CINÉMA

« Le Sel des larmes » – l’homme qui aimait les femmes

© Ad Vitam

À quoi reconnaît-on un film de Philippe Garrel  ? À cette question, plusieurs réponses viennent spontanément en tête. On pourrait dire à ses dialogues, éminemment littéraires, et à son utilisation toute particulière de la voix-off. Au jeu de ses comédiens également, que l’on croirait véritablement sortis d’un film de la Nouvelle Vague.

Le Sel des larmes, son dernier film, à ce je ne sais quoi de suranné qui rappelle le cinéma français des années 1960 et 1970. À le voir, nous pourrions songer aux longs métrages de François Truffaut. Car cette histoire de jeune homme tombant successivement amoureux de plusieurs filles aurait aussi pu s’appeler L’homme qui aimait les femmes, comme le bijou trufaldien de 1977.

Ici, le nouveau Charles Denner se nomme Luc. Avec sa mèche rebelle et ses vêtements
cintrés, on pourrait le prendre pour un jeune philosophe germanopratin. Et pourtant, ce dernier n’est pas de Paris mais de Lille. Passionné par la menuiserie, ce Rastignac du XXIème siècle « monte à Paris » pour passer le concours de la célèbre école Boulle, spécialisée dans les métiers d’art. Lors de son court séjour dans la capitale, il fait la rencontre de la belle Djemila. C’est le coup de foudre. Les deux jeunes gens vivent une aventure passionnée et promettent de se revoir alors que Luc rentre chez lui dans le Nord. De retour auprès des siens, il retrouve sa petite amie Geneviève comme si de rien n’était qui, bien rapidement, tombe enceinte. Dans le même temps, Luc reçoit la confirmation de son inscription à l’école Boulle. Plutôt que d’assumer son futur enfant, il abandonne sa fiancée et retourne à Paris où il tombe amoureux d’une nouvelle femme, Betsy.

Le Sel des larmes est un film délicat. On ne saurait le définir avec un autre adjectif. Ici, les personnages s’expriment dans un langage châtié et semblent exempts de toute vulgarité. Philippe Garrel les fait évoluer dans des paysages des plus anodins – des ruelles sans réel charme, des cafés d’une grande banalité – mais le charme opère. Est-ce à cause de la très belle utilisation du noir et blanc (dont Garrel est un habitué) ? De la partition envoûtante de Jean-Louis Aubert ? De la musicalité des dialogues ? Un peu tout ça à la fois. Les adeptes du cinéma de Philippe Garrel seront certainement séduits par cette nouvelle proposition élégante du réalisateur de La Cicatrice intérieure. Car Le Sel des larmes est un pur film « garrelien », battant en brèche les différentes thématiques chères au cinéaste – le sentiment amoureux, la confrontation Paris / province, le motif de la femme fatale, etc.

Mais si le long métrage aura ses adeptes, il y a fort à parier qu’il aura également ses
détracteurs. Contrairement à ses derniers films (les magnifiques L’Ombre des femmes et L’Amant d’un jour), Le Sel des larmes est moins abordable pour le grand public. Autrement dit, seuls ceux qui sont déjà un minimum familiers de l’univers du cinéaste pourront y trouver leur compte. Le film est déjà plus long que les précédents. En outre, les nombreuses ruptures de ton pourront également laisser perplexe (à l’image de cette scène de rixe à la sortie d’une boîte de nuit, que certains pourront regretter pour son incohérence).

Néanmoins, dans sa grande globalité, on peut dire que le film fonctionne. Si l’écriture du personnage de Luc et l’interprétation du comédien qui l’incarne (le débutant Logann
Antuofermo) peut laisser à désirer, ce n’est pas le cas des autres protagonistes et notamment les différents rôles de femmes. Pour donner corps aux trois demoiselles qui traversent la vie de notre jeune héros romantiques, Philippe Garrel a fait appel à des actrices assez différentes les unes des autres. Face à Louise Chevillotte (déjà dirigée par le cinéaste dans L’Amant d’un jour), on retrouve Oulaya Amamra et Souheaila Yacoub, deux comédiennes à priori inattendues dans l’univers du réalisateur. Et c’est justement ce contraste qui donne tout son intérêt au Sel des larmes.

Sous ses dehors de film sans grande surprise, ce nouveau long métrage de Philippe Garrel séduit par sa manière d’être un peu là où nous ne l’attendions pas. Alors oui, il y a eu mieux dans sa carrière. Et il y a eu moins bien aussi. Toujours est-il que ce Sel des larmes a ce goût atypique des films français comme on n’en fait plus et qui manquent
un peu à notre cinématographie.

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