@ Manuel de civilité biohardcore, Antoine Boute, Stéphane De Groef et Adrien Herda, co-édition Tusitala et Frémok, 2020
Un ovni a débarqué fin août aux éditions Tusitala sous forme d’une grande BD en couleurs à l’humour naïf-trash qui rappelle celui de Joan Cornellà. Antoine Boute, Stéphane De Groef et Adrien Herda dévoilent leurs astuces pour réparer le monde.
Dès l’ouverture, le livre rappelle ce bon vieux dépliant d’avion expliquant les réactions à avoir en cas de crash, ce manuel avec les bonshommes très peu inquiets qui sourient quand, l’avion en feu, ils descendent sur les fesses le toboggan de secours. Le crash de ce nouveau manuel, à la fois semblable et contraire à tous les autres, c’est le progrès. Le livre dénonce, entre autres, les injonctions à la déforestation, à la production de masse et à la déshumanisation qui s’accumulent avec le temps.
Avec un goût évident pour le trash et la violence, le guide dévoile des solutions chocs pour répondre aux horreurs du XXIème siècle, comme dans un élan de désobéissance civile de l’extrême. Il nous est proposé, par exemple, de commercialiser les larmes des pauvres pour en faire des piscines pour riches, de prendre le contrôle d’un python et de lancer une révolution écologique ou encore de se faire élire pour transformer toutes les voitures du monde en serres bios. Par un humour décalé, les auteurs touchent à des questionnements actuels urgents : l’écologie, l’antispécisme, la surconsommation, la surburbanisation, etc.
A l’aide d’une forme qui rappelle certains manuels pédagogiques pour enfants, c’est une caricature biohardcore du progrès capitaliste et scientifique qui est à l’œuvre ici. D’ailleurs, les auteurs se désolidarisent totalement de la notion d’efficacité liée au progrès, lui préférant la glande : “La juste glande c’est arriver à exister juste dans l’axe du progrès planétaire cosmique inéluctable et évident : c’est l’évidence logique du vivant“. Le progrès existe, c’est un fait, mais il est possible de vivre à contre-courant. Alors “il ne reste plus qu’à plier les enjeux de la carapace technoscientifique à l’évidence de la juste glande biohardcore et le tour est joué”. Pas si difficile finalement.
Au-delà de l’humour criant et déformant du manuel, une vraie poésie s’y développe jouant autant avec les jargons technoscientifiques des start-ups qu’avec ceux des anticonformistes anarchistes. Dans le grand carnaval des images et des sens qui s’ébat sous l’explosion des couleurs et des combinaisons loufoques, des phrases – criantes de vérité – touchent juste. L’ “ensauvagement du monde“, tel qu’il est prôné ici, passe par une prise de conscience de l’absurde de la situation actuelle. Plus absurde que toutes les propositions déjantées des auteurs, même celle de tuner une décharge chimique pour y attirer des sanglochons sauvages et “foutre un beau bordel“. Et si les plans d’action de ce livre ne sont pas réellement applicables, que reste-t-il donc à faire ? “C’est quand même pas compliqué, il faut tout arrêter”.
Finalement, nous pensons que la quatrième de couverture résume parfaitement la lecture du manuel à l’étrange lucidité décalée : 1) De bonne humeur et désespéré, lire ce livre. 2) Chialer à jamais. 3) Faire un tas global avec la misère du monde local. 4) Disparaître. Rigoler.
Jusqu’au 19 septembre une exposition pour la sortie du Manuel de civilité biohardcore se tient dans le 11e arrondissement. Allez la voir ce dimanche.