SOCIÉTÉ

Running for the Oval #5 – Obama vs McCain : le duel des possibles

© Pimkie / Flickr

Au cours de l’été, Maze vous propose une rétrospective de certains épisodes marquants des élections présidentielles américaines. Ils rythmeront les semaines qui nous séparent de l’élection présidentielle du 3 novembre, qui verra s’affronter Donald Trump et Joe Biden.

C’est en nombre que les citoyens américains se rendent aux urnes le 4 novembre 2008, afin de départager le démocrate Barack Obama et le républicain John McCain. Le premier l’emporte avec une avance considérable, et certains vont jusqu’à considérer ce jour comme «  historique  ». Pourtant, quelques mois auparavant, un tel scénario était loin d’être le plus probable.

Les outsiders prennent du galon

Les choses s’accélèrent après les élections présidentielles de 2004, qui consacrent George W. Bush pour une seconde fois  : les partis républicain et démocrate se lancent dans les processus de sélection de leurs prochaines têtes d’affiche. En 2008, le président sortant ne pourra pas se re-présenter, il faut donc renouveler, à droite comme à gauche.

Chez les républicains, c’est d’abord Rudy Giuliani, ancien maire de New York, qui capte l’attention en se portant candidat en novembre 2006. D’autres se placent dans son sillage, comme le sénateur de l’Arkansas Mike Huckabee déclaré en janvier 2007, l’ancien gouverneur du Massachusetts Mitt Romney lancé en février, ou le sénateur de l’Arizona John McCain, engagé dans la course un mois plus tard.

Le camp adverse remue ses rangs dès 2006. Les midterms, élections législatives de mi-mandat, permettent de voir certaines figures émerger, et ce d’autant plus que ces élections sont une victoire sans conteste pour les démocrates, qui retrouvent la majorité au Sénat et à la Chambre.

Rapidement, une favorite se distingue  : Hillary R. Clinton, sénatrice de New-York et ancienne première dame. Les premiers sondages la placent devant un jeune candidat découvert lors de la campagne électorale de John Kerry en 2004, le sénateur de l’Illinois Barack Obama, qui a officialisé sa candidature un mois après sa rivale. À leurs côtés, d’autres figures du parti comme John Edwards, candidat à la vice-présidence en 2004, Bill Richardson, gouverneur du Nouveau-Mexique, ou Joe Biden, sénateur du Delaware, s’engagent dans la course à la nomination.

Dans le vif des primaires, des tendances se dessinent puis s’inversent. Chez les démocrates, la candidate Clinton peut d’abord compter sur une avance considérable. Elle convainc, notamment l’establishment, par son expérience et son carnet d’adresses, qu’elle partage avec son mari, ex-président.

Pourtant, le candidat Obama semble séduire de plus en plus d’électeurs à mesure que les caucusses, les élections primaires dans les États, se déroulent  : il remporte l’Iowa, ce qui conduit plusieurs candidats comme Joe Biden à se retirer de la course. Lors du Super Tuesday, alors qu’Edwards n’est plus en lice, la tendance s’inverse  : Obama mène avec, sur le papier, le soutien de 847 délégués contre 834 pour Clinton, sur vingt-trois États déjà passés par les urnes.

Le coude à coude se poursuit jusqu’à la dernière primaire  : le 3 juin, Barack Obama est certain de remporter la nomination au sein de son parti. Hillary Clinton tarde à admettre sa défaite, arguant que le vote populaire est de son côté. Elle reconnaît finalement la victoire de son adversaire quatre jours plus tard, au cours d’une allocution dans son fief de New York, tout en lui promettant son plein soutien. Lors de la Convention démocrate tenue entre le 25 et le 28 août 2008 à Denver, dans le Colorado, Barack Obama est officiellement investi, avec pour running mate (vice-président) son ancien rival Joe Biden, qui contre-balance sa jeunesse et son manque d’étoffe nationale.

Leurs adversaires républicains connaissent une bataille moins serrée. Dès les premières primaires, McCain distance ses concurrents. Giuliani se retire de la course en janvier 2008. Le Super Tuesday confirme la tendance  : McCain en sort grand vainqueur, suivi par Huckabee puis Romney. Ce dernier met un terme à sa campagne quelques jours plus tard, avant d’apporter officiellement son soutien au candidat McCain à la mi-février.

C’est au mois de mars, un an après le lancement de sa campagne, que McCain est assuré de sa victoire  : il a dépassé les 1191 délégués nécessaires à sa nomination par le parti. C’est lors de la Convention républicaine, tenue à Saint-Paul dans le Minnesota entre le 1er et le 4 septembre 2008, qu’il est officiellement désigné. À ses côtés, il choisit la gouverneure de l’Alaska Sarah Palin pour partager le ticket. Venue de l’aile droite du parti républicain, Palin est ultra-conservatrice. Mais c’est une femme, qui plus est mère de famille nombreuse, et cela semble suffire pour les stratèges du parti républicain  : l’objectif est de récupérer les électrices et électeurs d’Hillary Clinton.

Si ces nominations laissent présager un «  duel au sommet  » entre Obama et McCain, d’autres candidats, membres de partis tiers ou indépendants se déclarent. Il faut en effet compter avec l’indépendant Ralph Nader, le libertarien Bob Barr, le candidat du Parti de la Constitution Chuck Baldwin, ou encore Cynthia McKinney pour les Verts.

Obama  : l’espoir au programme

Le camp démocrate se range unanimement derrière ses candidats. Il faut dire qu’Obama est un candidat exceptionnel sur plusieurs points. Il est jeune et charismatique  : sa présence lors des rallies et meetings de campagne est inédite. Professeur de droit à Chicago, diplômé de Columbia et Harvard, il fait figure d’intellectuel. Mais, plus important encore pour la société américaine  : il est métis, de père kenyan et de mère originaire du Kansas.

Son émergence éclair interroge autant qu’elle fascine. Durant les primaires, certains membres de son propre camp voient sa candidature comme une manière de se lancer sur la scène nationale. Il est vrai que le jeune candidat, figure de la scène politique de son État de l’Illinois, ne s’est pas réellement fait de nom à l’échelle nationale, si ce n’est comme membre de l’équipe de campagne de John Kerry en 2004.

Sa ligne est libérale, ce qui le place aux yeux d’une partie de l’électorat américain comme étant à gauche de l’échiquier politique. Aujourd’hui, cette même ligne reprise par le candidat à l’élection présidentielle de novembre 2020, Joe Biden, apparaît davantage centriste, au regard de l’émergence de personnalités comme Bernie Sanders ou encore Alexandria Ocasio-Cortez, plus à gauche qu’Obama.

Cependant, pour l’époque, le démocrate adopte des positions tranchées qui séduisent l’électorat progressiste et insuffle un climat d’espoir et de rassemblement. Il souhaite mettre un terme à la guerre en Irak, engagement résolument original à la fin de la décennie 2000. Toute aussi radicale est sa vision de la mise en place d’une couverture santé universelle, mesure inédite dans un pays régi par l’individualisme.

Obama souhaite incarner la possibilité du changement, de l’optimisme, du possible. Avec son slogan «  Yes we can  !  » scandé et répété au point de devenir une marque de fabrique, il mobilise des masses de supporters et d’électeurs habituellement lassés des campagnes électorales, comme les jeunes et les noirs. Obama veut rassembler. Au-delà de l’homme, le symbole est fort  : après huit ans d’une présidence Bush va-t-en-guerre, qui a divisé les États-Unis plus qu’elle ne les a «  réunis autour du drapeau  », le candidat démocrate devient le symbole d’un pays qui aspire à l’union.

McCain et l’héritage pesant de huit ans de présidence Bush

Celui qui doit tenir tête à Obama s’appuie également sur un parcours et des atouts indéniables. John McCain est un vétéran de la guerre du Vietnam, durant laquelle il est blessé et prisonnier de guerre. Rentré dans son pays, il s’engage dans la vie politique en devenant représentant à la Chambre puis sénateur de l’Arizona.

McCain n’en est donc pas à son coup d’essai. Il compte une stature nationale depuis sa campagne lors des primaires de 2000, desquelles il sort défait par George W. Bush. Sa ligne est plus «  modérée  » que celle du président sortant, à l’égard duquel il a su se montrer très critique lorsqu’ils étaient rivaux. Cependant, cela ne va pas lui épargner les comparaisons, comme lorsque Barack Obama estime que passer de Bush à McCain revient à «  mettre du rouge à lèvres à un porc  »  : finalement, pour lui, tous les républicains se ressembleraient.

L’enjeu pour McCain est simple  : se démarquer et s’affirmer par le biais de positions claires. Sur la question de l’Irak, il se déclare en faveur du maintien de troupes sur place afin d’accompagner un processus de «  State building  » nécessaire à l’issue des hostilités. Il va jusqu’à proposer un maintien des troupes pour cinquante à cent ans, ce qui, naturellement, suscite l’indignation de son rival démocrate et de l’électorat hostile à la poursuite du conflit.

Face à l’ambitieux projet de couverture santé universelle défendu par Obama, McCain contre-attaque. Comme la plupart des détracteurs du candidat démocrate, il craint une hausse des mesures de réglementation de l’État fédéral à l’encontre du secteur privé des assurances de santé. Il défend de son côté une ouverture totale du marché de la santé afin d’encourager la concurrence dans ce secteur, sans action du gouvernement. Son plan repose sur l’octroi de crédits d’impôt progressifs aux particuliers et familles n’ayant pas de couverture santé garantie par leur emploi, ainsi que sur la mise en place d’un «  Plan d’accès garanti  » destiné à attribuer une couverture santé aux personnes précaires.

Être ou ne pas être présidentiable

Pour être crédible dans son propre pays, Barack Obama le sait, il faut l’être sur la scène internationale. Il multiplie ainsi les déplacements  : chez les alliés européens afin de leur montrer quel partenaire il pourrait être, mais également en zone de guerre en Afghanistan et en Irak, pour se projeter en tant que chef de guerre.

Obama devance McCain, et cela dure. Pour son équipe de campagne, il est important de consolider cette avance. Le candidat saisit l’opportunité de faire campagne autrement, et de toucher un électorat ciblé. Une stratégie numérique complexe est mise en place, une web campaign, en plus des efforts classiques d’un candidat à la présidentielle. Cette stratégie repose sur un principe simple  : utiliser le marketing pour proposer à des groupes déterminés d’individus des contenus personnalisés à partir des données recueillies sur eux, et ainsi adapter le message politique qui leur être adressé pour le rendre plus efficace.

De son côté, McCain continue les spots télévisés, bien moins efficaces et plus coûteux. Il souffre également des gaffes de Sarah Palin  : sa personnalité très «  cash  » la fait déraper plusieurs fois lors d’interviews, ce qui conduit l’électorat à interroger sa capacité à être vice-présidente et entraîne une baisse de confiance envers le ticket républicain.

Lorsqu’à la fin du mois de septembre la crise des subprimes éclate, les deux candidats s’emparent, chacun à sa manière, de l’enjeu. Lorsque le candidat McCain temporise, quelques jours après la faillite de la banque Lehman Brothers, en déclarant que le pays ne va pas «  mal  », son rival exploite ce filon  : McCain serait complètement déconnecté des réalités du pays, davantage inquiet pour l’avenir de la finance que pour celui des travailleurs. Le sénateur de l’Arizona semble tout de même préoccupé par les événements, au point de proposer à son rival de reporter le premier débat présidentiel prévu le 26 septembre, pour leur permettre de participer au déblocage d’un plan d’action d’urgence au sein du Congrès. Obama refuse. Il estime que les Américains ont particulièrement besoin d’entendre leurs candidats s’exprimer en temps de crise.

Au cours de l’automne, les 26 septembre, 7 et 15 octobre, trois débats télévisés voient les deux principaux candidats à la présidence s’affronter. Joe Biden et Sarah Palin se prêtent de leur côté à l’exercice le 2 octobre, devançant leurs running mates en termes d’audience  : 69, 9 millions de téléspectateurs, contre 57,4 millions en moyenne. À l’issue de chacun de ces débats, les sondages semblent indiquer que le ticket démocrate convainc davantage que le républicain. Cette tendance n’a, finalement, pas été renversée entre la fin des primaires et le jour de l’élection.

Une issue sans appel

Le 4 novembre, les électeurs se rendent aux urnes après une campagne intense et porteuse d’espoirs au sein de chaque camp. La mobilisation massive des électeurs montre bien une chose : les candidats n’ont pas failli à imposer l’idée qu’un champ de possibles était accessible par le vote. La participation atteint un taux record  : 131,3 millions d’Américains sont allés voter, soit 63 % des inscrits. Les États-Unis n’ont pas connu un tel score depuis 1960.

La force du nombre se reflète dans les résultats. Barack Obama est élu avec une nette avance sur son principal rival  : 52,93 % contre 45,65 %. En termes de grands électeurs, la victoire du démocrate est encore plus écrasante puisqu’il en remporte 365. McCain n’en compte que 173.

Plusieurs leviers ont rendu cette victoire possible. Obama a su mobiliser un électorat jeune. Il est plébiscité par les moins de trente-cinq ans. Il a aussi incité les électeurs noirs à se rendre aux urnes  : leur part dans la population mobilisée le jour de l’élection a augmenté de deux points par-rapport à l’élection de 2004, passant de 11 % à 13 % des électeurs. Les sondages réalisés à la sortie des bureaux de vote estiment que 95 % des électeurs noirs auraient voté pour Barack Obama. Il a également pu compter sur les voix des électeurs latinos, ceux issus des diasporas asiatiques, ou encore de la communauté LGBTQI+. Cependant, cette victoire n’aurait pas eu lieu sans une adhésion majoritaire de l’électorat blanc, et qui choisit de voter Obama à 43 %. Fait nouveau  : les ultra-riches dont le revenu dépasse 200 000 dollars annuels, optent pour Obama à 52 %. Le pari du «  candidat de l’union  » est réussi.

Obama re-dessine la géographie des élections. Il s’impose sur l’ensemble du territoire, sauf les États du Sud où les républicains sont traditionnellement ancrés. Il fait basculer plusieurs États réputés républicains dans le camp démocrate, à l’image du Delaware de Joe Biden, du district de Columbia, de la Floride, du Maryland, de la Caroline du Nord, de la Virginie. Il fait aussi basculer l’intégralité des États «  indécis  » de 2004 en sa faveur. Dans les états où McCain le devance, Obama reste meilleur que ses prédécesseurs, et ce grâce à la mobilisation de l’électorat noir particulièrement concentré dans le sud du pays.

Un climat d’euphorie s’installe dans les bastions démocrates. La victoire d’Obama fait date, elle est quasi-unanimement saluée comme marquant à l’histoire. Même son rival s’adresse à lui en ces termes. John McCain, reconnaissant sa défaite le soir de l’élection à Phoenix, en Arizona, utilise des mots forts pour féliciter indirectement celui qui l’a vaincu :

« C’est une élection historique (…) Je reconnais la signification particulière qu’elle a pour les noirs américains, la fierté qui doit être la leur ce soir. »

Quatre ans plus tard, Barack Obama est réélu. Il bat Mitt Romney et rempile pour un deuxième mandat. Sa présidence a enclenché des changements significatifs à la fois à l’échelle du pays et de l’ordre international. Son grand projet domestique, l’Obamacare, est la promesse de campagne d’une couverture santé «  universelle  » qui se réalise. Son administration permet également la légalisation du mariage entre personnes de même sexe, mesure révolutionnaire dans un pays encore marqué par le conservatisme, et l’homophobie qu’il engendre.

A l’international, Obama s’apparente à un «  ovni  ». Ni tout à fait libéral, ni réaliste, ni idéaliste mais plutôt tout à la fois, il conduit la politique étrangère des États-Unis à l’instinct, se fiant à ses convictions lors de crises, comme lorsqu’il décide de ne pas déclencher d’intervention américaine en Syrie après l’usage d’armes chimiques sur la population par le régime. Obama tient ses promesses  : il enclenche le retrait des troupes américaines d’Afghanistan puis d’Irak. Il participe aux démarches d’encadrement des projets nucléaires iraniens, aux côtés, notamment, des partenaires européens. Il se détourne du Moyen-Orient, jette des ponts vers l’Asie. Son équipe est également l’artisan du rapprochement historique avec Cuba. Ancré dans son époque, il affiche enfin sa conviction de l’urgence de l’enjeu climatique lors de la COP21, tenue à Paris.

Alors que son successeur, Donald Trump, se plaît à déconstruire son œuvre depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Barack Obama reste très présent dans la vie politique de son pays. Si l’exercice du pouvoir a conduit une partie de son électorat à estimer qu’il n’en aurait pas «  fait assez  », il incarne encore l’image d’un président progressiste, surtout hors des frontières du pays. À la suite de son départ en 2016, le parti démocrate peine à se renouveler  : c’est Hillary Clinton qui est désignée pour tenter de lui succéder, et cela ne suffit pas.

Aujourd’hui, après quatre ans de présidence Trump, le parti démocrate tente de ressusciter la «  ligne Obama  » en propulsant en première ligne Joe Biden, son ancien vice-président, au détriment de nouvelles tendances, marquées plus à gauches, incarnées par Elizabeth Warren ou Bernie Sanders. Ceci montre bien une chose  : Barack Obama continue de fasciner, au point que sa success story constitue une sorte de modèle à reproduire ou prolonger.

You may also like

More in SOCIÉTÉ