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« Jusqu’ici tout va bien » – L’école Kourtrajmé s’expose au Palais de Tokyo

© Le Pacte

Au palais de Tokyo, l’exposition «  Jusqu’ici tout va bien  » réunit les travaux réalisés par les élèves de l’école de cinéma Kourtrajmé à l’occasion des 25 ans de La Haine de Mathieu Kassovitz. 

«  Jusqu’ici tout va bien  », c’est avant tout une réplique devenue culte : cette phrase, c’est celle que l’on répète pendant une chute où tout va effectivement bien, jusqu’à l’impact final. Désormais, Jusqu’ici tout va bien c’est aussi une exposition où les curateurs sont plus connus que les artistes présentés. Côté curateurs, en plus du commissaire Hugo Vitrani, on retrouve plusieurs noms d’une même bande, que du lourd : les cinéastes Mathieu Kassovitz et Ladj Ly ainsi que le photographe JR. Coté artistes, de jeunes étudiants de l’école de cinéma Kourtrajmé, fondée par Ladj Ly à Clichy-sous-bois en 2018, invités à revisiter le film de 1995 La Haine

Inégal 

Le format du workshop est propice à mettre en évidence l’inégalité d’une sélection d’œuvres. Celui des élèves de Kourtrajmé n’échappe pas à la règle et peu de propositions parviennent à sortir du lot en dépit des efforts de leurs auteurs pour imprégner la rétine des visiteurs et se différencier. Une grande diversité de formats est convoquée de la peinture aux écrans de télévision et de téléphone en passant par les installations et la photographie. Mais la majorité des œuvres pêchent par manque de cohérence ou d’originalité. Ainsi, toutes les photographies présentées peinent à faire oublier le travail de Monsieur Bonheur (nom d’artiste de Marvin Bonheur) et surtout de de Mohamed Bouroussia. Les travaux qui semblent s’échiner à éclairer certains des pans de l’histoire laissés volontairement dans l’ombre par scénario du film — et qui en font parfois sa force — interrogent également. Pourquoi créer une fresque sur la vie supposée du personnage d’Adel — celui qui, dans le film, meurt à la suite d’une altercation avec la police — ou la chambre imaginée de la soeur d’un des personnages principaux à peine présente dans le film comme tous les personnages féminins ?  Pour cette dernière œuvre, c’est aussi la rigueur de la reconstitution qui questionne : un minitel dans une chambre d’adolescente de 1995 ? Une affiche d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick à côté de celle de Titanic — sorti en 1997 — de James Cameron ? Pour une œuvre censée révéler un personnage, elle brouille les lignes plus qu’autre chose. 

Mais certaines œuvres s’imposent naturellement, peut être parce qu’elles parviennent à se mettre à bonne distance de la commande imposée. On retiendra ainsi deux propositions qui interrogent avec humour les rapport des «  jeunes de cité  » à la police. La première consiste en une piñata en forme de voiture de police remplie d’objets trouvés dans la rue et qui déclenche effectivement une irrésistible mais ludique envie de taper dedans. Dans la deuxième œuvre, une vidéo, un des élèves entreprend de réaliser le rêve des personnages du film de Matthieu Kassovitz : parvenir à taguer une voiture de police sans se faire arrêté. Équipé d’une caméra go-pro et d’un vélo, on le suit dans sa très stressante aventure : peindre une bonhomme désarticulé à l’arrière d’un kangoo de la police. 

Enfants de La Haine 

Mais ce sentiment de légère insatisfaction qui persiste à la sortie de l’exposition ne se transforme pas en aigreur vis-à-vis des artistes. Après tout ils sont jeunes, ont le temps de faire leur preuve — et probablement ailleurs que dans une musée d’art contemporain. C’est à la commande et à ceux qui l’ont imposée que l’on a envie de s’en prendre. Parce que ce qui dérange vraiment, ce qui met sincèrement mal à l’aise, c’est le thème imposé et cette exigence de vénération pour La Haine comme l’impératif de tisser des liens avec Les Misérables de Ladj Ly afin de mieux consacrer les deux œuvres. On ne peut s’empêcher de penser que ces jeunes artistes ne sont finalement qu’utilisés pour célébrer leurs ainés et on s’en veut presque d’être complice d’une manoeuvre si pleine d’égocentrisme. Quel genre d’école prétend, en 2020, former des artistes en leur imposant des figures totémiques aussi indépassables ? Il ne s’agit pas de critiquer une école qui formaterait à un certain style, un canon précis ou à une manière d’être (car c’est le lot de toutes les écoles dans le champ de l’art comme ailleurs). Mais quid de ces élèves qui ne seraient finalement pas des «  enfants de La Haine  », qui penseraient qu’il y autre chose à dire sur “les jeunes ” et les banlieues voire autre chose à dire tout court ? À ça malheureusement l’exposition, qui se termine sur une reconstitution de cellule de prison, n’offre qu’une impasse.

Exposition Jusqu’ici tout va bien, jusqu’au 7 septembre au Palais de Tokyo, 13 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris. Tous les jours sauf de mardi de 12h à 21h. Tarifs : 12€ adulte, 9€ 18-25 ans. Toutes les infos

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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