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Les résultats d’une enquête de l’Ifop1, publiés la semaine dernière, montrent un boom récent du no bra (non-port de soutien-gorge), qui concerne désormais 7 % des Françaises. Si de plus en plus de femmes sont séduites par cette pratique, elles rencontrent encore de forts obstacles sociétaux.
Une donnée particulièrement frappante ressort des résultats fournis par l’Ifop : au yeux de 20 % des Français, « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle. » Malgré une possible intériorisation du danger, le no bra séduit de plus en plus. La période de confinement semble avoir marqué un tournant : 20 % des femmes de moins de 25 ans disent ne pas avoir porté de soutien-gorge pendant cette période. Elles sont 18 % à ne pas l’avoir ré-adopté depuis le 11 mai. Ce choix, elles le disent motivés par des raisons variées, de même que l’est apparemment leur sensibilité au féminisme.
Ce qui semble d’abord entraîner l’abandon du soutien-gorge, c’est un désir de confort. Cette préoccupation se ressentait déjà dans la plus grande commercialisation des bralettes, soutien-gorges sans armatures, ces dernières années. Ainsi, parmi les femmes étant déjà sorties sans soutien-gorge, 53 % révèlent que l’inconfort procuré par ce vêtement est un facteur déterminant dans leur choix. On peut faire au soutien-gorge le même reproche qu’à la plupart des pièces de prêt-à-porter, c’est que leur conception ne tient pas compte de la diversité des corps. Comme le rappelle Camille Froideveaux-Metterie, autrice de Seins. En quête d’une libération, l’injonction au port du soutien-gorge a aussi pour objectif de rendre les seins conformes à un modèle esthétique, celui du sein en demi-pomme, qui ne tombe pas.
Les diktats ont la vie dure mais l’idée reçue selon laquelle le non-port de soutien-gorge favoriserait l’affaissement de la poitrine est aujourd’hui remise en question. Selon une étude menée par le Pr. Jean-Denis Rouillon à l’université de Franche-Comté, il ne serait au contraire pas bénéfique à toutes les poitrines. Laisser les seins libres favoriserait leur maintien naturel grâce aux ligaments de Cooper qui soutiennent la poitrine mais se relâchent lorsqu’ils sont moins sollicités. La question des avantages et des risques à porter un soutien-gorge reste un domaine scientifique peu investi. La crainte de potentiels problèmes de santé est d’ailleurs le deuxième élément motivant le choix du no bra.
Un phénomène encore minoritaire
Au-delà de l’injonction esthétique et morale au port du soutien-gorge, il n’est pas confortable pour toutes les poitrines de ne pas être soutenues et certaines femmes ne souhaitent pas ou ne peuvent simplement pas le délaisser. Les moins de 25 ans étant plus nombreuses à renoncer à leur soutien-gorge, on peut supposer que ce choix est plus difficile après des décennies d’habitude. Parmi celles qui ont ce choix, il semble qu’une partie y aspire, mais n’y parvient pas toujours, pas partout, ou pas du tout, et pour cause, cette pratique rencontre encore des obstacles.
Sortir sans soutien-gorge c’est d’abord anticiper les regards, masculins le plus souvent, plus ou moins appuyés mais rarement souhaités. C’est aussi anticiper le danger qui accompagne la sexualisation et l’objectivation persistantes du corps féminin. 48 % des Français considèrent d’ailleurs qu’une femme ne portant pas de soutien-gorge « prend le risque d’être harcelée, voire agressée ». Ainsi, dans une société où la culture du viol reste prégnante, on comprend le sentiment que peut susciter la visibilisation de sa poitrine pour une femme.
Réadapter le regard
Certaines ne pratiquent le no bra que dans certaines circonstances, où elles peuvent se permettre une attitude plus libre, moins « sérieuse ». Seules 12 % des femmes se sont déjà rendues sur leur lieu de travail sans soutien-gorge, et 11 % dans un établissement scolaire, contre 29 % dans la rue et 32 % à la plage. Une généralisation de cette pratique, par celles qui le peuvent et le souhaitent, nécessiterait donc de réadapter le regard à la diversité des poitrines et à leurs aspects naturels.
À l’échelle intime, c’est peut-être ce changement-même du regard sur soi que le confinement a suscité. Celui-ci se trouve modifié par les nouvelles habitudes vestimentaires et esthétiques et par l’absence du regard d’autrui, au-delà de la cellule domestique. Il semble que ce temps confiné ait-été, pour les 4 % de femmes qui ont renoncé au port du soutien-gorge depuis, celui de la remise en question d’un réflexe.
Encore largement minoritaire, cette tendance no bra oblige les regards à admettre que les seins sont loin d’être généralement ronds, hauts et fermes. Elle rappelle que les seins font partie intégrante de corps qui bougent et qu’ils existent au-delà de leur connotation à la fois maternelle et sexuelle. Bien que motivée par des raisons diverses, la tendance no bra alimente une représentation nouvelle et une réflexion sur la place du corps et en particulier de la poitrine dans la définition de la féminité.
1 Étude Ifop pour Xcams réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 9 au 12 juin 2020 auprès d’un échantillon de 3 018 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.