Ce dimanche 18 octobre, la dernière page de la 11ème édition du Festival International du Film de La Roche-sur-Yon s’est tournée. Avec une nostalgie heureuse, nous revenons sur cette miraculeuse fête de cinéma qui a fait vibrer une des villes où l’on croise le plus de cinéphiles au mètre carré.
Que le festival ait été maintenu malgré la crise sanitaire représentait déjà une surprise considérable. Que la programmation ait été à la hauteur des années précédentes, en cumulant une quantité monstre de pépites filmiques, on appelle cela une prouesse.
Festival de La Roche sur quoi ?
Depuis plus de 10 ans, le Festival de La Roche-sur-Yon fait découvrir de nouvelles créations contemporaines, avec une programmation toujours éclectique et originale. L’événement au cœur de la Vendée ne cesse d’élargir son retentissement au sein du paysage des manifestations cinématographiques françaises et européennes.
La spécialité du festival serait de ne pas en avoir, puisqu’il consiste à faire sauter les frontières et à troubler la vision du spectateur. Pas de réelle contrainte pour les films donc, si ce n’est constituer la crème de la crème des premières françaises et internationales, tout en offrant une fenêtre inventive sur le monde. L’agenda de la semaine a été organisé d’une telle manière que chaque spectateur puisse fabriquer sa propre programmation, au rythme de son propre univers. Entre autres, les catégories de films se distinguent ainsi : la compétition Nouvelles Vagues pour les plus aventureux, la compétition Internationale pour les friands de nouveautés contemporaines, « Variété » pour les curieux d’œuvres fantastiques proches du film de genre. On retrouve aussi des séances spéciales à la croisée des arts ou encore une exposition qui renvoie chaque année à l’un des films de la programmation. La séance de clips « d’hier et d’aujourd’hui » livre une action indispensable qui aide à ancrer la qualité substantielle du format clip, au même titre que le court-métrage par exemple.
Un souffle de jeunesse
Cette année, deux changements importants à évoquer : la nouvelle directrice artistique, Charlotte Serrand relève Paolo Morretti, ancien délégué général du festival. Elle a travaillé dans le prolongement de son prédécesseur tout en apportant sa propre sensibilité. Et puis, évidemment, la situation de pandémie mondiale qui fait prendre conscience de l’importance de se rassembler et de profiter de chaque instant. Cette édition s’empreint de tout cela. Les films dialoguent avec l’air du temps, tout en s’inspirant de la sagesse du passé. De façon transversale, la programmation aborde certains thèmes qui font écho à notre présent : des intérieurs et/ou des extérieurs cloisonnés (The World to Come, Summertime), des espaces infinis de terrains de jeu (Éric Judor et son œuvre, Mandibules, Les 2 Alfred), de jeunes en apprentissage (Miss Stevens, My Salinger Year, Wendy), de femmes en tant que sujets désirants et non simplement objets désirés (The World to Come, Louxor), des effondrements (Gramercy, Ginger & Rosa) et des reconstructions (Problemos, Louloute). Un air d’enthousiasme ardent circulait entre les trois cinémas phare de la ville (le Concorde, le Manège et le Cyel).

© Droits réservés / Miss Stevens de Julia Hart avec Lily Rabe, Timothée Chalamet, Lili Reinhart.
On retrouve avec plaisir une majorité de films provenant des festivals de Sundance (Wendy, par le réalisateur des Bêtes du Sud Sauvage, Benh Zeitlin, qui propose un point de vue et un style revisité de Peter Pan), la Mostra de Venise (Mandibules, la nouvelle étrangeté signée Quentin Dupieux) et la Berlinale (My Salinger Year révèle tous les talents de Margaret Qualley après Once Upon A Time in Hollywood). On se délecte des rétrospectives inédites sur Sally Potter (La Leçon de Tango, Orlando) et Joanna Hogg (The Souvenir, Unrelated). On revient agréablement surpris du focus sur la réalisatrice Julia Hart, dont le premier long-métrage est projeté en salle française pour la première fois (Miss Stevens, des prestations magnifiques de Timothée Chalamet, Lili Reinhart et Lily Rabe). Et on ressort hilare de la rencontre avec Eric Judor, ainsi que de ses créations foldingues programmées avec parcimonie (Seuls Two, Platane).



© Festival international du film de La Roche-sur-Yon
La sélection et le palmarès font la part belle aux subtils parcours de femmes. Le choix des gagnants ex-æquo de la compétition internationale sonne particulièrement juste. Louxor et The World to Come dressent des portraits féminins poignants, traitant des relations complexes à soi, au passé et à l’autre. Quant au prix du public, il revient à un récit hors normes sortant des sentiers battus, notre coup de cœur de cette édition : Summertime, une comédie musicale, sociale et bouleversante. Le Grand Prix du Jury Ciné + revient à Louloute d’Hubert Viel. Le Prix Nouvelles Vagues Acuitis et le Prix Trajectoires BNP Paribas ont été décerné respectivement à This is not a Burial, it’s a resurrection, de Lemohang Jérémiah Mosese et À l’Abordage de Guillaume Brac, également jury pour la compétition internationale.



© John Schmidt / Summertime de Carlos Lopez Estrada
Plus qu’une simple suite de projections magiques, ce 11ème festival résonne comme une bouffée d’air frais en pleine asphyxie, une véritable aventure humaine nécessaire alors que les liens sociaux se retrouvent de plus en plus brimés. Une édition forcément singulière et une brillante réussite en tout point. Tout à coup, les mesures de distanciation semblent moins lourdes à porter lorsqu’on se rassemble autour d’une passion commune si transcendante.