CINÉMA

La Roche-sur-Yon 2020 – « Summertime » : L.A. melody

Raul Herrera, Jason Alvarez, Benet Benton, Amaya Blankenship, Tyris Winter, Gordon Ip, Lydia Ip, Maia Mayor, and Marquesha Babers appear in Summertime by Carlos Lopez Estrada, an official selection of the NEXT program at the 2020 Sundance Film Festival. Courtesy of Sundance Institute | photo by John Schmidt. All photos are copyrighted and may be used by press only for the purpose of news or editorial coverage of Sundance Institute programs. Photos must be accompanied by a credit to the photographer and/or 'Courtesy of Sundance Institute.' Unauthorized use, alteration, reproduction or sale of logos and/or photos is strictly prohibited.

Film d’ouverture au dernier Sundance, prix du public au dernier Festival de La Roche-sur-Yon, Summertime résonne comme un cri du cœur d’une justesse bouleversante. Le film dépeint une fresque humaniste sur Los Angeles dans laquelle ses habitants slament leurs histoires. Carlos López Estrada signe une œuvre à la saveur authentique qui aborde intelligemment la lutte des classes. Une profonde réussite.

Lors d’une chaude journée d’été, les quotidiens de vingt-cinq jeunes, habitant Los Angeles, s’entrecroisent. Un graffeur qui marque les rues de son nom, une guitariste en skate qui chante ses soucis à la mer californienne, deux rappeurs de rue qui rêvent de célébrité, un salarié de fast-food qui slame son ras-le-bol devant ses clients : tous les personnages entrent et sortent dans les histoires des autres en laissant se dérouler le récit filmique devant nos yeux ébahis. Une sorte de ballet théâtral magnifiquement chorégraphié et dans lequel, pourtant, tout semble spontané ou improvisé. À travers des poésies sublimes – à imprimer pour les lire et les relire – chacun, chacune exprime ses peines de cœur, ses joies de vivre, ses douleurs familiales, ses peurs et ses espoirs. Summertime : seul le titre manque de piment, unique reproche à faire au film.

Summertime apparaît comme l’un de ces nouveaux récits inouïs qui peuvent fédérer le grand public et la critique, tout en transmettant plein d’espoir pour le futur. De l’espoir pour notre futur, mais surtout le futur du cinéma. Il serait bon d’espérer découvrir de prochains films qui, comme Summertime, envoûtent dans cette capacité à conjuguer la politique et la fiction, dans un esprit de grande modernité. Bien consciente de l’époque dans laquelle elle s’inscrit, la comédie slamée est abreuvée des luttes sociales, en plus de proposer une mise en scène originale, un montage clipesque et des dialogues à couper le souffle. La sincérité qui transpire de ses pores filmiques, c’est celle du cinéaste et de son beau casting, une vingtaine de rappeurs, poètes et artistes en tout genre, provenant de Literary Riot inc. Les membres du collectif incarnent des jeunes anonymes Angelenos dont les vies vont s’entrechoquer à coups de flows ravageurs. L’authenticité de cette pépite découle aussi du parcours extraordinaire de son réalisateur. Effectivement, Carlos López Estrada, outre avoir réalisé Blindspotting, un drame brutal et poétique sur un repris de justice, est à l’origine de nombreux clips aux millions de vues, ayant grandement été partagé pour leurs concepts innovants et perturbants (When the Party’s Over de Billie Eilish ; Kangaroo Court de Capital Cities). On retrouve un doux mélange de toutes ces trajectoires dans Summertime.

L’écoute des opprimé.e.s

L’ouverture de la parole est souvent confondue avec l’ouverture de l’écoute. Les personnes opprimées ne demandent qu’à libérer leur expression, c’est la majorité oppressive qui ne veut pas ouvrir ses oreilles. Summertime représente toute la beauté du geste de l’écoute pleine, un espace d’écoute infini de toute la diversité que constitue Los Angeles. Il faudrait retrouver le script pour redécouvrir tous les textes écrits par ce collectif de jeunes, comme si une seule vision n’était pas suffisante pour saisir toute l’ampleur de la beauté de ce geste cinématographique.

Le fait que Summertime ait reçu le prix du public au dernier Festival de La Roche-sur-Yon s’intègre dans une continuité tout à fait logique. Le film brille par sa démarche : parler au peuple et faire parler le peuple. C’est une véritable lettre d’amour à Los Angeles et à sa diversité, en laissant bien transparaître les aspérités, les fêlures et les promesses de la ville. On se retrouve ensorcelé par la poésie viscérale en spoken word débitée au rythme de saynètes poignantes à la Slacker qui se suivent avec une fluidité hypnotisante. Par la place qu’il laisse à ses personnages et son ton pétri d’humour conscient, Summertime évoque la force et la complexité de I May Destroy You, magnifique série de Michaela Coel. Les deux œuvres possèdent une diversité de couleurs et d’intériorités bluffante.

Des afro-américains faisant un scandale dans un restaurant soit-disant trop huppé pour eux, un couple de deux femmes mûres s’embrassant dans un bus malgré les réprimandes d’un passager : une multitude de minorités se racontent à la première personne et ne se laissent pas réduire aux stéréotypes ambiants. Summertime ne se contente pas non plus de tracer un récit simplement collé aux différentes conditions sociales, il en joue et les rend enchantées.

Le Hamburger de Proust

Le film s’ouvre et se clôt par la recherche d’une sensation, ou plutôt d’un goût, aussi intense que l’enfance peut nous rappeller. Tyris Winter veut retrouver le hamburger qu’il dévorait avec sa mère étant petit. Le premier endroit où il se rend a été remplacé par un restau bobo d’« avocado on toast » qu’il descend vivement sur Yelp. Ce performeur singulier marque par son exubérance sans complexe et sa propension à être imparfaitement lui-même. On ressort repu de Summertime après un happy end léger, puisque Tyris retrouve cette saveur tant convoitée du burger de son enfance. Et nous, on reprendrait bien du rab.

Être curieux du monde autant que du cinéma.

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