La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, après modifications, une proposition de loi sur l’accès à l’IVG. Parmi les mesures proposées, un allongement du délai légal de recours à l’avortement de 12 à 14 semaines de grossesse qui ne fait pas consensus.
La proposition de loi a été portée par la députée Albane Gaillot du groupe EDS (Écologie, Démocratie, Solidarité). Elle fait suite à un rapport d’information de la Délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France. Après son vote en première instance à l’Assemblée nationale le 8 octobre, à 86 voix contre 59, le texte doit être examiné par le Sénat début 2021 avant de pouvoir être promulgué.
Des revendications à caractère d’urgence
Le rapport d’information sur lequel le texte s’appuie met en avant de fortes disparités territoriales liées au nombre d’établissements de santé et de praticiens. Selon les rapporteurs, ces disparités « ont des conséquences sur les conditions d’accès à l’IGV et sur les délais d’obtention des rendez-vous, ainsi que sur la liberté de choix de la méthode par les femmes. »
Le Planning familial souligne par ailleurs que ces 15 dernières années, 130 centres IVG ont été fermés. Si les associations féministes militent depuis longtemps pour un renforcement de l’accès à cette procédure, la crise sanitaire n’a rendu leurs demandes que plus urgentes. La Covid-19 a, en effet, porté un coup à un système de santé déjà largement fragilisé. Il s’agit d’une menace pour les droits reproductifs qui pourraient se voir relayés au second plan.
L’enjeu central de la proposition est la question des délais. De fait, le nombre de demandes d’IVG hors délai a connu une hausse spectaculaire au sortir du confinement. On estime d’ailleurs que chaque année, entre 3 000 et 5 000 femmes se voient forcées d’avoir recours à l’IVG à l’étranger, donc à leurs frais, parce qu’il leur est trop tard pour le faire en France. Dans certains pays européens, le délai légal pour avorter permet plus de souplesse aux femmes qui découvrent tardivement une grossesse non désirée. On peut avorter jusqu’à la 14ème semaine de grossesse en Espagne et en Autriche, jusqu’à la 18ème semaine en Suède, jusqu’à la 22ème aux Pays-Bas et la 24ème au Royaume-Uni.
Pour palier les difficultés de prise en charge, le texte prévoit également d’octroyer aux sages-femmes, qui peuvent déjà pratiquer des IVG médicamenteuses, le droit de réaliser des IVG chirurgicales jusqu’à la 10ème semaine de grossesse. Enfin, le délai de réflexion de deux jours qui suit un entretien psychosocial pour confirmer une IVG se verrait supprimé, une mesure qui écourterait la démarche à suivre.
De nouvelles mesures controversées
Au sein de l’hémicycle, le texte a été discuté dans une atmosphère tendue. Les deux camps qui s’opposent se revendiquent tous deux de la loi Veil, qui a consacré la dépénalisation de l’avortement en 1975 mais ce sont les nouvelles mesures qui ne créent pas l’unanimité. Face à un sujet qualifié de « sensible » par le ministre de la Santé Olivier Véran, le gouvernement a d’ailleurs saisi le Comité consultatif national d’éthique qui doit rendre son avis sur la question en novembre.
L’IVG, en tant qu’acte médical, serait aujourd’hui peu considérée et insuffisamment rémunérée, et ce malgré des revalorisations forfaitaires en 2008 et 2009. Les opposants à la mesure d’allongement du délai légal craignent qu’elle ne dissuade encore davantage les médecins de réaliser des IVG chirurgicales. À partir de la 12ème semaine de grossesse, la méthode de l’IVG par aspiration n’est en effet plus possible et l’acte requiert la maîtrise de nouveaux gestes, auxquels il faudrait former ces médecins. Selon l’Académie de médecine, qui s’est dite opposée à cette mesure, l’intervention au-delà de la 12ème semaine constitue une manœuvre potentiellement dangereuse. L’institution, à laquelle on a déjà reproché son conservatisme, recommande plutôt d’améliorer la prise en charge dans des délais moindres.
Empêcher l’entrave à l’IVG
Un tiers des femmes ont recours à l’IVG au moins une fois dans leur vie. Il s’agit, en théorie, d’un droit pour chacune, mais bien qu’illégales, les entraves à l’IVG continuent d’exister. Pour y faire face, l’une des mesures adoptées prévoit de supprimer une concession faite aux opposants à la Loi Veil : « la clause de conscience » spécifique à l’IVG qui permet à un médecin de refuser de la pratiquer. Dans les faits, il sera toujours possible de refuser puisqu’il existe en médecine une clause de conscience générale, mais les réfractaires auront l’obligation de communiquer à la patiente le nom d’un collègue qui acceptera de la prendre en charge. L’objectif de cette mesure est de faire que l’IVG soit bien perçue comme « un acte de santé comme un autre », tel que le défend Albane Gaillot.
Dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale, les députées Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti soulignent « la résurgence de mouvements politiques anti-avortement » ces dernières années, lesquels tentent de revenir sur ce droit pourtant reconnu comme fondamental. Depuis 2014, empêcher l’information sur l’avortement ou sur les consultations qui lui sont préalables constitue pourtant bien un délit. La loi sanctionne les auteurs de sites internet qui diffusent des informations orientées pour dissuader les personnes concernées d’avoir recours à l’avortement, mais certains apparaissent toujours parmi les premiers résultats des moteurs de recherche. Pour accéder à des informations claires, il existe un site gouvernemental sur l’IVG, ainsi qu’un numéro vert anonyme et gratuit (0800 08 11 11) qui permet d’obtenir de l’aide.