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« Du côté de Guermantes » : la recherche de Christophe Honoré

© Jean-Louis Fernandez

Avec « Du côté de Guermantes », le réalisateur Christophe Honoré livre sa vision du troisième tome de la Recherche. Une lecture classique servie par la belle troupe du Français à découvrir à la Comédie Française au théâtre Marigny jusqu’au 15 novembre.

Les parents du narrateur de La Recherche, viennent de déménager dans une dépendance de l’hôtel où résident le duc et la duchesse de Guermantes. Une obsession naît alors chez le jeune Marcel : rencontrer la belle Oriane de Guermantes. Par l’entremise de son ami et neveu de la duchesse Robert de Saint-Loup, il parvient finalement à se faire inviter à quelques dîners. Mais le vernis des Guermantes ne mettra pas longtemps à craquer, découvrant l’antisémitisme et la méchanceté mondaine d’une caste sur le déclin.

© Jean-Louis Fernandez

Avec Les Français, présentés à Chaillot en 2016, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski avait déjà livré une «  version  » de l’œuvre de Proust. En était ressorti un spectacle exigeant, à la fois très érudit sur le fond et très léché sur la forme mais déroutant voire relativement éloigné de l’œuvre originelle – même si les thématiques fouillées entraient évidemment en résonance avec le récit proustien.

La démarche de Christophe Honoré – et ça n’étonnera personne – est toute différente. En résulte une pièce classique sur le fond comme sur la forme, globalement fidèle à l’ouvrage sur lequel elle est fondée. La scénographie (signée Alban Ho Van) reprend l’intérieur d’un porche haussmannien – carrelage en damier, pierre de taille, boiseries – pouvant facilement être transformé en salon et s’ouvrant sur la belle fontaine de la Grille au Coq. Mais Honoré a l’intelligence d’y intégrer quelques anachronismes : les beaux costumes de Pascaline Chavanne évoquent mais ne sont pas complètement d’époque, la musique jouée en live ou sur tourne-disque non plus. Bref tout cela est loin d’être pris dans la naphtaline.

Comme il est de coutume de constater au français, la troupe foisonnante est impeccable même si on peut regretter le casting finalement très attendu, tout le monde étant distribué dans ce qu’il ou elle sait faire de mieux : Elsa Lepoivre (Oriane de Guermantes) en objet ultime du désir, Laurent Lafitte (Basin de Guermantes) en aristocrate à la panse bien tendue, et Serge Bagdassarian (Palamède de Charlus) en vieux baron passablement tiraillé par son homosexualité livrant au passage un semi numéro de cabaret. C’est délicieux mais peu surprenant. 

© Jean-Louis Fernandez

Le choix du tome adapté est à souligner : il ne s’agit pas du premier, le plus connu, Du côté de chez Swann, ni du dernier À la recherche du temps perdu, qui donne facilement l’occasion de revenir sur tout le récit qui a précédé. Mais la décision n’en est pas moins pertinente : Du côté de Guermantes est le volume qui permet peut être le mieux de saisir sur le vif cette société du Faubourg Saint Germain de la fin du XIXème siècle déjà déclinante et qui sera comme balayée par la Première Guerre mondiale.

Crispés sur leur généalogie, inquiets de l’ascension sociale de la bourgeoisie industrielle, les Guermantes ne tiennent plus que par leur médisance sociale et leur haine de l’autre cristallisée en ce temps d’Affaire Dreyfus par la figure du Juif. Qui est pour, qui est contre, qui est un israélite, qui est un français – comme si les deux choses s’opposaient – occupent les soirées. Et c’est peut être cela le pire, il s’agit souvent simplement de meubler la conversation par de bons mots fussent-ils racistes, l’important étant de faire rire son convive de droite. D’abord enivré par le faste de cette haute société, le jeune narrateur proustien dessaoule rapidement face à l’aigreur et l’indélicatesse de cette caste qui semble foncer à contre-sens de l’histoire. 

Christophe Honoré saisit tout cela impeccablement, notamment grâce à de vraies idées de mise en scène comme ces perches micro qui suivent les acteurs et qui permettent de «  sauter  » de conversation en conversation dans les salons comme on le ferait en passant d’un groupe à un autre. Mais le tout sans convaincre tout à fait, comme si le dispositif déployé peinait à imprimer en dépit de son faste. Principalement par manque de rythme et de tragique. Même l’épisode de la mort de la grand-mère, élément pourtant fondamental pour le jeune Marcel, ne parvient pas vraiment à émouvoir. Étrangement, ce petit sentiment d’inachevé ne donne lieu à aucune rancune et, au contraire, nourrirait presque l’envie de voire la suite afin de compléter l’image et de mieux en saisir la portée. 

«  Du côté de Guermantes  » d’après Marcel Proust, adaptation et mise en scène de Christophe Honoré. A la Comédie-Française au Théâtre Marigny jusqu’au 15 novembre. Durée : 2h30. 

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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