SOCIÉTÉ

EDITO – Joe Biden : un pour tous, tous pour un ?

© Gage Skidmore / Flickr

Jeudi 15 octobre aurait dû avoir lieu le deuxième débat entre Donald Trump et Joe Biden, les deux candidats à la présidence américaine. Si Donald Trump multiplie les formules « choc », son adversaire se rêve en rempart dressé contre quatre ans de plus pour le trumpisme. Ce sprint final est l’occasion d’approcher de plus prêt le candidat Biden pour en dresser le portrait. 

À deux semaines du scrutin, alors que le vote par correspondance et le vote anticipé ont déjà commencé, c’est le moment pour les deux hommes de sécuriser leurs bases respectives tout en séduisant les électeurs indécis. Joe Biden continue de creuser l’écart dans les sondages, mais l’histoire des États-Unis fournit de nombreux exemples incitant à la prudence : un retournement de situation est toujours possible, en témoigne l’élection de Donald Trump en 2016.

The One

Un mandat de présidence Trump a octroyé aux démocrates un objectif clair, presque imposé de lui-même : y mettre un terme. Pour ce faire, le parti se lance dans les processus de sélection du candidat adéquat, capable de réaliser l’alternance. Plus de vingt personnalités politiques de la gauche américaine se déclarent, rapidement la course ne comprend plus que le sénateur du Vermont Bernard Sanders, dit « Bernie », indépendant très marqué à gauche, et Joseph Robinette Biden, dit « Joe », de ligne bien plus modérée. Distancé, Sanders se retire au profit de son rival. Le 18 août, Biden est investi candidat démocrate. La gauche fait bloc. 

Un chic type 

Les démocrates auraient-ils misé sur le bon cheval ? À l’ère Trump, chaotique en termes de politique domestique et extérieure, les démocrates souhaitent répondre en suscitant l’espoir. Ils l’avaient déjà fait, douze ans plus tôt, en propulsant en première ligne Barack Obama et son « Yes we can ! » après huit ans de George W. Bush, et autant d’années de guerres.

Ils ont choisi Joe Biden, ancien vice-président de Barack Obama, pour raviver l’espoir et se relier à leurs victoires passées. Il faut dire que Biden a lui-même une image de « good guy ». Toujours souriant, jovial, « on ne peut pas détester Joe Biden » souligne Gérard Araud, ancien représentant de la France à l’ONU et Ambassadeur à Washington, au micro d’Ali Baddou sur France Inter.

Biden s’affiche en famille, parle publiquement de sa vie privée, de ses drames. Il a perdu sa première femme, Neilia, et sa fille, Naomi, dans un accident de voiture en 1973, ainsi que l’un de ses fils, Beau, lui-aussi homme politique, alors qu’il était en fonction en 2015. Durant l’émission Good Morning America, ses quatre petites-filles se confient sur leur grand-père, dépeignant un homme protecteur, disponible, capable de « décrocher le téléphone sur scène, pendant un meeting ». Le coup de communication fonctionne, Biden attire la sympathie, il suscite la confiance. 

L’expérience du pouvoir 

Joe Biden peut s’appuyer sur son impressionnante carrière. Rares sont les politiciens d’une telle longévité dans le paysage politique américain. Dans son état du Delaware, il est investi sénateur pour la première fois en 1973, puis réélu six fois. En trente-six ans de Sénat, Biden se fait une place au sein du parti démocrate et du système législatif américain : il est président du Comité judiciaire du Sénat de 1987 à 1995, puis du Comité des Affaires étrangères du Sénat de 2007 à 2009. Malgré cette ascension, nombreux sont les administrés qui soulignent sa disponibilité, une fois de retour dans son « petit » État. Pour lui, la politique n’est pas nécessairement l’affaire des élites. 

Pourtant Joe Biden connaît les hautes sphères. Il se hisse au sommet de L’État durant huit ans, comme bras droit du 44ème président des États-Unis, Barack Obama. Il partage avec lui le ticket présidentiel lors des élections de 2008 et de 2012. Investi vice-président, Joe Biden se fait une place à la Maison-Blanche et dans les affaires de son pays. Nombreux sont les chercheurs, qui, comme Karine Prémont, soulignent son implication inédite dans le gouvernement du pays. En développant un « modèle Biden » unique, fait de loyauté sans faille et d’honnêteté totale envers son président qui, en échange, lui accorde toute sa confiance. Joe Biden devient un acteur essentiel, notamment en politique extérieure, de l’administration Obama. Ce dernier avoue d’ailleurs que choisir Biden comme colistier fut « la meilleure décision politique » qu’il prit. En plus de compter sur son ancrage local, Biden peut également se targuer d’être un homme d’État, familier des cercles du pouvoir présidentiel.  

Le bon… face à Trump

A bien des égards, Biden semble être la solution pour les démocrates, en cet automne 2020. En temps de crise sanitaire mondiale, il apparaît masqué en public, critique l’inaction de son adversaire, tente de rassurer les électeurs. La gauche américaine multiplie les messages de soutien ou, du moins, d’incitation à voter contre Donald Trump. Ceci masque pourtant les divisions, nombreuses, mais inavouables au sein d’un même camp dans un tel contexte. 

Si la gauche accepte de faire bloc, c’est parce qu’elle se fixe un objectif très précis : la défaite de Donald Trump. La procédure d’impeachment lancée en septembre 2019 par la démocrate Nancy Pelosi n’ayant pas abouti, la stratégie du parti a muté. Puisqu’il n’a pas été possible de déloger le président Trump, il faut à tout prix l’empêcher de s’installer pour un nouveau mandat. 

Cap au centre

Le pari des démocrates est simple : présenter un candidat modéré, de tendance centriste, afin de rassembler à la fois démocrates et républicains progressistes déçus du trumpisme. Joe Biden est, à ce titre, un « bon » candidat, il peut reprendre à son compte le bilan de l’administration Obama, suscite l’enthousiasme des milieux d’affaire et de l’establishment démocrate, le tout en étant une personnalité séduisante pour les républicains les plus progressistes, avec lesquels il a su s’allier au sein du Sénat.

Cette stratégie comporte toutefois des risques, et ce d’autant plus que la gauche américaine est en transition depuis plusieurs années, sous le coup de l’émergence de fortes personnalités marquées plus à gauche. Bernie Sanders ou encore le Squad, ce groupe de quatre représentantes au sein de la Chambre élues en 2018,  Alexandria Ocasio-Cortez pour New York, Ilhan Omar pour le Minnesota, Ayanna Pressley pour le Massachusetts, et Rashida Tlaib pour le Michigan, soutiennent une ligne plus progressiste, voire socialiste dans le cas de Sanders. 

La sphère politique américaine doit à présent composer avec ces forces émergentes. De fait, l’adoubement de Biden, dont la ligne est bien plus traditionnelle, risque d’éloigner les électeurs les plus radicaux : certains lui reprochent son soutien à la loi adoptée en 1994 sous Bill Clinton ayant conduit à une hausse record du taux d’incarcération, d’autres l’attaquent à propos de son soutien à la guerre en Irak, en 2002. L’accusation de viol formulée par une ancienne assistante parlementaire de Biden entre 1992 et 1993, démentie par son équipe, a éclaboussé sa campagne sans pour autant le freiner dans sa course à la Maison-Blanche.

Le parti démocrate, ou l’art du recyclage 

L’élection de Barack Obama en 2008 et sa réélection en 2012 ont, en leur temps, démontré l’existence d’un champ des possibles à la fois au sein du parti, capable de se réinventer autour d’un nouveau leader, mais également au sein de l’électorat, stimulé par l’émergence de nouvelles personnalités aux idées fortes. 

Une dynamique similaire est observable aujourd’hui au sein de la société américaine : une partie de l’électorat démocrate glisse vers la gauche, de nouvelles figures charismatiques émergent. Mais le parti ne suit pas. Ne serait-il pas temps pour les stratèges démocrates de changer de recette ? Le « moment Obama » a été rendu possible par une rencontre des ambitions du parti et du volontarisme de l’électorat. Ce que le parti démocrate tente de réaliser en 2020 est une rencontre entre un électorat changeant, en mutation, et un candidat modéré, un ténor du parti, représentant d’une ligne qui n’a plus réussi à séduire lors des dernières élections présidentielles : Hillary R. Clinton a été battue par Trump.

Biden lui-même a vu ses espoirs déçus à plusieurs reprises. Il avait déjà tenté de remporter l’investiture démocrate en vue de l’élection présidentielle de 1988, tout comme en 2008. Huit ans à la vice-présidence étaient-ils la condition sine qua non de son élection ? Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Il reste à espérer pour le candidat Biden qu’il n’ait pas à se présenter une nouvelle fois à l’avenir : il a 77 ans. 

La mobilisation qui accompagne l’élection prochaine témoigne finalement d’une chose : le parti démocrate compte encore sur ses cadres traditionnels pour susciter l’espoir et réaliser le changement. Joe Biden doit réussir à unir et réunir autour de lui. Reste à savoir si l’électorat démocrate acceptera de suivre les tactiques politiciennes, et pour combien de temps encore.

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