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Penser l’intersectionnalité dans le féminisme : une nécessité

Crédits : Mohamed Bardane, Heinrich-Böll-Stiftung / Wikicommons

Crédits : Kimberlé Crenshaw – Mohamed Bardane, Heinrich-Böll-Stiftung / Wikicommons

Alors que la lutte antiraciste est plus que jamais nécessaire, il est également primordial de déconstruire le racisme intégré se logeant dans des mouvements que l’on pourrait penser exempts de toute dérive conservatrice. En matière de féminisme, c’est ce que promeut l’intersectionnalité.

Être privilégié, c’est jouir d’un droit exceptionnel par le biais d’une exclusion injuste et d’un déni du droit commun à l’égalité. Être blanc, encore aujourd’hui, reste un privilège dans tous les espaces et dans toutes les structures : culturelles, politiques, économiques. Si le sexisme touche l’ensemble des femmes, il ne le fait pas de la même manière si ces dernières sont lesbiennes, bisexuelles ou transgenres, si elles vivent avec un handicap, si elles sont issues d’une classe populaire ou si elles ont pas la peau blanche. Cette liste n’est pas exhaustive et la tolérance française reste étriquée et sélective. De fait, une femme blanche, hétérosexuelle, cisgenre, bourgeoise au corps valide demeure privilégiée dans son rapport au féminisme quand bien même elle évolue dans un quotidien sexiste.

Sortir du carrefour de l’invisibilisation sociale

Alors juriste en 1989, Kimberlé Crenshaw rédige un article éclairant intitulé « Démarginaliser l’intersection de la race et du sexe : une critique féministe noire de la doctrine de l’anti-discrimination, de la théorie féministe et de la politique antiraciale » pour le Forum juridique de l’Université de Chicago. Figure majeure du Black feminism américain, elle pense l’intersectionnalité comme un réseau de discriminations que subissent les femmes Afro-Américaines. En effet, ces dernières se situent au centre d’un carrefour tenu par des hommes noirs luttant pour les droits civiques et les femmes blanches défendant l’égalité des sexes. Elles font à la fois partie de ces deux catégories mais ne se reconnaissent complètement dans aucune d’elles. Selon bell hooks, autre figure notoire de l’afroféminisme américain, le concept d’intersectionnalité se trouvait déjà dans le discours de l’ancienne esclave Sojourner Truth intitulé « Ain’t I a woman » dénonçant, en 1851, la dépossession des femmes noires de leur statut de femmes américaines.

L’intersectionnalité en France

Si l’outil d’intersectionnalité s’est diffusé rapidement dans les pays anglophones, il tarde à se faire connaître en France. Et pour cause, il dérange un passé colonialiste destructeur que le pays peine à assumer ainsi qu’une hégémonie culturelle qu’une génération d’hommes blancs vieillissants rechigne à concéder. C’est cette même invisibilisation des systèmes de discrimination que l’on retrouve dans le discours de la deuxième vague du féminisme – incarné par Simone de Beauvoir – et ses restes fumants – et brandis par Catherine Deneuve ou encore Catherine Millet.

Pour endiguer cette forme de féminisme, des auteures et chercheuses luttent, sensibilisent, déconstruisent et produisent des essais participant à la diffusion de l’inclusivité en France. Parmi les grandes figures de l’afroféminisme français se trouve Rokhaya Diallo, militante intersectionnelle décolonialiste cofondatrice de l’association les Indivisibles. Elle a écrit des ouvrages tels que Moi raciste ? Jamais !, Afro ! ou encore Ne Reste pas à ta place !. Co-animatrice du podcast Kiffe ta race, l’ensemble de son œuvre est consacré à l’analyse du racisme, du colonialisme et du sexisme intégré présent dans le pays. L’inclusivité est également portée par la philosophe Elsa Dorlin, auteure de La matrice de la race : généalogie sexuelle et coloniale de la nation française et ayant participé à la rédaction d’ouvrages collectifs tel que Black Feminism.

Dans le pays donc, les essais et manifestations luttant pour l’inclusivité sont de plus en plus nombreux. Le discours de l’actrice Aïssa Maïga, lors de la cérémonie des César 2020, atteste du besoin de réveiller les consciences collectives notamment dans les milieux culturels – comme le cinéma – se cachant souvent derrière un progressisme évident. Cette dernière a d’ailleurs initié, en 2016, un essai collectif intitulé Noire n’est pas mon métier dans lequel ont participé plusieurs comédiennes françaises – Mata Gabin, Rachel Khan, Sara Martins, Firmine Richard et bien d’autres – afin de dénoncer la récurrence des rôles racistes dans les productions médiatiques.

Si elle a d’abord été pensée pour rendre compte des mécanismes complexes liant le racisme et le sexisme, l’intersectionnalité permet également d’étudier l’imbrication des discriminations en terme d’orientation sexuelle, de handicap, de confession, de classe, etc. Soutenir son importance dans le champ analytique des féminismes actuel tend à rendre plus mixte et pertinent un discours trop souvent tenu par une majorité privilégiée qui prétend, pourtant, lutter pour le progrès social et universel.

Pour aller plus loin :

  • Critical Race Theory, Kimberlé Crenshaw, The New Press
  • Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme, Bell Hooks, Cambourakis
  • Frisettes en fête, Chris Raschka et Bell Hooks, Point de Suspension
  • Apprendre à transgresser, Bell Hooks, Syllepse
  • Moi raciste ? Jamais ! Scènes de racisme ordinaire, Rokhaya Diallo et Virginie Sassoon, Flammarion
  • Afro !, Rokhaya Diallo et Brigitte Sombié, Les Arènes
  • La matrice de la race : généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Elsa Dorlin, La Découverte
  • Noire n’est pas mon métier, essai collectif, Seuil
Etudiante en master de journalisme culturel à la Sorbonne Nouvelle, amoureuse inconditionnelle de la littérature post-XVIIIè, du rock psychédélique et de la peinture américaine. Intello le jour, féministe la nuit.

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