© Martin Argyroglo, Anne-Élodie Sorlin, Thomas Scimeca, Maxence Tual, Leslie Bernard, dans Jamais labour n’est trop profond.
Du 22 au 27 septembre à Nanterre-Amandiers, Thomas Scimeca, Anne-Élodie Sorlin et Maxence Tual se posent une question essentielle : comment faire du théâtre en temps de crise ? Des costumes aux décors en passant par les textes et les personnages, la troupe semble faire du recyclage un nouveau langage scénique.
Thomas Scimeca, Anne-Élodie Sorlin et Maxence Tual se sont rencontrés au sein de la troupe des Chiens de Navarre. De cette expérience commune, ils ont gardé le goût de travailler ensemble et proposent avec Jamais labour n’est trop profond, une série de tableaux, écrits et mis en scène collectivement, pour explorer le thème de l’écologie. Sur la scène transformée en temple de la décroissance, les comédiens se livrent à une exploration intime et artistique de ce qui fait le théâtre aujourd’hui, et de ce qu’il pourra en rester.
De Molière à Coline Serreau
Les trois artistes sont partis de leurs propres questionnements sur l’écologie pour construire le spectacle. En tant qu’acteurs, ce sont aux personnages qu’ils s’intéressent : collapsologues, scientifiques, activistes ou rêveurs peuplent une scène dénudée, propice à toutes les improvisations. Le spectacle s’ouvre ainsi sur une discussion téléphonique aux toilettes, Thomas Scimeca discute avec son agent qui le submerge d’informations pour son prochain tournage, et lui fait miroiter une rémunération non négligeable. Mais voilà, il est désormais loin des tentations capitalistes, comme lui rappelle Maxence Tual, qui brise son téléphone et applaudit sa libération. Mais que vient faire un comédien sur le terrain de l’écologie ?
« Tout est parti d’un film documentaire de Coline Serreau, Solutions locales pour un désordre global, qui nous a pas mal bouleversés. […] Pour autant, il n’était pas question de se lancer dans du théâtre documentaire, mais d’investir à notre manière les thèmes, les enjeux, les personnages du film. »
Thomas Scimeca, entretien pour Nanterre-Amandiers
Le spectacle ne traite donc pas d’écologie à proprement parler. Il construit une douce poésie, moqueuse, mélancolique parfois, théâtrale toujours, qui détourne les discours alarmistes en de drôles tirades absurdes. Ainsi, la course à l’énergie devient un gag scatologique à répétition, le principe du recyclage est appliqué à la lettre : décors, costumes, tout vient d’autres spectacles, d’autres créations. Les comédiens, « quarantenaires dépressifs » – selon Maxence Tual – ont le bon goût de se tourner eux-mêmes en dérision en rêvant d’un retour à la terre, eux qui n’ont jamais connu autre chose que la vie urbaine.
Ces douces moqueries s’adressent aussi au public, à qui il est demandé à de multiples reprises de participer à la création de l’électricité du spectacle… en allant déféquer dans les toilettes sèches sur scène. La blague n’est pourtant pas si bête qu’il y paraît, Jamais labour n’est trop profond interroge aussi notre place d’observateurs, notre inaction, face au spectacle et face aux événements. Le topos scatologique est donc le point pivot entre la farce légère et la réflexion, entre la terre et l’humain, entre l’intimité et le projet politique.
Théâtre et crises
Jamais labour n’est trop profond cherche avant tout à répondre à la question angoissée de ce qu’il reste ou restera du théâtre à l’orée de la crise écologique. Anne-Élodie Sorlin convoque ainsi le texte Prométhée d’Eschyle dans le noir de la coupure de courant, devant ses camarades qui réclament un peu de poésie. Le spectacle parvient ainsi à soulever la question de la vanité de l’art lors d’une scène de tournage chaotique tout en maintenant le caractère essentiel de la beauté et de la poésie en toute situation.
« On n’a pas voulu faire un spectacle apocalyptique. Ce qui nous a animé tout au long de nos recherches, c’est le besoin de vérifier que la beauté n’est pas morte. »
Thomas Scimeca, entretien pour Nanterre-Amandiers
La troupe nous mène ainsi de scène en scène en alternant discussions prosaïques et moments hors du temps. Un tableau dystopique montrant une famille bourgeoise retranchée dans un bunker high-tech se conclut ainsi par une tirade amoureuse, bien éloignée du cynisme précédent. La satyre politique s’attaque au pessimisme, à la collapsologie, à l’hypocrisie et renoue ainsi avec une tradition théâtrale moliéresque. Mais bien loin de produire un discours désabusé, la moquerie s’efface toujours dans l’absurde, la beauté et la poésie.
Le spectacle redonne ainsi un espoir formidable dans les capacités et les moyens du théâtre. Avec rien ou presque, les deux actrices et les deux acteurs parviennent à nous transmettre une large palette d’émotions et créent des images formidables. Assister à Jamais labour n’est trop profond est une expérience nécessaire en ces temps troublés, car on y retrouve un souffle étonnant et une forme de foi en l’avenir.
Jamais labour n’est trop profond, conception et mise en scène Thomas Scimeca, Anne-Elodie Sorlin, Maxence Tual, du 22 au 27 septembre 2020 à Nanterre Amandiers. Informations et réservations. Saison 2020-2021 à suivre pour de nouvelles dates en France