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Initialement prévu en avril, le festival du moyen métrage de Brive-la-Gaillarde s’est tenu cette année, de manière resserrée du 28 au 30 août. Cela n’a pas empêché le public de faire salle comble, et les vingt films en compétition ont subjugué par leur audace et leur inventivité. Tour d’horizon du palmarès et des coups de cœur de ces productions au format méconnu.
Fondé en 2004 par Katell Quillévéré et Sébastien Bailly, le festival du moyen métrage de Brive propose une sélection de films d’une durée comprise entre 30 et 60 minutes, et s’impose comme l’événement de l’année pour ce format, qui ne demande qu’à gagner en visibilité. Unique en son genre en France, il a permis de distinguer de nombreux cinéastes tels que Dyana Gaye, Yann Gonzalez, Bertrand Mandico, Justine Triet ou encore Vincent Macaigne. Pour la première fois, les films en compétition ont été également projetés au Luminor Hôtel de Ville à Paris, où un prix du public a été institué pour l’occasion, faisant davantage connaître et rayonner le moyen métrage.
Pour cette édition, le jury présidé par Bertrand Bonello (Saint Laurent, Le Pornographe) et composé de Vimala Pons, Nicolas Pariser et Calypso Valois, a décidé de remettre le Grand Prix au réalisateur brésilien Affonso Uchôa, pour son œuvre Sete Anos Em Maio, qui fait la lumière sur les bavures policières subies par les descendants d’esclaves au Brésil. Déjà récompensé au festival suisse Visions du Réel, cette fable politique impressionne par la justesse dans la retranscription de la violence, qui réside en grande partie dans la remémoration du traumatisme.
Le cinéma lusophone est à l’honneur cette année à Brive, avec Ave Rara du réalisateur portugais Vasco Saltao, qui remporte le prix de la distribution. Ce prix est partagé ex-æquo avec L’Ultimu Sognu de Lisa Reboulleau, et tous deux sont marqués par une forte dimension onirique.
Franc succès pour l’art du portrait
« Expérience numéro 1 : Faire manger un micro à un chien. Un chien slovaque. ». Ces paroles sont celles sorties de la bouche de Felix Kubin, placé sous la caméra Super16 de Marie Losier pendant 5 ans, de 2013 à 2018, aboutissant à Felix in Wonderland. Assurément, il s’agit d’un coup de cœur du festival. Après avoir réalisé certains portraits comme The Ballad of Genesis and Lady Jaye ou Cassandro the Exotico !, la cinéaste se penche cette fois-ci sur un artiste allemand de musique électronique complètement barré et sans limite, Felix Kubin, pour qui chaque objet, chaque surface, tout son environnement, peut être matière à créer des sons. Par l’alliage de son univers musical au cinéma, la bande originale du documentaire devient magique et débridée. Il se forme une fusion entre le sujet et le documentariste, comme si l’ascendant de l’un sur l’autre, tel qu’on le voit parfois, n’avait plus lieu d’être, et nous immerge ainsi dans le quotidien extravagant du musicien. Cela vaut à sa réalisatrice le prix Ciné+, qui verra ainsi pour la première fois l’une de ses créations sur petit écran.

Le portrait, sous forme de fiction cette fois-ci, il en est question dans Jusqu’à l’os de Sébastien Betbeder, où un pigiste du Courrier Picard s’essaie à faire celui d’un candidat défait aux municipales amiénoises, « Usé ». Ce dernier, incarné par Nicolas Belvalette, s’est réellement présenté aux élections en 2014, sous l’étiquette du Parti Sans Cible, avec pour objectif principal de rouvrir un local, l’accueil froid. Les compositions déjantées d’Usé, également musicien, et qui forment la bande originale, mais aussi la méthode de filmage, très naturelle, contribuent à créer un pont permanent entre la réalité et la fiction. Quoi qu’il en soit, Jusqu’à l’os a séduit le public briviste, qui lui a accordé son prix.
« Amiens c’est quoi pour vous ? – C’est un peu comme Detroit je trouve ».
Jusqu’à l’os, Sébastien Betbeder, 2019
Le prix du public parisien, quant à lui, revient à Carmen Leroi avec Pour Elsa, présenté pour la première fois sur grand écran. Spatialement situé dans le treizième arrondissement, le film à l’intrigue attrayante met en scène le pouvoir de transmission par la musique, en particulier ici le piano, avec une place importante accordée au voisinage. Pour Elsa fera l’objet d’une projection spéciale au Luminor Hôtel de Ville, dont la date reste à préciser.
Une compétition éclectique
Déjà présenté à la Biennale de Venise, Electric Swan de Konstantina Kotzamani exhibe le quotidien de résidents d’un grand immeuble de Buenos Aires. Le caractère délabré de l’habitation et le rôle prépondérant du concierge, qui vit au sous-sol, servent de support au particularisme de l’environnement, créant une chronique sociale, voire politique sur la différence de classes. Le moyen métrage se trouve couronné par deux prix, celui du jury et une mention spéciale par le jury jeunes.
Filmer une habitation, c’est l’idée que l’on retrouve dans le documentaire expérimental hongkongais Building Blocks, de Wong Chung Yan, qui a reçu la mention spéciale du jury et explore de fond en comble un appartement, précisément au moment du déménagement d’un vieil homme. Bien que la faculté de création de sons relève d’une certaine audace et tienne en éveil, la thématique même du déménagement reste difficile à cerner, nécessaire pour faire naître une réelle émotion tout au long du documentaire.

Le prix du jury jeunes revient à The Pear and The Fang de Nao Yoshigai, qui raconte la relation qu’entretient une jeune femme avec à la fois une poire japonaise, et un croc trouvé sous une poire volée. L’animalisation qui transforme le protagoniste frôle le fantastique à plusieurs reprises, mais sans jamais l’attendre. A noter la bande originale remarquable, qui tient en haleine tout du long.
S’il devait y avoir un prix d’interprétation, celui-ci reviendrait à Jackie Berroyer dans La Maison de Claude le Pape, scénariste de Petit Paysan. Inspiré de l’histoire personnelle de la réalisatrice lors de la vente de la maison de son père, et mettant en scène des membres de sa famille, le film relate le parcours d’un ami vivant dans cette même maison, sur le littoral finistérien, dont l’humeur balance entre peur de l’avenir et nostalgie du passé. Cet ami, interprété par Jackie Berroyer, fait preuve d’une inventivité et d’un humour noir hors pair, qui ne laissent pas de marbre le spectateur.
Enfin, Le Pays de Lucien Monot mérite sans doute de nombreux applaudissements, tant il invite au voyage, aux souvenirs et aux questionnements sur ses origines. Le moyen métrage met en scène le quotidien de deux bateliers à Evian, au bord du Lac Léman. Le cadre, somptueux, nous plonge dans un univers propice à la naissance d’une complicité entre les deux hommes, sur fond de mélancolie et d’évocation de leur passé.
Lors de la cérémonie de clôture, un hommage a été fait en l’honneur du chanteur Christophe, grand cinéphile, qui avait notamment obtenu carte blanche lors de l’édition 2009 du festival en présentant cinq films qui lui tenaient à cœur. En somme, cette 17ème édition donne à voir une sélection de moyens métrages tout aussi audacieux les uns que les autres, porteurs de forts messages et suscitant une vive émotion. Même si les salles restent majoritairement frileuses quant à la diffusion de ces films au format particulier pour des questions de rentabilité, ils méritent pourtant de se faire davantage connaître du grand public.