Muriel Barbery est l’une des romancières françaises les plus lues de sa génération. Son cinquième roman, Une rose seule, est consacré à sa fascination pour la culture japonaise. Un voyage au cœur de l’esthétisme nippon.
Depuis l’immense succès de l’Élégance du Hérisson, Muriel Barbery s’est faite discrète dans la vie littéraire française. Préférant le voyage à l’exposition médiatique, elle n’a pu refuser, lorsque l’opportunité s’est présentée, de quitter la France pour le soleil levant. Deux ans de vie à Kyoto lui ont ainsi permis d’embrasser pleinement son attrait pour la vie japonaise. Elle ne s’est en effet jamais cachée de cette fascination esthétique et culturelle, déjà présente dans l’Élégance du Hérisson, où l’emménagement de Kakuro Ozu au 7 rue de Grenelle venait bouleverser la vie de ses habitants. Ses deux derniers romans, du genre fantastique, – La Vie des elfes et Un étrange pays – sont également teintés de cette inspiration nippone. Le végétal, et sa beauté observée dans les jardins de Kyoto, seront déclencheurs de son entrée dans la littérature de l’imaginaire et de son engouement pour les créatures féeriques.
L’histoire : « A quarante ans, Rose n’avait presque pas vécu ». Née d’une mère occidentale et d’un père japonais qu’elle n’a jamais connu, Rose est une femme morose et seule. Quand son père décède, elle est invitée à se rendre à Kyoto pour suivre la lecture de son testament ainsi que ses dernières volontés. Paul, collègue et confident de son père, fera suivre à Rose un étrange itinéraire imaginé par le défunt à travers Kyoto, qui la mènera de temples en jardins. Les rencontres insolites et la contemplations des merveilles botaniques et minérales confronteront Rose à un passé qu’elle pensait disparu. D’abord amertume et colère, Rose se transformera pas à pas au contact des souvenirs que son père lui a laissés pour enfin se découvrir elle-même.
Dans Une rose seule, il n’est plus question du monde des elfes. Muriel Barbery délaisse en partie le style lyrique et dense, parfois peu digeste, qui caractérisait ses romans fantastiques pour retrouver une écriture plus accessible, mais toujours raffinée. Une écriture sur mesure pour la description des temples kyotoïtes. Cette fois, le Japon n’est plus seulement une inspiration mais un sujet à part entière.
« Ils passèrent le porche, il y eut un autre coude vers la droite puis, devant eux, une allée. Longue, étroite, bordée de buissons de camélias et de rampes de bambous par-dessus une mousse argentine, cernée, à l’arrière, de hauts bambous gris, surplombée d’un arceau d’érables, elle menait à un portail à toit de chaume et de mousse où on avait planté des iris et où s’alanguissait la dentelle des feuilles. C’était, en réalité, plus qu’une allée ; un voyage, se dit Rose ; une voie vers la fin ou vers le commencement. »
Une rose seule – Muriel Barbery
De légendes japonaises en jardins insolites
Muriel Barbery livre ici une courte histoire d’amour qui se révèle double. Rose finira inévitablement par retrouver la capacité de tomber amoureuse, mais elle découvrira également tout un monde de sensibilité à travers l’art et les traditions japonaises. Chaque chapitre qui inaugure une nouvelle journée dans le voyage de Rose est précédé d’un petit conte issue de la culture asiatique, qui trouve un écho dans les lieux et les événements décrits dans le roman. Muriel Barbery nous invite ainsi à découvrir les mets et restaurants locaux, à partager son amour du thé ou à visiter les jardins du Kyoto traditionnel. Les fleurs, le végétal et leur enchevêtrement au minéral des pierres et des constructions humaines dans ces jardins font l’objet de quelques-uns des plus jolis passages descriptifs du roman.
Dans Une rose seule, chaque instant, chaque lieu est propice à la mélancolie et à la contemplation. Il suffit que le regard d’un des personnages accroche l’aspérité d’un meuble, d’un arbre ou d’une fleur pour entraîner immédiatement un déferlement de souvenirs, de sensations, de saveurs. Rose réalise, via cet éveil aux choses, que son père – dont elle découvre l’univers dans la beauté des lieux traversés – ne l’a jamais vraiment abandonnée. Tel un kami, les divinités de la religion shintoïste, il a en effet veillé sur elle à son insu.
Une écriture toute en sensibilité
À travers les yeux de Rose se découvre des lieux à l’atmosphère unique de sensations et de recueillement. La solitude des personnages est rarement brisée, même renforcée par la codification du quotidien japonais. Ces moments codifiés, empreints de sensibilité – comme si chaque lieu, chaque instant avait son rituel dédié – sont justement retranscrits au fil des pages. Muriel Barbery dispose les mots comme si elle créait un jardin zen ; c’est un enchevêtrement complexe de couleurs, de senteurs et d’états de la matière. Les phrases ainsi formées, d’un lyrisme subtil, nous entraînent dans une ambiance onirique, parfois inquiétante. L’importance donnée à la description de l’instant et des mouvements donne l’impression que le voyage de Rose se déroule dans une temporalité ralentie, presque hors du temps. La succession des tableaux qui sont proposés nous amènent ainsi lentement et irrésistiblement vers la renaissance du bonheur de Rose.
« À l’arrière-plan, précédant l’enceinte, se jouait une partition de quatre arbres caressés d’une marée de mousse, de pierres anciennes et de quelques buissons d’azalées. C’était le jardin le plus sobre, le plus étrangement révolu qu’elle eût jamais vu, revenu d’une traversée des âges géologiques ; pourtant, tout y était vivant – le mouvement immobile, pensa-t-elle, limpide et vibrant, la présence absolue des choses, la leçon dernière du monde. »
Une rose seule – Muriel Barbery
Une rose seule nous raconte finalement dans un langage poétique et stylisé, la métamorphose d’une femme qui avait jusque là peu fait l’expérience de la vie. L’érudition de Muriel Barbery se confirme dans sa connaissance des arts japonais. Son écriture exquise nous plonge immédiatement dans le raffinement de la culture nippone.