L’accord de paix entre les Talibans et Etats-Unis a abouti à de nouvelles négociations intra-afghanes. © State Department of the United States of America
Après plus de six mois de retard, les négociations entre le gouvernement afghan et les Talibans ont débuté le samedi 12 septembre 2020. C’est à Doha, la capitale du Qatar et sous l’égide des Etats-Unis, que se déroulent des discussions qualifiées d’historiques par la communauté internationale.
Les négociations entre les Talibans et le gouvernement afghan font miroiter l’espoir d’une fin de guerre inespérée qui a fait 250 000 morts entre 1989 et 2019. Ce conflit prend ses sources en 1979 avec l’invasion soviétique et se poursuit, après le retrait de l’Armée rouge, en guerre civile entre différentes factions. Cette guerre mène à la prise du pouvoir par le mouvement islamiste fondamentaliste des Talibans, signifiant les « étudiants en religion », entre 1996 et 2001.
Après le 11-Septembre et du fait des collusions entre les Talibans et Al-Qaida, une guerre contre les Talibans est menée par les Etats-Unis avec le soutien de l’Otan. C’est le lancement de l’opération Enduring Freedom qui parvient rapidement à une victoire des Américains. Toutefois, les Talibans se réorganisent et se replient dans leurs zones de contrôle situées dans les montagnes. Le conflit s’enlise à nouveau. En 2014, la communauté internationale présente au travers de la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité (FIAS) se retire d’Afghanistan. Depuis, la guerre civile oppose les Talibans à la République Islamique d’Afghanistan, soutenu militairement par les Etats-Unis.
Un plébiscite de la communauté internationale
Ces négociations ont été accueillies avec enthousiasme et optimisme par la communauté internationale, malgré l’opposition de la France et de l’Australie à la libération de certains prisonniers talibans, un préalable nécessaire à l’engagement des discussions. Pour Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, l’ouverture des négociations de paix intra-afghanes à Doha « offre une occasion majeure de réaliser les aspirations de paix de longue date du peuple afghan ». Le ton est similaire du côté de l’Union européenne ou de l’OTAN qui apportent leur soutien. Josep Borell, le Haut-Représentant de l’Union, a rappelé que « l’Union européenne se félicite du lancement des négociations intra-afghanes directes entre le gouvernement afghan et le mouvement taliban », qu’il qualifie de « moment révolutionnaire ».
Un espoir de paix qui profite à Donald Trump
Les pourparlers interviennent après un premier accord entre les Etats-Unis et les Talibans. Conclu en février 2020, il entérine le retrait progressif de l’armée américaine d’Afghanistan en échange de garanties par les Talibans de mener une lutte antiterroriste contre l’Organisation de l’Etat Islamique et Al-Qaida et sous condition de négociations avec le gouvernement afghan. Ce sont ces négociations qui se tiennent aujourd’hui au Qatar, sous la médiation de Doha et l’impulsion de Washington.
Avec le scrutin présidentiel qui approche à grand pas, ce calendrier n’est pas un hasard. Donald Trump est déterminé à mettre fin à la plus longue guerre menée par les Américains. A la mi-octobre se clôturent également les candidatures au Prix Nobel 2020. Le président américain a besoin de ces négociations afin d’afficher des succès diplomatiques pour compléter son palmarès marqué par les accords récents entre Israël, les Emirats Arabes Unis et le Bahreïn.
Des négociations porteuses d’espoir ?
Les difficultés sont apparues en amont des négociations. Prévues initialement pour mars 2020, ces dernières ont, sans cesse, été repoussées. La raison en est que l’accord entre Etats-Unis et Talibans prévoyait, sans consultation ni aval du gouvernement afghan sur la question, la libération des 5000 Talibans prisonniers en échange des 1000 afghans détenus. Ce point a provoqué le rejet immédiat de la part du président afghan, Ashraf Ghani, et de son gouvernement, estimant que les Etats-Unis n’avaient pas l’autorité pour décider d’une telle condition. Néanmoins, Washington a su faire entendre raison au gouvernement afghan qui a finalement accepté de libérer la quasi-totalité des détenus talibans.
Le sort des 400 derniers prisonniers, coupables de crimes graves et impliqués dans des attaques ayant causé la mort d’Afghans et d’étrangers, est devenue une véritable affaire diplomatique. La France et l’Australie dont des ressortissants ont été tués par certains de ces prisonniers ont bloqué leur libération, mesure prise avec l’aval de « loya jirga », une assemblée consultative. La question a finalement été réglée au terme de négociations. Néanmoins, les conditions dans lesquelles se déroulent la libération des insurgés inquiètent puisqu’aucune garantie n’assure que ceux-ci ne reprendront pas les armes tôt ou tard.
La réunion des Talibans et du gouvernement afghan autour d’une même table a donc été un chemin épineux, les pourparlers s’avèrent encore plus complexes. L’idée d’un accord durable apparait illusoire tant les camps semblent irréconciliables avec des projets politiques aux antipodes. Du côté des Talibans, la volonté est d’imposer la loi islamique, la Charia, sur l’ensemble du territoire.
De nombreuses voix s’élèvent en Afghanistan et à l’étranger pour rappeler la nécessité de sauvegarder les récents acquis démocratiques et les droits sociaux pour les femmes afghanes. Dans des discussions informelles, certains membres de la délégation afghane semblent prêts à faire disparaitre les héritages bénéficiant aux minorités et aux femmes. Les représentants de la société civile y sont minoritaires, on décompte seulement trois femmes parmi les négociateurs. Si les Afghans veulent la paix, ils demeurent inquiets des compromis qui pourraient être faits pour y parvenir.
Le principal enjeu de ces négociations semble être la question du partage du pouvoir. Des spécialistes de l’Afghanistan estiment qu’il est utopique de penser que les Talibans veulent d’un partage du pouvoir et qu’ils respectent les règles démocratiques. De plus, si le camp des Talibans se caractérise par son unité, il n’en va pas de même pour la délégation afghane. Celle-ci est divisée avec une multitude de partis politiques et manque de crédibilité du fait de la rivalité entre Abdullah Abdullah et Ashraf Ghani qui s’étaient tous deux proclamés Président d’Afghanistan en mars 2020. Cette faiblesse est de mauvais présage pour la suite des négociations.
Une recrudescence de la violence
Certains experts du conflit se demandent même si l’on peut parler de négociations de paix tant les Talibans sont en position de force dans le pays. Depuis quelques mois, on assiste à une augmentation de la violence dans de larges pans du territoire. D’ailleurs, quelques heures avant l’ouverture des négociations, les Talibans ont réalisé une série d’attaques sur des infrastructures gouvernementales et utilise la violence comme outil de pression.
Le problème de ces négociations est que le cessez-le-feu n’a pas été un préalable aux discussions. Les Talibans veulent obtenir des accords politiques avant de décider d’un arrêt des combats. Les forces militaires afghanes sont largement dépendantes du soutien américain. Cependant, depuis l’accord conclu entre les Talibans et les Etats-Unis, cette aide a été limitée, ce qui met le gouvernement afghan en grande difficulté.
Ces négociations sont un symbole d’espoir pour la communauté internationale en direction de la résolution d’un conflit dans lequel elle s’est empêtrée. Or, les négociations s’entament à un moment où les Talibans sont en position de force ce qui pourrait compromettre l’établissement d’un accord durable.