Collection Palais Idéal © Hidehiko Nagaishi
Ferdinand Cheval passe 33 années de sa vie à bâtir seul, son Palais Idéal. Plus de cent ans après son achèvement, le chef d’œuvre attire aujourd’hui des visiteurs venus de toutes parts. Alors que les espaces adjacents au Palais proposent cet automne trois nouvelles expositions, retour sur l’histoire démesurée d’un facteur à l’opiniâtreté sans limite.
Le 18 septembre dernier, le Palais Idéal dévoilait sous la direction de Frédéric Legros ses trois nouvelles expositions, lors d’une soirée de vernissage. Des photos d’archives insoupçonnées prises par Robert Doisneau à deux époques différentes et sous deux angles contraires, se mêlent désormais aux figures de grès confectionnées par Simone Fattal dans la salle d’exposition, tandis que Sarah Pucci est mise à l’honneur au sein de la maison dans laquelle vécu le facteur. Cette dernière offre une vue imprenable sur le Palais, depuis sa fenêtre principale.
Avec ses allures de château de sable féérique géant, semblable aussi à un majestueux décor d’opéra, le Palais Idéal du Facteur Cheval fascine petits et grands. Cent-huit années après son achèvement en 1912, l’édifice aux milles détails, n’a rien perdu de sa splendeur d’autrefois. On dit que les feuilles et fleurs étaient alors peintes, couleurs qui ne sont aujourd’hui plus discernables. Là serait la seule perte provoquée par le temps qui passe. Et pourtant, à la vue de cette merveille de pierre, on apprécie chaque fragment de sa nouvelle teinte unifiée.
En addition aux quatre façades les unes plus intéressantes que les autres, le palais se compose d’un belvédère, d’une galerie souterraine, ainsi que d’une grande terrasse panoramique. La multitude de tableaux symboliques saute d’emblée aux yeux : les fresques historiques (tels que les trois Guerriers Jules César, Vercingétorix et Gilgamesh qui ornent la façade Est) se mêlent aux multiples maisonnées cosmopolites (temple Hindou, chalet suisse, maison blanche, maison carrée d’Alger). Les coquillages, animaux et végétaux captivent les regards de toute part, tandis que l’on se perd dans le dédale organisé des galeries, escaliers et passerelles de sable.
L’esthétique, née des mains d’un seul homme, reste à ce jour inédite. Elle s’inspire de la nature à son sens premier, de paysages des cartes postales arrivées du monde entier et d’un palais indien « découvert dans un vieux livre de contes orientaux ».
L’incroyable histoire de Ferdinand Cheval
Tout commence un beau matin d’avril 1879. Lors d’une tournée, le facteur Ferdinand Cheval trébuche et se retrouve à terre. Cherchant la raison de sa chute, il découvre une pierre qui le fascine. Séduit, il décide de la ramener chez lui. Le lendemain, il entame sa collection. Parcourant entre vingt et quarante kilomètres quotidiennement, ses butins deviennent rapidement trop importants. Les premières semaines, il en portera jusqu’à quarante kilogrammes, avant de devoir amasser de petits tas le long de ses tournées. Il reviendra les chercher à l’aide de celle qu’il nommera « sa fidèle compagne » : sa brouette.
Voulant irriguer son potager, il imagine une fontaine – La Source de Vie, qu’il construit dans son jardin avec ses premières pierres. Encouragé par les louanges de ses amis, il développe ses plans et décide d’y ajouter des annexes de plus en plus importants. La Source de Vie est née, elle marquera le départ des trente-trois années de travail nécessaires à la réalisation du Palais.
Plus opiniâtre que moi se mette à l’œuvre
Rapidement, le bruit court que le facteur construit dans son arrière cour un édifice sans intérêt. Empiler des pierres pour empiler des pierres. « Veut-il au moins y vivre ? » Non il n’y a jamais réfléchi. Les moqueries suivent : « C’est absolument inutile ». Le Facteur Cheval qui ne reste pas insensible à la critique se projette : il veut se faire enterrer dans ce Palais, entouré de toute sa famille, le temps venu. La crypte sous-terraine relie deux salles prévues exclusivement à cet effet.
Lorsque Ferdinand apprend que le maire d’Hauterives refuse qu’il fasse de sa construction son tombeau, le facteur doit repenser sa mort. Une fois le palais terminé en 1913, après trente-trois ans de dur labeur, il sait l’usage qu’il fera du surplus de pierres : établir la majestueuse tombe familiale au cimetière de la Paroisse d’Hauterives.
Bâtisseurs chimériques : Fattal et Doisneau, Robert et Simone
En mars dernier, pendant l’étrange période que fut le confinement français, Francine Deroudille -fille de Robert Doisneau, découvre dans les archives de son père, une multitude de photographies du Palais Idéal du Facteur Cheval. Elle en fait part à Frédéric Gros, directeur du Palais Idéal, avec qui elle débute une recherche documentaire poussée. Non répertoriés, ces clichés restent mystérieux : Qui en était le commanditaire ? Pour quel magazine ont-ils été réalisés ? Ont-ils été publiés ? Les pellicules retrouvées nous confèrent les deux uniques indices sur cette série : Moyen Format couplé au Noir et Blanc. Il s’agit bien d’une commande commerciale.
Sachant l’admiration que Doisneau vouait au Facteur Cheval depuis petit, des recherches de possibles plus amples documentations ont été entreprises. Et non en vain ! Au mois de mai, des planches 24×36 couleur datant des années 70’s sont retrouvées. Lors de cette deuxième documentation, l’approche de Doisneau est davantage sociologique : elle porte cette fois-ci sur les visiteurs du Palais, parmi lesquels on identifie entre autre la femme du photographe. On reconnait toujours l’artisan à l’obstination farouche pour la composition, qui répertorie son quotidien de façon méticuleuse. L’atmosphère est estivale, Doisneau documente les vacanciers, mais ne laisse pour autant guère de place à un manque de rigueur : son intérêt pour l’édifice transperce dans la précision de ses photos. Cadrage, lumière, profondeur de champs, tout y est maitrisé.
Quel meilleur endroit pour dévoiler au grand jour ces récentes découvertes, que l’espace d’exposition annexé au Palais Idéal ? Entre mémoire historique et témoignage d’admiration, ces photos sont une ode au temps qui passe, et à la beauté qui reste.
Grès et porcelaine, subtile épaisseur
Réputée pour ses sculptures, qui sont exposées au quatre coins du globe (Moma PS1 de New York l’année passée par exemple), Simone Fattal s’exerce à toutes formes de créations : peinture, céramique, photographie… Cette exposition pourtant se composera exclusivement de grès et de porcelaine « afin de ne pas faire d’ombre aux œuvres de Doisneau » plaisante-t-elle avec Frédérique Legros, directeur du Palais depuis mai 2019.
Son amour pour l’archéologie et l’histoire, permettent de placer la mémoire au centre de sa réflexion. Elle manipule la terre, lui donne forme, tout en lui laissant cet aspect des plus brut. Les personnages naissant sous ses doigts, ont une allure bestial, élémentaire, comme faits de chair épaisse. Ils apparaissent tels des piliers, représentant la « résistance de l’homme face aux conflits, et sa capacité à rester debout ».
L’exposition Bâtisseurs Chimériques naît, elle aussi pendant le confinement. Elle fait suite à la volonté de Frédéric Legros de mettre en avant le travail de Simone Fattal, fusionnée à la récente découverte des photographies de Doisneau. L’art de penser des mondes, attribut commun au Facteur Cheval et à Simone Fattal, font se rejoindre leurs créations, puisant leur origine dans la technique-même : grès et porcelaine pour l’une, pierres et chaux pour l’autre.
L’exemple le plus flagrant des parallèles de leurs œuvres respectives se trouve certainement dans leur inspiration mythologique : Le Lion gardant l’entrée de Fattal rappelle celui sculpté par Ferdinand Cheval aux abords de la Source de Vie, tandis que les Trois Géants de la façade Est du facteur trouvent leurs homologues chez les trois Guerriers chez Simone Fattal.
Made with love for Dorothy, les créations ornées de Sarah Pucci
Dans la Maison Alicius – où vécu autrefois le facteur à deux pas de son Palais, se tient aujourd’hui une petite exposition de petits objets de mousse, ornés de petits fragments de bijoux.
Dans une symétrie impressionnante, des perles, des strass, des broches et fleurs, viennent colorer des cœurs, des couronnes et des boules dont la matière d’origine est méconnaissable. Méticuleusement, les formes se mêlent, s’entremêlent mais ne se confondent jamais. Fragiles d’apparence, ces objets de décoration, ont parcouru bien des kilomètres. En effet, c’est depuis le Massachusetts que Sarah Pucci, mère de Dorothy Iannone, envoyait régulièrement entre 1970 et 1990 ces petits présents à sa fille en Europe. Ils sont le témoin d’un amour, l’ouvrage d’une patience et d’une opiniâtreté sans bordures. De par leurs tailles et la précision de leur confection, ces inédites petites créations étonnent. On pourrait croire qu’il s’agit d’une sorte de joaillerie d’avant-garde : d’imposants bijoux voués à l’art de la table.
Ce n’est pas un hasard si précisément cette exposition se tient dans la maison du Facteur Cheval. Alicius, nom qu’il donna à sa maison, est un hommage à sa fille Alice décédée des suites d’une pneumonie au jeune âge de 15 ans. Un témoignage d’amour paternel, abritant quelques mois celui d’une mère à sa fille, partie vivre à l’autre bout du monde.
Sarah Pucci et Ferdinand Cheval nous prouvent que la persévérance, la patience, et le dévouement sont les clés de la création. Partis de bien peu de choses -disons-même d’objets ordinaires, ils sont tous deux parvenus à créer de véritables chefs d’œuvres, qu’aujourd’hui encore il fait beau/bon d’admirer.
Expositions Bâtisseurs chimériques et Made with love for Dorothy, du 18 Septembre 2020 au 17 Janvier 2020, a Palais idéal du facteur Cheval 8, rue du Palais – CS 10008 – 26390 Hauterives – Drôme. Tarifs : de 8€ à 5€. Informations et réservations