CINÉMA

« Fin de siècle » – Rohmer à Barcelone

© Pro-Fun

Pour son premier long métrage, le réalisateur Argentin Lucio Castro pose sa caméra à Barcelone. Fin de siècle narre une rencontre en apparence classique qui va se révéler peu à peu dans une mise en scène plutôt particulière et poétique.

Lucio Castro prend son temps. Un homme (Juan Barberini) erre dans Barcelone pendant une quinzaine de minutes. Le cinéaste observe en silence, nous rend complice de cet surveillance. Il laisse les bruits de la capitale Catalane nous envahir, du ronronnement des voitures aux discussions des passants. Ocho – c’est son nom – déambule entre l’intérieur minimaliste de son airbnb et l’effervescence de la ville. La caméra le suit et explore les gestes du quotidien à la lisière du documentaire, ceux de la solitude : marcher, visiter un musée, lire sur la plage, manger en terrasse, se brosser les dents, se masturber mécaniquement, boire son café du matin. Le personnage semble se les réapproprier lentement.

Un autre homme vient troubler cette inertie et le mutisme d’Ocho. Il porte un t-shirt du groupe Kiss par lequel il se fait interpeller. Le cinéaste nous présente alors plus amplement ses personnages, en toute simplicité. Le premier est un argentin de New-York, récemment célibataire après vingt ans de relation ; le second, un espagnol de Berlin, marié – en relation libre – et papa d’une petite fille. Après une scène de sexe plutôt réaliste, le film oscille entre discussions et silence, extérieur et intérieur, intime et universel, présent et passé, réalisme et imaginaire. Fin de siècle est entièrement influencé par l’univers d’Éric Rohmer où les personnages, sans cesse en mouvement, discutent de longues heures de la vie et de l’amour, où ils recherchent eux-mêmes leur propre identité à travers l’autre.

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Découpant sans réelle transition de montage son film en trois parties d’environ trente minutes, Lucio Castro s’amuse avec le temps et l’espace créant une mise en scène plutôt atypique et perturbante. La deuxième partie du métrage censée être un flashback n’utilise aucun code habituel du cinéma. Aucun indice sinon les dialogues ne laisse présumer que nous sommes vingt ans plus tôt dans les années 1990 à l’aube du nouveau millénaire – expliquant le titre « Fin de siècle » -, ni le décor, ni la lumière, ni le physique des comédiens.

À travers l’histoire et les deux rencontres éphémères de ces deux hommes à deux siècles d’intervalles, le cinéaste argentin raconte l’évolution du regard sur l’homosexualité à la fois chez ses personnages mais aussi dans la société. Dans le passé, les deux hommes sont apparemment hétérosexuels et Javi vit avec Sonia (troisième personnage parlant du film) chez qui Ocho vient passer un court séjour. Les années 1990 sont évidemment marquées par le sida. Quand Ocho a un premier rapport sexuel avec un inconnu dans un parc, il s’en rend malade pendant plusieurs jours, persuadé d’avoir été contaminé ; quand après une nuit de complicité avec Javi et une première nuit ensemble, Ocho disparait au petit matin. Vingt ans après, leur homosexualité est décomplexée et assumée. La société a heureusement évolué et les deux hommes parlent de Grindr, de PrEP (Prophylaxie pré-exposition), de mariage et d’enfants.

Lucio Castro ne tombe jamais dans la théorie. Les discussions qui traversent le film sont d’un romantisme simple, jamais tragique. Elles tendent plus vers le métaphysique – la sensation étrange nos deux héros se connaissent depuis longtemps, et s’ils étaient passés à côté de leur vie amoureuse ensemble ? Un premier film tendre, atypique et tout simplement beau. Lucio Castro avait présenté son dernier court métrage à Cannes en 2018, Trust Issues. Il se révèle en cinéaste de l’observation des êtres et du temps qui passe – à suivre de près dans les prochaines années.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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