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Deux fois par mois, la rédaction se dédie entièrement au « petit écran » et revient sur une série pour la partager avec vous. Toutes époques et toutes nationalités confondues, ce format vous permettra de retrouver vos séries fétiches… ou de découvrir des pépites. Ce lundi, c’est au tour de The Umbrella Academy, une série où le fantastique et l’absurde se mêlent afin de combattre à la fois l’apocalypse et les problèmes familiaux.
Développée par Steve Blackman pour la plateforme de streaming Netflix en 2019, The Umbrella Academy, compte actuellement deux saisons de 10 épisodes chacune, produites par Borderline Entertainment, Dark Horse Entertainment et Universal Cable Productions. Adaptée des bandes-dessinées éponymes créées par Gerard Way et Gabriel Bà et diffusées par Dark Horse Comics, la série rencontre un franc succès auprès de la communauté Netflixienne, puisque chaque saison est restée dans le Top 10 des meilleures séries plusieurs mois après sa diffusion.
Dysfonctionnelle, décalée et poignante, The Umbrella Academy, aborde les relations familiales d’un point de vue apocalyptique.
L’excentrique millionnaire Reginald Hargreeves ne finit pas de surprendre le monde. Alors que dans le monde entier plusieurs enfants naissent le même jour, au même moment, dans de mystérieuses circonstances, il décide d’en adopter (et par là entendez acheter), sept d’entre eux. Le but ? Créer une académie, l’académie Umbrella, réunissant des enfants exceptionnels, désignés par des chiffres : de Number One à Number Seven.
Trente ans plus tard, la fratrie Hargreeves est bien loin des golden children que leur père espérait. Des adultes dont l’enfance et l’éducation ont été rythmées par leurs différentes aptitudes, contribuant donc à modeler ceux qu’ils sont devenus : ainsi Allison, dont le pouvoir de persuasion se révèle mortel, est habituée à toujours obtenir ce qu’elle veut. Jusqu’au jour où elle commence à en payer le prix. Luther, Number One, vit dans l’ombre de son père, et n’a jamais quitté le manoir familial, trop soucieux de remplir son rôle de chef de famille. Tous les autres se sont enfuis, ou bien sont morts, disparus. La famille Hargreeves n’est plus.
Cependant, la fratrie est obligée de se réunir lorsque leur patriarche, en décédant de manière mystérieuse, ouvre une enquête qui dépasse vite le « simple » meurtre, et qui inclut une société gouvernementale secrète, un complot familial, un voyage temporel et, occasionnellement aussi, la fin du monde. Dans 8 jours.
Une histoire de famille
Outre les questions apocalyptiques et autres, la série est volontairement axée sur les relations familiales. Depuis leur enfance, les frères et sœurs Hargreeves ont été mis en compétition les uns contre les autres par leur père adoptif. Ce climat a favorisé une méfiance générale, et l’exclusion de certains membres, à l’instar de Vanya (Number Seven), qui ne semble avoir développé aucun pouvoir. Même lorsqu’ils se retrouvent, des années plus tard, leurs relations difficiles sont ponctuées de malentendus comiques qui vont compliquer leurs actions collectives contre la fin du monde.
Chaque personnage est attentivement travaillé, afin que les caractères ressortent avec brillance, permettant ainsi de n’avoir pas seulement un protagoniste, mais bien sept. Ainsi Luther (Number One, Tom Hopper), est caractérisé par son physique imposant, mais par un caractère docile et peu affirmé. Tout l’inverse de Diego (Number Two, David Castañeda), dont l’habilité à contrôler et diriger les objets métalliques l’a rendu arrogant et affamé de justice populaire. Allison (Number Three, Emmy Raver-Lampman), dont nous avons parlé plus haut, a vécu dans un monde parfait jusqu’au moment où son pouvoir lui a fait perdre la garde de sa fille. Klaus (Number Four, Robert Sheehan), dont l’habilité est celle d’invoquer les morts, a fui son pouvoir toute sa vie, s’enfermant dans une sphère d’alcool et de drogue afin d’endormir son esprit. Five (Aidan Gallagher), le petit numéro cinq, dont l’arrogance lui a valu de se retrouver coincé dans le futur, représente le pivot de la famille, en ce que c’est lui qui apporte la nouvelle de l’apocalypse et qui, concrètement, a moins de traumatismes d’enfance. Ben (Number Six, Justin H. Min), est décédé de par la trop grande force de son pouvoir : il apparaît néanmoins régulièrement dans la série. Et Vanya (Number Seven, Ellen Page), finalement, sans pouvoirs, exclue depuis toujours de la famille, est le personnage-clé de la série : son évolution au cours de la saison marque le rythme de l’histoire.
La figure du père, qui n’apparaît que par des flashbacks, permet ainsi d’expliquer le dysfonctionnement de chaque enfant, et de rajouter quelques pièces au puzzle. La figure de la mère, (littéralement) éternellement jeune et souriante, contribue à rendre ce tableau ubuesque au possible.
Ainsi, on ne choisit pas sa famille, et The Umbrella Academy nous le montre bien. Cependant, la série montre aussi que, face à l’adversité, les liens finissent toujours par ressurgir, même si on les croyait brisés.
De la fantasy finement ciselée
Le monde de The Umbrella Academy oscille entre réalisme et absurde. Ainsi, les personnages évoluent à une époque qui pourrait être la nôtre, à quelques exceptions près, bien qu’ils soient complètement déconnectés de tout évènement politique, social ou économique. La prédiction de l’apocalypse, en plus des pouvoirs de la fratrie, ajoute une dimension fantastique à l’histoire, évidemment, mais toujours de manière très subtile. Ainsi peu de fioritures ou d’effets spéciaux tapageurs, mais une normalisation de l’extraordinaire. Les pouvoirs mêmes des Hargreeves ont tous un côté « terre à terre », qui s’éloigne fortement de l’univers des super-héros classiques : pas de lasers avec les yeux ou de changelins, mais des pouvoirs qui ont des inconvénients et, surtout, des conséquences.
De même les personnages secondaires tels que Pogo, le majordome-chimpanzé et Grace (Jordan Claire Robbins), la maman-robot, illustrent parfaitement l’équilibre précaire de la série, prête à basculer à tout moment d’un côté ou de l’autre.
Côté méchants, les assassins voyageurs du temps Hazel (Cameron Britton) et Cha-Cha (Mary J. Blige), sont la parfaite combinaison entre mercenaires super galactiques et fonctionnaires blasés : et le voyage dans le temps, matérialisé grâce à une mallette, est introduit avec simplicité et « réalisme » dans l’histoire.
De l’humour dans la tristesse
Objectivement, la série ne raconte pas une histoire joyeuse. On y voit constamment des disparitions, des morts, une fin du monde, et on y affronte le deuil, l’amour perdu et les traumatismes d’enfance. Cependant, ces sujets sont nuancés avec une bonne dose d’humour décalé, pour lequel certains personnages sont pivots : ainsi il faut saluer la prestation de Klaus (Robert Sheehan) qui, sous couvert d’un aspect de toxicomane, aborde chaque sujet avec une légèreté déconcertante qui nous pousse, nous, à du recul. De même l’absurdité des relations entre frères et sœurs permet de relativiser le reste : s’ils sont capables de s’engueuler au milieu de la fin du monde, c’est que tout ira bien, n’est-ce pas ?
Il convient également de saluer la performance prenante de Aidan Gallagher (interprète de Five), qui à 16 ans réussit à captiver le monde entier en jouant un génie de 60 ans dans la peau d’un gamin de 13.
De même le jeu d’acteur de différents personnages secondaires, à l’instar de Hazel, Cha-Cha ou même The Handler (Kate Walsh), est construit sur une base comique et absurde. Il y a donc une certaine ambiance générale joyeuse au milieu d’évènements tragiques. On y retrouve ainsi un style qui devient de plus en plus prisé au sein des séries télé, celui du tragi-comique, tragique dans les faits, comique dans les actions. Cela contribuant à donner à la série une ambiance décalée, et pourtant feel-good.
Des aspects techniques à saluer
D’un point de vue technique, l’accent est mis sur la musique, extrêmement variée que ce soit dans le genre ou l’époque, afin de faire ressortir au mieux l’état d’esprit de la série. Ainsi, il est possible de retrouver de l’opéra ou du Beethoven et, la minute d’après, de vieux tubes des années ’80 ou bien des succès des années 2000. La variété musicale est bien travaillée, et permet de s’identifier aux personnages et à l’action de manière plus aisée.
Concernant la photographie, la mise en valeur de certaines scènes par des effets visuels, gérés par l’entreprise Spin VFX, offrent un rendu spectaculaire sans pour autant être exagéré.
Ces aspects techniques appréciables permettent également de contrebalancer certains bémols de la série. Ainsi, en particulier dans la saison 2 l’histoire, qui déjà oscille entre plusieurs espace-temps et implique des protagonistes d’époques différentes, atteint un nouveau niveau d’absurde qui cette fois passe moins bien. Il contribue tout au plus à confondre le spectateur, et gagnerait à être davantage développé pour qu’on puisse l’accueillir de manière plus digeste.
De même certaines incohérences dans les comportements des personnages, bien que visant à faire avancer l’histoire dans une certaine direction, peuvent sembler trop « évidentes » pour en faire abstraction.
Côté critique, la ressemblance selon certains avec la franchise X-Men de Marvel Studios nuit à l’image de la série, puisqu’il apparaît compliqué de ne pas faire de rapprochements. Cependant, d’un point de vue général, la réception par le public est extrêmement positive, et les côtes de popularité sur les sites de critiques sont pour la plus grande majorité relativement hautes.
Regarder The Umbrella Academy – ou plutôt la binge-watcher – revient à passer constamment de la surprise à l’incompréhension, du rire à la peur et, parfois, aux larmes. La série est un tableau émouvant des relations familiales dans un environnement absurde, et réussit à nous faire nous identifier à chaque personnage. Prouvant que, quelque part, on a tous au moins un peu de Hargreeves en nous.