LITTÉRATUREPetite maison, grandes idées

Petite maison, grandes idées #6 – Éditions Le mot et le reste

Une fois par mois, la rubrique littérature de Maze vous présente une maison d’édition peu connue mais dont les richesses méritent le détour. Ce mois-ci, nous avons discuté avec Yves Jolivet, fondateur de la maison d’édition Le mot et le reste.

En 1996, alors que l’assassinat de Tupac Shakur fait perdre au rap US l’une de ses plus grandes voix, alors que les Daft Punk sont en train de modeler celle de la French Touch, Yves Jolivet décide de fonder Le mot et le reste, maison d’édition spécialisée dans l’analyse des genres musicaux qui accompagnent l’histoire de nos sociétés. Il nous en dit un peu plus sur la spécificité de sa structure.

Le mot et le reste, le langage et l’espace, les auteur.e.s et leur environnement… Votre titre fait référence à une dualité, à une complémentarité entre plusieurs notions, pourquoi ce choix ?

Avant de fonder la maison d’édition, j’appartenais au milieu de l’art contemporain. Je devais me charger de réaliser les livres d’artistes qui venaient d’intégrer les collections de la Tate Modern ou bien du Centre Georges Pompidou. Elle s’est appelée comme cela car pour mes ouvrages, je demandais des mots aux artistes et m’occupais du reste. Cependant, il semble que la dualité initiale se justifie comme une complémentarité actuelle. L’auteur et la maison d’édition sont au service d’un ouvrage qui doit nous échapper en devenant autonome sur la table d’un libraire. C’est à nous tous de faire en sorte qu’il puisse se rendre visible autant pour sa qualité d’écriture que d’objet littéraire.

Votre maison d’édition est réputée pour la qualité de vos ouvrages spécifiques concernant la musique. Il suffit de penser à On the One ! et Night Fever de Belkacem Meziane ou encore Ladies First et Mixtapes de Sylvain Bertot. Quel lien établissez-vous entre l’analyse littéraire de la musique et sa portée sociétale concrète ?

Les genres musicaux n’apparaissent pas soudainement en tant que génération spontanée. Ils incarnent le reflet d’une jeune génération en mouvement vers un monde adulte, constitué de structures sociales et économiques intrinsèques, qu’elle doit faire évoluer. Par exemple, dans le cadre des Etats-Unis, la musique a accompagné les marches contre la ségrégation raciale de Martin Luther King (On the One ! de B.Meziane NDLR). C’est la même chose pour le disco qui a épaulé les revendications LGBTQ (Night Fever de B. Meziane NDLR).

On the One ! par Belkacem Meziane chez Le mot et le reste

Parmi vos auteurs, vous comptez des pointures de la musique comme Dominique A ou encore Dick Annegarn. Vous publiez aussi beaucoup de biographies : sur les Who, Fleetwood Mac ou Jimi Hendrix. Est-ce un moyen d’explorer plus profondément la relation entre le musicien et son légendaire ego ?

Les musicien.nes sont par essence doté.e.s d’un ego assez développé. Dans la réédition de l’ouvrage Bono par Bono, réalisé avec Michka Assayas, que nous publions en août, le chanteur affirme : « une rock star, c’est quelqu’un qui, dans son coeur, ressent un vide presque aussi vaste que que la masse de son égo  ». Cela peut faire l’objet de biographies diverses dans lesquelles la légende côtoie la réalité. Cependant, dans le cadre des biographies, nous mettons l’accent sur la création musicale, qui in fine, devient une œuvre. Par ailleurs, nous ne faisons pas l’impasse sur l’influence que peut avoir les altérations de la structuration mentale d’un musicien à l’égard de son processus de création.

L’incroyable mixité de vos ouvrages atteste d’une grande richesse mais aussi, j’imagine, d’une grande rigueur : Chomsky côtoie Balzac et Michka Assayas. Comment les lecteur.ice.s frayent-ils leur chemin au travers de ces multiples livres ?

L’avantage de notre maison d’édition est que nous publions des ouvrages s’adressant à de multiples lectorats. Cela nous offre une ouverture intellectuelle non négligeable et même nécessaire puisqu’elle laisse le choix au lecteur de s’en saisir ou non.

Si vous deviez illustrer votre maison d’édition par deux ouvrages que vous avez publié, lesquels choisiriez-vous ?

Nous avons toujours une préférence pour les ouvrages en cours, car ils nous ouvrent systématiquement de nouveaux horizons, que nous avons à cœur de défendre ensuite auprès des journalistes et des lecteurs. Actuellement, nous travaillons sur une biographie de Dalida écrite par Barbara Lebrun, inspirée des cultural studies (sciences de la culture) ainsi qu’une autre sur Kendrick Lamar, réalisée par Nicolas Rogès, qui ne peut se comprendre sans circonscrire l’état de la ville de Compton (Los Angeles NDLR) et ses gangs. Parallèlement, nous allons éditer un ouvrage s’intitulant Aux origines du Nature Writing de Sébastien Baudoin, style littéraire lié un peu rapidement (et commercialement) aux grands espaces américains, alors qu’il apparaît que les précurseurs de ce style sont Chateaubriand et Tocqueville, soit des auteurs Français.

Créatrice de vaisseaux temporels musicaux, d’ouvrages sociétaux engagés, de biographies intimistes bien éloignées de la sempiternelle rock-star peroxydée, Le mot et le reste explore les grands espaces d’une littérature parallèle. Bien qu’Yves Jolivet ne trouve plus le temps de réaliser ses propres livres, le nom de la maison continue de refléter l’esprit initial de la ligne éditoriale : faire croiser les chemins de l’Art.

Kendrick Lamar, de Compton à la Maison-Blanche de Nicolas Rogès chez Le mot et le reste
Etudiante en master de journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle, amoureuse inconditionnelle de la littérature post-XVIIIè, du rock psychédélique et de la peinture américaine. Intello le jour, féministe la nuit.

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