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Troisième film d’Isabel Sandoval, Brooklyn Secret dépeint avec une belle maîtrise la relation entre une transsexuelle philippine et un Américain, à Brooklyn. Une œuvre aussi troublante qu’émouvante.
À n’en pas douter, la troisième sera normalement la bonne. Jusqu’à présent, les films d’Isabel Sandoval étaient surtout connus par les cinéphiles, adeptes de festivals internationaux. Mais ça, c’était avant. Avec Brooklyn Secret, le public français peut enfin découvrir l’œuvre de cette cinéaste philippine. Il s’en est fallu de peu puisque le long-métrage devait initialement sortir le 18 mars dernier. Mais le confinement est passé par là et le film aurait pu directement sortir en e-cinema ou en VOD. Au lieu de cela, il a paisiblement dormi dans un tiroir avant de connaître une exploitation méritée en salles.
Méritée car Brooklyn Secret est un film puissant, qui hante durablement l’esprit du spectateur même si, de prime abord, il semble vouloir éviter à tour prix l’esbroufe ou une quelconque volonté de démontrer quelque chose. Au contraire, la sobriété est vraiment ce qui prime ici. Dans ce troisième long-métrage, (Après Señorita et Apparition), Isabel Sandoval se donne le premier rôle. Celui d’Olivia, une immigrée philippine, qui survit tant bien que mal à Brighton Beach, un quartier de Brooklyn. Aide-ménagère auprès d’Olga, une vieille russe ashkénaze, elle tente de régulariser sa situation en tentant un mariage blanc avec un Américain. Dans le même temps, elle rencontre Alex, le petit-fils d’Olga dont elle tombe amoureuse. Tout pourrait être simple mais Olivia cache un secret. Celui d’être née dans un corps d’homme.
Engagé et romantique
Brooklyn Secret a le mérite de se placer dans son époque. La question du genre, ô combien d’actualité, est ici centrale. Pour autant, la grande force du scénario tient dans le fait que le personnage principal n’est pas regardé comme une personne atypique. Isabel Sandoval ne réalise pas une œuvre politique mais plutôt un grand poème romantique, magnifié par le travail de la photographie réalisé par Isaac Banks. Rarement New York aura été filmé de cette manière au cinéma. Oubliés les longues artères de Manhattan et les gratte-ciels. Ici, à Brooklyn, les paysages ont quelque chose de lunaire, presque hors du temps. On y voit passer les saisons, le temps s’écoule paisiblement. On pourrait presque penser que l’on est dans un village. Un endroit qui rassemblerait des immigrés venus d’Europe ou d’Asie et que la caméra d’Isabel Sandoval vient filmer avec une belle subtilité.
En filigrane, la réalisatrice brosse un portrait de l’Amérique contemporaine. Une Amérique qui a un rapport particulier avec son histoire de l’immigration. On ne peut regarder Brooklyn Secret avec un regard innocent, puisque l’on fait rapidement le lien avec les récents évènements qui ont agité les États-Unis. Dès lors, l’histoire d’Olga, immigrée avant tout aux yeux des autres, prend une dimension nouvelle. De « petit film d’auteur idéalement calibré pour les festivals » (il a notamment été présenté lors de la dernière édition du festival de Venise), il passe dans la catégories des œuvres majeures, presque importantes pourrait-on dire. À ne surtout pas laisser passer.