui est à César : soul, R&B, disco, funk, hiphop, afrobeat, gospel, blues et beaucoup plus encore. SAULT puise pour ainsi dire sa force via ses ainés et dans presque un siècle d’héritage musical.

«  Après quatre cents ans de servitude liée à l’une des plus grandes tragédies humaines, la terreur raciale a laissé place à une immense explosion de créativité et de liberté, que la musique depuis lors n’a eu de cesse d’exprimer. Ces musiques noires façonnent la culture populaire mondiale et transcendent toute conception ethniciste ou nationaliste.  »

Marc Benaïche, commissaire de l’exposition Great Black Music à la Cité de la Musique, en 2014

Ce qui force ici le respect, c’est la qualité folle dont les albums du collectif font preuve. Quatre albums en moins de deux ans, pas une bavure, aussi différents soient-ils dans l’approche ; ils sont impeccables. Être un bon producteur c’est une chose mais composer avec son temps en est une autre, et force est de constater qu’Inflo est dans l’air du temps avec des productions cohérentes, précises, et qui répondent à l’actualité. Car si les deux premiers albums, 5 et 7 – dont la signification reste un mystère – sortis en 2019, n’arboraient pas spécialement de message, c’est tout l’inverse de ceux sortis en 2020, à savoir Untitled (Black Is) et Untitled (Rise)

«  Take off your badge, We all know it was murder  »

(Enlève ton badge, on sait tous que c’était un meurtre) 

extrait des paroles de Wildfires de SAULT

Plus jamais

«  Little boy, when you get older.. you can ask me all the questions, and I’ll tell you the truth about the boys in blue.  » (Mon garçon, quand tu seras plus grand, tu me pourras me poser toutes tes questions, j’te dirai la vérité sur les garçons en bleu) entend-on sur le titre Little Boy. Déjà porte-parole d’un héritage conséquent, le collectif répond ici aux nombreuses violences policières qui ont eu lieu envers les noirs, notamment cette année. On ne sait pas trop d’ailleurs si Untilted (Black Is), sorti en juin 2020, est sorti spécifiquement en réaction au meurtre de George Floyd (25 Mai 2020), et si Untitled (Rise) est sorti dans le même schéma, trois semaines après le meurtre à bout portant de Jacob Blake (fin août 2020), dans le Wisconsin. Le groupe avait notamment posté sur son site “RIP George Floyd and all those who have suffered from police brutality and systemic racism. Change is happening…We are focused.” (RIP George Floyd et toutes les personnes ayant souffert des violences policières et du racisme ambulant. Le changement arrive… On est déterminés).

Et ce changement, c’est le message que SAULT veut faire résonner, sur le titre Stop Dem notamment, «  Ain’t nothing gonna keep us silent  » (rien ne nous fera nous taire)Sur l’album Untitled (Black Is), le collectif accentuera cette dimension porte parole au travers de quelques titres en spoken word, aux allures de discours, accompagnés sobrement de choeurs ou de notes de synthés. Sur This Generation, c’est une certaine Laurette Josiah, fondatrice d’une association pour enfants dans le nord de Londres, qui prendra le micro. «  It’s time to wake up (…) we have walked insilence, wehave expressed ourvoices, people have died (…) nobody listened, nobody cared  » (Il est temps de se réveiller (…) nous avons marché en silence, nous avons exprimé nos voix, des gens sont morts (…) personne n’a écouté, personne ne s’en est soucié) avant de conclure d’un ton affirmé «  this generation cares  » (aujourd’hui ils s’en soucient).

«  Worship the skin I’m in ’cause I love my colour, Gotta fight, gotta fight  »

(J’adore la peau dans laquelle je suis parce que j’aime ma couleur, je dois me battre, je dois me battre)

extrait des paroles de Strong de SAULT

SAULT opère ainsi en deux temps, dénonçant d’abord sur Untitled (Black Is) les monstruosités policières, le racisme et les discriminations ; quand sur le dernier venu Untitled (Rise) on sent plutôt un vent d’espoir. Ce tournant s’opère dès le premier titre Strong, déjà fort en bouche et qui prend beaucoup de caisse à travers ses percussions frappantes, et ces quelques mots martelés tout le long «  Gotta fight, gotta fight  » (il faut se battre, il faut se battre). On ne sait pas quel sera leur prochain mouvement, tout ce que l’on sait pour l’instant c’est que le collectif reversera l’intégralité des ventes physiques à des associations pour les droits de l’homme et la lutte anti-raciste. Les versions digitales sont elles, en téléchargement libre, permettant ainsi à n’importe qui d’entendre le message.

Finalement, on se fiche pas mal de savoir qui sont les SAULT. Ce qui prime ici, ce ne sont pas les noms qu’on lui rattache mais l’intention et la force que les artistes injectent dans le projet. Et s’il parait difficile d’imaginer que SAULT changera la face du monde, leurs disques auront au moins la particularité d’être sincères sur l’urgence du propos dont il est question.

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