© Les Films du Losange
Plusieurs fois récompensé pour Le Cauchemar de Darwin, le cinéaste autrichien Hubert Sauper emmène cette fois-ci sa caméra sur l’île de toutes les convoitises, Cuba. Dans un documentaire sans langue de bois, il parcourt le pays pour décrypter avec les habitants son histoire, décortiquant l’impact de l’impérialisme, de l’interventionnisme et de la mondialisation. Immersif au plus haut point.
Guajira Guantanamera de Compay Segundo en fond sonore, à bord d’une vieille Chevrolet 150, tout en longeant le bord de mer où les vagues s’écrasent sur la jetée, telle est pour beaucoup la perception « utopique » de la capitale cubaine, La Havane. Cette vision, paradisiaque et non-majoritaire, est tout du moins celle partagée par les nouveaux touristes, essentiellement américains, depuis l’amélioration des relations diplomatiques entre les deux pays. Hubert Sauper, de son côté, décrypte avec brio le passé de Cuba vu par les insulaires, en toute franchise et dotés d’une fabuleuse lucidité.
Déconstruire la propagande
En 1898, l’explosion du navire américain USS Maine à La Havane sert de prétexte aux américains pour arriver sur l’île, apportant selon eux « la liberté » confisquée par les Espagnols. Aux côtés d’enfants qu’il suit tout au long du documentaire, « les jeunes prophètes » comme il les appelle, Sauper exploite la faculté de transfiguration du cinéma qui certes, aide à former les rêves, mais qui fut aussi utilisé comme moyen de manipulation, ici de la part des gringos ou du régime castriste.
En particulier, le regard est porté sur deux jeunes havanaises d’une dizaine d’années, Leonelis et sa sœur, qui racontent l’histoire de Cuba telle qu’elle leur a été inculquée. Bien qu’elles transmettent, avec une quantité d’informations qui étonne, le message véhiculé par le régime cubain, elles font preuve d’une présence d’esprit et d’un bon sens aussi troublants que fascinants, voire d’une clairvoyance par certains aspects, comme si la vérité sortait de la bouche des enfants.
Ces témoignages sont le cœur du contenu explicatif du documentaire de Sauper ; lui reste quasi-muet, sauf lors des premières et dernières scènes, où il donne simplement des pistes de réflexion. Cette volonté de ne pas tomber dans la narration descriptive donne davantage d’authenticité à l’œuvre, car il est difficile de distinguer le parti pris du réalisateur, ce qui permet à tout à chacun de mieux développer son esprit critique.
Étrangers dans leur propre pays
Le cinéaste démontre avec efficacité que les Cubains n’ont jamais régné en maître dans leur pays. Tout d’abord, avec l’esclavage, puis l’impérialisme américain, et plus encore, ce sur quoi il s’attarde et qu’il critique, le tourisme. Pour les locaux, il ne s’agit que d’une nouvelle forme d’asservissement, avec la conclusion que pour chacune des dominations, Cuba en a été l’épicentre.
A l’heure actuelle, l’île devient progressivement réservée aux américains, aux gringos, à tel point que de nombreux lieux sont réservés à ces derniers. « Les gens veulent rester dans le dernier pays communiste », entend-on à cette occasion. Sauper prend même des risques en faisant découvrir aux deux jeunes un univers qui leur serait interdit. Il nous fait comprendre à quel point le tourisme, s’il continuait sur sa lancée, pourrait aseptiser le pays. Avec sa manière de filmer, simple, directe et naturelle, il entretient une certaine proximité avec les cubains et nous plonge définitivement dans leur vie au jour le jour.
Déjà présenté au festival de Sundance, Epicentro tape dans l’œil par la présence de références au cinéma, comme c’est le cas avec de nombreuses images d’archives, depuis Méliès, et une bande-originale somptueuse très diversifiée, dont une partie fut composée par Oona Chaplin, petite-fille de Charlot. En créant des effets visuels d’écho, de cycle, le documentaire semble vouloir nous dire que quoi qu’il en soit, l’histoire se répète. Seulement, en appuyant ses témoignages sur la jeunesse au discours étoffé, il tend à souhaiter un avenir meilleur pour le pays.