Paul Vecchiali © Clément Simon pour Maze.fr
En haut des marches, le cinéaste Paul Vecchiali nous accueille dans un appartement parisien pour la sortie d’Un Soupçon d’amour. À 90 ans, il signe l’un de ses plus beaux films et reste une parole précieuse dans le cinéma français.
Nous avions rencontré Paul Vecchiali chez lui, dans le Sud, en 2018. L’entretien s’était étalé sur plusieurs heures afin de bien rendre compte des fils qui se tissaient au sein d’une oeuvre importante dans le paysage cinématographique français. L’homme n’est pas avare en anecdotes, en réflexions parfois tranchées sur des cinéastes et des films. Ce qui le rend d’autant plus précieux, c’est son rôle dans l’aventure Diagonale, maison de production qu’il fonde en 1976. On y retrouve des cinéastes qui ont toujours habité la marge comme Jean-Claude Guiguet ou Marie-Claude Treilhou. En ce sens, Paul Vecchiali voulait fédérer des énergies créatives à toutes les étapes de fabrication d’un film, de la production au montage en passant par le coin traiteur.
Le décor d’une scène du film Le Cancre nous sert d’espace pour échanger sur Un Soupçon d’amour. Deux ans après avoir tourné deux films en même temps, Paul Vecchiali parle à nouveau de deuil, ou plutôt de sa vision du monde peuplé de fantômes. On y revoit Marianne Basler qui retrouve une lumière aussi belle que celle de Rosa la rose, fille publique, tourné il y a plus de trente ans. Le film nous balade à travers les genres et ne s’offre à nous qu’après plusieurs visionnages. « Ce n’est pas mon film, c’est le tien » comme n’a cessé de dire Paul pendant l’interview. À votre tour désormais.
A partir de quand remonte le projet d’Un soupçon d’amour ?
Paul Vecchiali : On va dire que cela remonte à 1953. Je n’arrivais pas à écrire ce film donc je suis passé par la forme du roman. Il s’intitule Marie-Christine. Ce sont les éditions d’Halluin qui m’ont contacté après l’écriture de mon deuxième roman et qui ont décidé de sortir Marie-Christine mais sans jamais passer par les librairies. Ils m’ont fait payer sans faire leur travail. J’étais tellement heureux de sortir un roman que je me suis laissé faire. Après, je voulais écrire cette histoire pour le cinéma mais je n’arrivais pas à imaginer un acteur jouer mon propre rôle. C’est en me levant du lit, un matin, que l’idée m’est venu de proposer le rôle à une femme. J’ai immédiatement appelé Marianne Basler et si elle avait refusé le rôle, je n’aurais jamais tourné Un Soupçon d’amour. En trois jours, j’ai écrit le scénario. Ça aurait été une erreur de le faire beaucoup plus tôt.
La première image nous propose une absence. On y voit un transat disposé dans un jardin et la musique de Roland Vincent vient contre-balancer ce vide angoissant. L’image suivante fait émerger le visage de Sonia Saviange, ta sœur disparue. Qu’est-ce qu’elle représentait pour toi ?
Le dernier carton donnera l’explication aux spectateurs. C’est une façon de nous retrouver. Elle a perdu son enfant dans les années 1940 après un mariage avec un type en 1946. L’enfant a vécu six heures. Deux mois après, elle divorçait. Quand on était enfant, Sonia voulait devenir comédienne et moi réalisateur. Comme elle aimait beaucoup les hommes, elle a fait son conservatoire à Toulon et n’a pas continué dans cette voie. Elle est rentrée d’Algérie et elle a joué dans mon premier court-métrage qui s’intitule Les Roses de la vie (1962).
Tu dédies ton film à Douglas Sirk. Pourquoi ce choix ?
Je n’aime pas tout son cinéma mais il y a deux films qui comptent beaucoup pour moi, ce sont Le Temps d’aimer et le temps de mourir et Mirage de la vie. Dans Un Soupçon d’amour, je mets en avant le mélodrame et c’est une donnée que l’on retrouve dans certains de ses films.
Si le mélodrame est en première ligne, tu utilises d’autres genres comme le fantastique pour provoquer des ruptures de ton.
Il y a de l’angoisse, du romantisme et pardon de le dire, quelques plans sublimes. Lors de la séquence du téléphone, quand Marianne Basler demande à Jean-Philippe Puymartin de décommander le dîner, la lumière passe au travers du téléphone. J’ai pleuré sur le plateau quand j’ai vu le résultat. Ce sentiment n’arrive pas à tous les films, c’est une communion parfaite entre l’opérateur, les techniciens et les acteurs. Qu’est-ce qui aurait pu me donner autant de joie que de faire du cinéma ? Un enfant, peut-être. Il y a une chose bizarre dans la vie. Quand l’idée d’abandonner le cinéma me traversait l’esprit, quelque chose a empêché ce projet.
Tu as tourné plusieurs films avec Marianne Basler depuis le très beau Rosa la rose, fille publique en 1986.
Si on parle de Marianne, il faut raconter notre rencontre. J’ai rêvé un film entièrement avec tous les acteurs sauf la présence de Marianne Basler et du personnage de Rosa. À midi, tout était fini. J’ai modifié la fin de mon rêve en terminant le film dans sa chambre plutôt qu’à l’hôpital. J’ai fait mon dossier pour le CNC l’après-midi et j’ai envoyé un ami porter le dossier. C’est l’ex-femme de Roland Vincent qui m’a suggéré de prendre Marianne Basler pour le film. On lui téléphone et elle arrive de suite pour signer le contrat. Marianne m’a bouleversé à la fin d’Un soupçon d’amour. Quelle actrice peut faire ce qu’elle fait à la fin du film ? Aucune. C’est la meilleure actrice du cinéma français et personne ne le sait.
Et la rencontre avec Jean-Philippe Puymartin ?
Je l’ai rencontré dans les années 1980 pour la pièce La Parisienne. Je voulais le faire au cinéma avec Nicole Courcel. Un jour, Jean-Pierre Vincent me demande de venir à La Comédie française. J’avais vu une pièce d’Henry Becque où Dominique Constanza tenait un rôle secondaire. Elle avait un rire extraordinaire et j’adorais cette pièce. Jean-Pierre Vincent me propose donc de mettre en scène La Parisenne. Il m’a imposé Dominique Constanza, Gérard Giroudon et Jean-Philippe Puymartin. Ce dernier était tout jeune. Depuis, on a tourné plusieurs films ensemble. Dans la dernière scène d’Un Soupçon d’amour, Jean-Philippe est fabuleux.
Il y a un moment passionnant de mise-en-scène dans Un Soupçon d’amour. Le personnage de Marianne Basler doit emmener son fils à l’école. Elle est face à la caméra et son enfant la rejoint par sa gauche. Tu cadres le visages de l’enfant avant d’effectuer un panoramique sur le ventre de la mère puis sur son visage. Cet accouchement inversé est d’une violence terrible.
Tu es la première personne à avoir vu ça. Quand on filme, il y a des choses inconscientes qui filtrent et puis il y a des plans très précis mais on se moque de savoir si ça va être reçu ou non. C’est l’un des secrets du film qui vient renforcer une des lignes narratives.
Ce qui est très beau dans ton film, c’est la façon dont tu joues du triangle amoureux. Le personnage de Fabienne Babe, si elle reste la maîtresse de Jean-Philippe Puymartin, est aussi la confidente du personnage de Marianne Basler. Il n’y pas de lutte mais une solidarité au sein du trio.
Je crois que c’est vraiment le premier film où deux rivales sont complices. Il y a un moment du film qui trahit légèrement cet idylle, c’est pendant la séquence chantée. Le personnage de Marianne balance une phrase à Fabienne avec beaucoup de dureté dans le regard. Personne n’est dupe de cette relation à trois.
Tu fais une courte apparition dans cette séquence musicale. Pourquoi à ce moment précis du film ?
On a fait les enregistrements des chansons chez Roland Vincent. Il nous a fait écouté la musique hip-hop. J’ai toujours aimé danser et c’était une passion partagée par la fille avec qui je vivais dans le Var. Quand il a envoyé la musique, on s’est mis à danser avec Fabienne. Roland m’a indiqué de le faire dans le film et, pour moi, il fallait y ajouter un trait d’humour. Fabienne me souriait tellement pendant le tournage de cette scène que j’ai décidé de la rejoindre pour la deuxième prise.
Tu utilises la pièce de théâtre Andromaque comme révélateur des sentiments de tes personnages. Jacques Rivette utilise ce même procédé pour L’Amour fou. Tu as vu ce film ?
Non, je n’aime pas beaucoup son cinéma. Duelle est un film très réussi mais Ne touchez pas à la hache est une catastrophe. Je trouve que son cinéma est un peu du chantage à l’art. On étire les plans par simple envie, sans aucune justification. Son film clé qu’est La Belle noiseuse ne fonctionne pas du tout sur moi. Cela dit, Rivette m’a toujours soutenu.
Il y a une citation que l’on utilise souvent pour évoquer ton cinéma, c’est celle de François Truffaut où il dit que tu es le seul héritier de Jean Renoir. Si la formule est flatteuse, il me semble qu’elle découle d’une certaine paresse critique.
Il a prononcé cette phrase après la sortie du film Les Ruses du diable. La part de vérité dans cette phrase, c’est notre attachement commun à traiter la puissance des sentiments mais je ne travaille pas sur la caricature, contrairement à certains films de Renoir. Un personnage méchant est un personnage inachevé et je crois que l’on en retrouve plusieurs dans son cinéma. Il faut toujours donner une chance à ses personnages. Par exemple, il ne donne aucune chance au personnage féminin dans La Chienne.
Truffaut travaille beaucoup sur les formules et il se trouve que je n’aime pas ses films à part Les Deux Anglaises et le continent. Je déteste profondément Les Quatre Cents Coups. Il y a quelque chose que je ne lui pardonnerai jamais, c’est d’avoir fait La Sirène du Mississipi.
Annie Cordy vient de nous quitter, elle faisait une belle apparition dans ton film intitulé Le Cancre (2016). Quels souvenirs gardes-tu de cette relation ?
C’était une femme géniale. Sa nièce, Yvette, m’écrit régulièrement. Nous nous appelions souvent avec Annie. Quand on a tourné Le Cancre, elle avait plus de quarante de fièvre donc elle n’arrivait pas à retenir son texte. Honnêtement, je n’aime pas trop cette séquence car elle ne devait jamais me regarder. J’ai donc du rajouter des plans de coupe sur moi pour correspondre à son regard. Cela me gène quand je revois le film mais comme les gens aiment cette scène, je ferme ma gueule (rires). Je n’ai pas pu la diriger, elle a fait ce qu’elle a voulu. C’était bluffant de la voir bouger la tête pour récupérer les antisèches disposés dans la pièce. J’aurais aimé la voir à nouveau dans un de mes films.
Quels sont tes projets à venir ?
Pas de quartier est le prochain film que je vais tourner. Il me reste à trouver de l’argent mais ça ne devrait pas être un problème. J’ai écrit pour Isabelle Huppert un scénario qui s’appelle L’Étrange abécédaire de madame z mais je ne sais pas si ça se fera. Je pense à Josiane Balasko et Catherine Deneuve pour jouer aussi dans le film. C’est l’histoire d’une dame âgée qui vient de perdre son mari. Le film s’ouvre sur l’enterrement avant de rejoindre le repas de famille. On commence à lui dire de quitter sa maison et dans un élan de rage, elle fout sa famille à la porte. Elle monte dans sa chambre et fouille dans la bibliothèque de son défunt mari. Elle tombe sur un recueil de poèmes où se trouve une dédicace : « de A à Z, avec tout mon amour », Z étant la première lettre du nom de son mari. Chaque séquence commence par une lettre de l’alphabet. C’est une grosse comédie. Pour le reste, on verra ce que le temps nous accordera.