CINÉMASOCIÉTÉ

« Disclosure » – Recomposition et destruction des représentations trans au cinéma

© « Paris Is Burning » (1991) de Jennie Livingston / Miramax

Selon un rapport de la GLAAD 80 % des étasunien.ne.s n’ont pas de personnes trans dans leur entourage. Par conséquent les seuls modèles de représentations auxquels ils peuvent se référer sont ceux dont témoignent les médias. Le documentaire Disclosure, disponible sur Netflix, vient en réponse à ce constat, en livrant un pamphlet puissant et synthétique pour mieux comprendre les enjeux des représentations trans au cinéma.

Disclosure («  Identités trans : au-delà de l’image ») se veut être un témoignage très bien documenté et essentiel. Tout d’abord car il donne la parole aux concerné.e.s tout au long du film – contrairement à beaucoup de documentaires qui pourraient avoir tendance à convoquer essentiellement des chercheur.euse.s – avec des expériences sincères, un regard critique, des parcours d’hommes et de femmes, et des carrières diversifiées qui se sont construites au fur et à mesure des années. Ensuite car il parcourt efficacement l’histoire du cinéma, de l’oeuvre de D. W. Griffith, au début du XXe siècle, à la série Pose, sortie en 2018.

Celui-ci nous met directement face à la violence symbolique du cinéma. Le.la travesti.e fait rire, il/elle fait aussi peur, le cinéma a éduqué le regard à éprouver la crainte, et une certaine fascination malsaine – avec Buffalo Bill, personnage du Silence des Agneaux (1991) ; ou Norman Bates dans Psychose (1960) ; deux films qui renvoient à l’aspect pathologique et aux troubles de l’identité – mais aussi du dégoût à l’égard du corps trans – comme en témoigne ces scènes d’une violence inouïe dans Ace Ventura (1994), où Jim Carrey cherche à se laver à tout prix après avoir compris qu’il avait eu une relation sexuelle avec une femme trans.

« Psychose » (1960) d’Alfred Hitchcock / Universal

Ce documentaire nous donne l’occasion de mieux prendre en compte ces représentations et tous les stéréotypes que celles-ci engagent, mais aussi de comprendre pourquoi ces comportements se reflètent autant dans notre société, puisqu’ils sont omniprésents et normalisés à l’écran. Les images transmises possèdent un véritable pouvoir d’influence – non pas uniquement sur les personnes cis, mais également sur les personnes trans qui n’ont parfois que ces images pour se définir en tant que personne, et pour exister d’une certaine façon.

Une violence tout aussi forte lorsque l’on voit à quel point les personnes trans sont laissées de côté dans les castings, ce sont bien souvent des hommes et des femmes cis qui sont convoqués, et participent toujours plus à la violence de ce système et à l’invisibilisation de la communauté – nous pouvons citer ici l’acteur Jared Leto dans Dallas Buyers Club (2013), ou Eddie Redmayne dans The Danish Girl (2015) – la transidentité est réduite à une performance dans ces films. Disclosure met un point d’orgue à déconstruire tout ce que nous avons vu jusque là, et c’est là que le positionnement des intervenant.e.s est nécessaire, car ils/elles font état de leurs désillusions personnelles à l’égard du cinéma en prenant du recul – ils/elles sont ainsi plusieurs à revenir sur Paris is Burning (1991) ; qui n’a en aucun cas aidé les personnes présentées dans le documentaire ; ou Boys Don’t Cry (1999) ; film faisant preuve d’une violence abrupte.

« Dallas Buyers Club » (2014) de Jean-Marc Vallée / UGC / Copyright Anne Marie Fox

Disclosure nous rappelle également que les représentations des personnes trans est une question bien plus globale. Les enjeux de leur présence dans les médias en appelle au féminisme, à l’antiracisme, et aux luttes pour les droits LGBTQ+, dans lesquels les personnes trans ont toujours été pleinement engagées, malgré l’exclusion et l’invisibilisation dont elles ont bien souvent été victimes. Ce film fait ici état d’une violence très forte à l’égard tout ce que comprend le combat pour la visibilité de la transidentité au cinéma.

Dépasser la violence et donner de nouvelles perspectives

Ce film démontre qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir quant à la représentation des personnes trans dans les médias mainstream, et à quel point nous avons besoin de représentations positives pour alimenter nos imaginaires. Pour donner d’autres perspectives aux personnes trans, et pas uniquement des récits où le personnage trans se fait malmener, meurt, et se prostitue – des récits loin des clichés délibérément construits depuis le début de l’histoire du cinéma donc. Le reproche principal que nous puissions lui faire c’est de focaliser son point de vue sur les États-Unis – le seul film non anglophone évoqué est Ma Vie en Rose (1997), film belge d’Alain Berliner – et de ne pas élargir à une vision plus globalisante.

« Port Authority » (2019) de Danielle Lessovitz / ARP Selection

A l’heure où des films comme A Good Man de Marie-Castille Mention-Schaar, sélectionné à Cannes cette année, font le choix problématique de faire jouer un homme trans par une femme cis – à savoir Noémie Merlant -, nous pouvons à présent citer des films qui dépassent cela et font délibérément appel à des actrices et acteurs trans et proposent de nouvelles perspectives ; Tangerine (2015) de Sean Baker – Port Authority (2019), qui mêle l’univers du voguing à celui d’une masculinité très forte – Lola vers la Mer (2019) – Indianara (2019), documentaire brésilien qui suit l’itinéraire d’Indianara Siqueira activiste trans brésilienne. De même pour Bacurau (2019), autre film brésilien qui fait appel à deux actrices trans, sans cantonner le rôle de leur personnage à leur transidentité – Silvero Pereira/Gisele Almodovar (interprète du personnage de Lunga) joue ainsi le rôle d’un cangaceiro très charismatique à l’écran – et montre de manière tout a fait exceptionnelle et inédite, que les personnes trans peuvent aussi jouer d’autres rôles et exister d’une façon alternative, hors de cette identité.


Disclosure – Identités trans : au-delà de l’image de Sam Fender (2020) – 1h47 – Disponible sur Netflix

Du cinéma et de la musique - Master Métiers de la Culture

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