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Relecture moderne du célèbre mythe antique, le nouveau film de la cinéaste canadienne Sophie Deraspe est un vibrant plaidoyer féministe et politique contre les violences policières. Au passage, il révèle une grande comédienne : Nahéma Ricci.
C’est une histoire que l’on ne se lasse pas de raconter, redécouvrir, réinterpréter. Le mythe d’Antigone est, pourrait-on dire, « vieux comme le monde ». Il faut dire que la tragédie de Sophocle comporte son lot d’ingrédients qui, encore aujourd’hui, arrivent à séduire les foules. Le pitch est simple. Contrairement à sa sœur, la belle Ismène, Antigone fait office de vilain petit canard. La mort de son frère adoré, Polynice, la plonge dans le désespoir. Pour lui rendre hommage, elle entreprend de lui trouver une sépulture. Seul problème, son oncle, le roi Créon, a formellement interdit que le défunt soit enterré dans les règles de l’art, à cause d’obscures raisons politiques. N’écoutant que son cœur, Antigone décide alors de partir en croisade contre le monarque.
Au cours des siècles, la tragédie de Sophocle a connu un grand nombre de relectures. Au XXe siècle, il y a ainsi eu la version contemporaine de Jean Anouilh. Au cinéma, le mythe a nourri les imaginaires de la cinéaste italienne Liliana Cavani avec Les Cannibales (1970) mais également du Français Julien Paolini pour Amare Amaro, sorti au début de l’année. Aujourd’hui débarque en salles le tout simplement nommé Antigone de la réalisatrice québécoise Sophie Deraspe (Rechercher Victor Pellerin, Les Signes vitaux, Les Loups, etc). Pour ce nouveau long-métrage, la cinéaste revisite donc la tragédie antique de manière très moderne et lui adjoint une dimension politique en évoquant le contexte des violences policières. Pour le reste, l’histoire est la même que chez Sophocle. Parce que son frère a été injustement incarcéré, Antigone décide de prendre sa place en prison. Par cet acte fort, elle devient un symbole pour toute une génération. Du côté des autorités, en revanche, elle incarne surtout une figure rebelle qu’il convient impérativement de canaliser.
Le film de Sophie Deraspe est éminemment engagé et ancré dans son époque. Son Antigone n’est pas n’importe qui. C’est une jeune femme issue de l’immigration. Avec les siens, elle a quitté le Maghreb en quête d’une vie plus sereine en Amérique du Nord. Mais rien n’a changé. Car la violence est plus que jamais présente. Dans ce continent où plane la figure menaçante de Donald Trump, la diversité n’a pas sa place. L’enfer, c’est les autres. Alors Antigone et sa famille sont regardés avec méfiance. Mieux vaut enfermer les personnes qui dérangent et tant pis pour ceux qui seront choqués de cette décision.
Oui mais voilà, notre Antigone 2.0 n’est pas du genre à être résignée. Polynice est en prison ? Alors elle prendra sa place. Elle coupe ses cheveux, se métamorphose. La mue de la jeune fille innocente en véritable passionaria politique est en marche. D’intrigant au départ, le film devient alors véritablement passionnant. Comme la population qui s’intéresse alors soudainement aux actions d’Antigone, le spectateur se retrouve embarqué lui aussi dans ce qui n’est plus une tragédie grecque mais québécoise. Ou plutôt tout simplement une tragédie contemporaine car les faits relatés dans le film ne se bornent pas uniquement à un pays ou un territoire en particulier. Ils touchent en effet une grande partie de nos sociétés occidentales, peu à peu gangrénées par le populisme et les nationalismes.
Tendant à l’universalité, le long-métrage de Sophie Deraspe regorge de scènes fortes. On retiendra notamment ce passage au tribunal où la dimension pathétique de l’histoire est explicitement soulignée. Face à une situation qu’elle ne contrôle plus, Antigone s’effondre littéralement. Comme une véritable héroïne tragique. Pour incarner ce personnage aux multiples facettes, Sophie Deraspe a trouvé une perle rare en la personne de Nahéma Ricci, sorte d’improbable mélange physique entre Noémie Merlant et Timothée Chalamet. Comme ces deux acteurs, la Canadienne appartient à une nouvelle génération de comédiens internationaux dont le talent ne fait aucun doute. Déjà connue dans la Belle Province avec plusieurs films à son actif, la nouvelle Antigone ne devrait pas tarder à avoir ses admirateurs de ce côté-ci de l’Atlantique. On prend les paris ?