CINÉMA

« Israël, le voyage interdit » – Retour aux origines

© Nour Films

Documentaire fleuve sortant en quatre parties dans les salles, Israël, le voyage interdit de Jean-Pierre Lledo est une plongée impressionnante dans l’histoire d’un pays finalement assez méconnu du grand public. Une œuvre déjà importante dans l’histoire du cinéma.

À partir de quand se dit-on qu’un film fait autorité  ? Parfois, cela peut prendre des années, et même des décennies, avant qu’une œuvre soit considérée comme un classique. Et puis, dans certains cas, un simple visionnage suffit à se dire que l’objet cinématographique que l’on est en train de contempler est d’ores et déjà une référence. Pour la génération actuelle et puis pour celles qui nous succèderont. Israël, le voyage interdit appartient à cette catégorie. Mais peut-on parler d’un simple «  film  »  ? Car ici, l’objet en question dure près de… 12 heures. Évidemment, pour des raisons pratiques, il était impossible de sortir cet impressionnant documentaire en un seul bloc. Il a donc été morcelé en quatre parties. Les différents fragments correspondent aux grandes fêtes de la religion juive  : Kippour, Hanouka, Pourim, Pessah.

À l’origine de ce projet pharaonique, il y a donc l’histoire de Jean-Pierre Lledo, l’un des plus grands documentaristes français (L’Empire des rêves, Lumières, Un Rêve algérien, etc.). Son pays, c’est l’Algérie. Il y est né, a vécu sur ces terres pendant plus de 40 ans avant de s’exiler en France dans les années 1990, menacé par des fondamentalistes islamistes. Juif par sa mère, il ne s’était jamais rendu en Israël, pays dont il est pourtant intrinsèquement attaché. Une sorte de rejet de cette nation, si vivement critiquée dans les états arabes et notamment en Algérie. Et puis, à la fin des années 2000, il a finalement sauté le pas et a entrepris un long voyage pour découvrir ce pays, à la fois proche et loin de lui.

Israël, le voyage interdit prend la forme d’un journal de bord dans lequel le cinéaste consigne toutes ses impressions par rapport à ce pays qu’il visite pour la première fois. Durant l’ensemble de son long périple, il est accompagné de sa fille Naouel qui découvre, elle aussi, tout un pan de ses origines. À les regarder tous les deux, presque candides à certains moments, on songe à Usbek et Rica, les personnages des Lettres Persanes de Montesquieu. Et puisqu’il faut un guide au tandem, père et fille sont accompagnés de Ziva Postec, productrice et monteuse du film. Un nom inconnu pour beaucoup mais qui parle à certains cinéphiles puisqu’elle monta les films de réalisateurs prestigieux tels qu’Alain Resnais, Orson Welles, Jacques Tati ou encore Yves Robert. Mais aussi Claude Lanzmann, qu’elle a assisté sur Pourquoi Israël et le monumental Shoah. On remarquera que les deux œuvres entretiennent d’ailleurs des points communs. La durée, bien évidemment, mais pas seulement. Dans les deux cas, ce qui frappe le spectateur, c’est la puissance des témoignages. Avec Israël, le voyage interdit, Jean-Pierre Lledo est allé interroger de nombreux israéliens. Des intellectuels, des artistes, des inconnus, etc. Le film se donne à voir comme un gigantesque kaléidoscope. Mélange des profils mais également mélange géographique et idéologique. Face à la jeunesse de Tel Aviv, il y a la richesse historique et culturelle de Jérusalem, débarrassée ici de tout son folklore.

Alors oui, le documentaire de Jean-Pierre Lledo peut faire peur. Devant cette œuvre pour le moins dense aux allures de cathédrale, le spectateur peut se sentir désemparé. Se pose également la question du religieux. Peut-on être emporté par ce film même si l’on n’est pas Juif  ? Israël, le voyage interdit déconstruit méthodiquement les idées reçues. Shoah était le grand film sur les camps et l’extermination des Juifs durant la Seconde guerre mondiale. Le film de Jean-Pierre Lledo est, quant à lui, l’œuvre de référence sur Israël, bien loin des discours des journaux télévisés. Du très grand cinéma.

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