© Martin Argyroglo.
Lucie Brunet, François Gorrissen, Manu Laskar, Nicolas Le Bricquir, Gwenaël Morin, Nicole Mersey-Ortega, Richard Sammut, Kay Zevallos-Villegas, dans Le théâtre et son double.
Jusqu’au 3 octobre, Gwenaël Morin met en scène à Nanterre-Amandiers le célèbre texte théorique d’Antonin Artaud Le théâtre et son double. Il se livre avec 6 comédiens et comédiennes à une étrange expérience, dans la droite lignée de ce texte fondateur et halluciné.
Gwenaël Morin est un metteur en scène pour qui le texte est un élément central. Mais cette fois-ci, il ne s’attaque pas à un texte de théâtre, mais à un texte sur le théâtre. En effet, Le théâtre et son double, une série d’essais écrite par Antonin Artaud et publié en 1938 est l’un des ouvrages les plus importants, et l’un des plus étranges, pour le théâtre contemporain. Critiquant le parti pris illusionniste, la place centrale du texte, Antonin Artaud plaide dans cet essai pour l’avènement d’un théâtre moins intellectuel, plus sensible, plus spirituel, en se référent à des traditions théâtrales non occidentales. Créer un spectacle sur ce texte est donc un véritable défi, qu’a tenté de relever Gwenaël Morin, avec plus ou moins de succès.
Une expérience déstabilisante
Le théâtre et son double est loin d’être un spectacle classique. Le public y fait l’expérience du texte d’Artaud, une expérience empirique et collective, forcément déstabilisante. Sur scène, les acteurs et les actrices ne cessent de multiplier les approches du texte, ce qui forme un ensemble fragmenté, chaotique dans lequel il est difficile de trouver un sens. Mais pour accéder à la vraie force de cette proposition, il faut sans doute abandonner nos réflexes de spectateurs, renoncer à comprendre ce qui se déroule sous nos yeux et se laisser guider par les comédiens, qui semblent redécouvrir différents procédés scéniques (le chant, les ombres…).

Une fois la rationalité mise de côté, on perçoit enfin le projet d’Antonin Artaud, décliné, détourné, appliqué sur scène. La profération d’un texte est succédé par une incantation, une course-poursuite par des cris de douleurs et la figuration d’une agonie. Le public est également parfois invité à participer, à se lever, à lire un morceau de texte, à communier avec la troupe. Le spectacle laisse un sentiment de perplexité, d’autant plus que Gwenaël Morin, présent dans la salle participe à la performance, l’interrompt, la fait rejouer, et décide quand la terminer.
« Oui, c’est un chaos et il faut trouver la manière de respecter ça, le faire entendre comme tel sans pour autant placer le spectateur face à une œuvre trop opaque, qui ne peut qu’échapper et qu’on ne peut que contempler. »
Gwenaël Morin, entretien pour Nanterre-Amandiers
De l’essai à l’incantation
Chacun des comédiens et chacune des comédiennes va prendre en charge une partie de texte, à différents moments du spectacle. La rapidité de leur diction opère une sorte de fascination : le texte devient difficile à suivre, il nous fatigue presque, nous fait perdre le fil. Néanmoins, la puissante simplicité du dispositif nous ramène à une sorte d’état zéro du théâtre : une personne vient déclamer une parole devant une assemblée.
Néanmoins, par ce choix, le texte devient central et circonscrit les expériences vocales, sensibles, à des intermèdes qui viennent couper le flot de paroles. La profération du texte empêche certes toute tentative de compréhension et d’analyse, mais la puissance de la diction place néanmoins ces moments de texte sur un tout autre plan que les expérimentations scéniques. Ainsi, la langue d’Artaud est respectée, le spectacle produit ce même effet de flot dans lequel on ne peut que se perdre, au détriment d’un projet essentiellement scénique, dont on attendrait un plus grand engagement physique de la part des acteurs.
Une cérémonie spectaculaire

Tout dans ce projet atypique ramène à une dimension rituelle, presque religieuse. À commencer par l’impressionnant décor conçu par Philippe Quesne. Public et acteurs se retrouvent en effet dans une immense bulle de plastique blanc qui recouvre l’intégralité de la scène, du sol jusqu’aux cintres. La forme rappelle celle d’une nef et la hauteur de la bulle fait résonner les sons dans une acoustique semblable à celle d’une cathédrale. C’est sans doute dans le décor qu’on peut lire le véritable projet du spectacle.
« Pour traiter cette langue qui, forcément, impressionne, qui peut placer le lecteur ou l’auditeur dans un rapport quasi religieux à elle, nous avons donc choisi la voie du rituel, d’une sorte de messe athée qui permet cet assemblage des matières en en réactivant la puissance, la dimension performative. »
Gwenaël Morin, entretien pour Nanterre-Amandiers
Le théâtre et son double propose donc une expérience particulière, celle d’approcher au plus près la pensée d’Antonin Artaud. Sur cet aspect, le spectacle réussit parfaitement à conjuguer scénographie, jeu, et texte pour parvenir à faire sentir au public l’opacité du programme théorique tout en proposant des solutions scéniques. Néanmoins, saisir ce projet demande une maîtrise importante des codes théâtraux et du texte d’Artaud. Le spectacle risque en fait à tout moment de se complaire dans des développements intellectuels et oublie souvent une dimension essentielle : la scène. Les expériences proposées par les comédiens sont souvent très simples, attendues et ressemblent davantage à un exercice scolaire qu’à une véritable réflexion sur les possibilités qu’offre le théâtre.

Le théâtre et son double, conception et mise en scène Gwenaël Morin, du 22 septembre au 3 octobre 2020 à Nanterre-Amandiers. Informations et réservations