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Le 10 septembre, le chef de la diplomatie américaine évoquait la très probable responsabilité de la Russie dans l’empoisonnement d’Alexeï Navalny. Mais qui est donc cet opposant que le gouvernement Russe semble vouloir faire taire à tout prix ? Portrait de celui qui incarne aujourd’hui la plus grande menace du Kremlin.
Alors que l’avion d’Alexeï Navalny, le principal opposant de Poutine, s’apprête à atterrir sur le sol russe le 20 août dernier, le politicien perd connaissance. Les tests réalisés par l’unité de soins intensifs dans laquelle il a été transféré, révèlent des traces de cholinestérase, une enzyme couramment présente dans les pesticides. Washington a depuis mis en cause « de hauts responsables russes » dans l’affaire Navalny, revenant ainsi sur les propos de Donald Trump qui avait alors affirmé ne pas avoir de preuves. La France s’est, quant à elle, déclarée prête à accueillir le leader de l’opposition russe.
Au pouvoir depuis 2000, l’actuel chef d’Etat, Vladimir Poutine a récemment remporté le référendum constitutionnel qui lui permet de briguer deux nouveaux mandats. Cette révision constitutionnelle adoptée par la Russie l’autorise ainsi à assurer sa place au Kremlin jusqu’en 2036.
Les principaux piliers du poutinisme : « Verticale du pouvoir », « dictature de la loi », « démocratie souveraine », « capitalisme administré ». En plus des nombreux soupçons de fraudes électorales en 2000, 2008, 2011, 2012 et 2016, on pointe très souvent le président du doigt pour dérive autoritaire du pouvoir. L’objectif d’en finir avec la libéralisation politique et de renforcer le poids des services de renseignements, de la police et de l’armée semble donner raison à l’opposition qui dénonce un réel manque de démocratie. Le gouvernement possède une véritable emprise sur les chaînes télévisées et les journaux privés du pays. La presse indépendante reste timide et fragile face à la menace qui plane au-dessus d’elle : de nombreux journalistes ont été assassinés. Des zones d’ombre demeurent sur les enquêtes judiciaires et décisions rendues par la justice, ce que les opposants tels que Navalny perçoivent comme l’une des preuves que l’Etat de droit est véritablement menacé.
« L’Erin Brockovich russe »
Surnommé par le magazine Time « l’Erin Brockovich russe » (militante de l’environnement, connue pour avoir révélé une affaire de pollution des eaux potables à Hinkley, ndlr), l’avocat de 44 ans fait de la corruption son cheval de bataille. En 2009, il se lance alors dans l’écriture de son blog (disponible en anglais à cette adresse), où il dénonce de nombreux faits de corruption des élites en Russie : il accuse notamment la société d’énergie Transneft, entretenant par ailleurs des liens étroits avec le président russe, d’un détournement de 2,9 milliards d’euros de fonds pour la construction d’un oléoduc en Sibérie.
Le blogueur prend position en 2011 contre Poutine, désignant alors Russie Unie comme « le parti des voleurs et des escrocs ». Dmitri Medvedev, le bras droit de Poutine et ancien vice-président du gouvernement préside ce parti politique de droite aux idéologies conservatrices, populistes et nationalistes. Le principal opposant de Poutine créé d’ailleurs cette même année la Fondation anti-corruption, une ONG ayant pour principale vocation la lutte contre la corruption du gouvernement, finalement dissolue en juillet 2020.
Militant des premières heures
C’est à la suite de son emprisonnement pour avoir participé aux manifestations contestant les élections législatives de 2011 qu’il se fait connaître du grand public. Profitant de cette nouvelle notoriété, il lance un appel aux Russes afin que Poutine ne soit pas réélu. Le militant s’engage par la suite dans l’organisation de divers rassemblements et actions contre le gouvernement, faisant de lui un ennemi notable. Navalny se présente à la mairie de Moscou en 2013 et obtient 30 % des voix.
En février 2015, l’homme d’Etat libéral russe et vif opposant à Poutine, Boris Nemtsov meurt, tué par balles. Selon certaines sources, la victime s’apprêtait à révéler des preuves de la présence de forces russes dans la partie est de l’Ukraine. L’avocat représente alors le principal dirigeant de l’opposition libérale et devient donc la nouvelle personne à abattre.
Persona non grata
La justice russe accuse l’opposant de Poutine de détournements de fonds et d’escroquerie en 2013. Cependant, les Etats-Unis et l’Union Européenne dénoncent sa condamnation à cinq ans de camp comme un procès politique, mais celle-ci le rend tout de même inéligible jusqu’en 2028. La stratégie russe de vouloir faire taire le militant ne semble pas fonctionner bien qu’il ait été assigné à résidence et condamné à plusieurs reprises à de courtes peines.
L’année dernière déjà, Navalny accusait le Kremlin de l’avoir empoisonné durant sa dernière détention suite à l’apparition d’abcès sur le corps. Désormais, cela ne fait plus de doute pour sa porte parole Kira Iarmich, « la même chose est arrivée aujourd’hui. Alexeï a été empoisonné, intoxiqué », assure-t-elle. A présent, ses jours ne seraient plus en danger d’après les médecins de l’hôpital allemand où il est pris en charge. Il semble pourtant difficile de croire qu’ils le seront toujours une fois sur le sol russe.