SOCIÉTÉ

Normalisation des menstruations : la France emprunte la voie de son voisin écossais

© Louise Chappe

Jeudi 28 mai 2020, le gouvernement français a annoncé la mise en place du projet de gratuité des protections hygiéniques pour les femmes précaires dès septembre. Cette initiative s’inscrit dans une démarche visant à briser le tabou autour des menstruations.

Suite au rapport de la sénatrice Patricia Schillinger, remis en octobre 2019, et au rapport sur le tabou des règles publié par les députées Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine en février 2020, le gouvernement a décidé d’expérimenter la gratuité des protections périodiques pour les femmes sans-abri, les femmes incarcérées et les étudiantes. 

« La gestion de l’hygiène féminine et l’accès à des protections périodiques relèvent des droits humains : de la dignité, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’accès à l’éducation, de la santé des femmes. »

La sénatrice Patricia Schillinger

Les secrétaires d’État chargées de l’Égalité femmes-hommes et de la Solidarité et la Santé, Marlène Schiappa et Christelle Dubos, avaient déjà évoqué, le 12 février 2020, la mise en place d’un budget d’un million d’euros pour financer ce projet. Ces dernières ont pu, lors de la journée internationale de l’hygiène menstruelle, annoncer la distribution de protections hygiéniques dans les épiceries sociales, les foyers et les centres d’hébergement, les établissements d’incarcération, les écoles du secondaire et les universités dès septembre 2020. Le gouvernement veut, notamment, lutter contre le manque d’information sur le sujet et invite les industriels à prévenir les utilisatrices sur les modalités d’utilisation des protections périodiques et sur le risque de choc toxique.

Ce plan gouvernemental fait suite à de nombreuses expérimentations déjà effectuées en France pour lutter contre la précarité menstruelle. Outre la baisse du taux de TVA des tampons et des serviettes hygiéniques de 20 % à 5,5 % en 2015 et l’apparition de boites de dons partout dans le pays, les universités ont également décidé d’aider les étudiantes.

Début 2019, l’Université de Lille était la première faculté en France à organiser des distributions gratuites : 30 000 kits de protection ont été fournis. Bordeaux a suivi cette initiative en 2020. D’autres universités comme celle d’Avignon ont installé des distributeurs gratuits de serviettes hygiéniques. A la Sorbonne, les étudiants ont mis en place un budget participatif pour financer la distribution de 9000 kits de 18 serviettes ou tampons bio et sans plastique ainsi que 1300 cups et serviettes réutilisables. La mutuelle étudiante MLDE propose, quant à elle, un remboursement à hauteur de 25 euros par an.

Malgré ces innovations, la France n’est pas un pays avant-gardiste en la matière, et se contente de suivre les avancés de son voisin écossais.

L’Écosse, un pays précurseur

Plusieurs mois en avance, le mardi 25 février 2020, 112 députés du parlement autonome écossais ont voté en faveur de la gratuité des protections périodiques pour toutes les femmes. Cette loi sans équivalence dans le monde n’a rencontrée aucune opposition et une seule abstention.

Pour la députée Monica Lennon, à l’origine de ce projet de loi, il s’agit de prendre enfin au sérieux les questions de genre. 24 millions de livres seront investis pour distribuer gratuitement des tampons et des serviettes hygiéniques dans des lieux dédiés : pharmacies, clubs de jeunesse, centres locaux.

« Il s’agit de produits de base, et pas une seule femme en Écosse ne devrait avoir à vivre sans protections périodiques.  »

La député écossaise Monica Lennon

Déjà en 2018, l’Ecosse était le premier pays à distribuer gratuitement des protections périodiques dans les écoles et les universités.

Un tabou encore présent

Selon l’association Dons Solidaires, chaque mois, 1,7 million de Françaises n’ont pas les moyens d’acheter des protections périodiques, n’en changent pas suffisamment ou utilisent des produits inadaptés augmentant ainsi le risque de choc toxique. Ce syndrome est provoqué par la multiplication de bactéries, produisant des toxines dangereuses, lors de la stagnation du sang dans le vagin. L’exemple de la mort de Maëlle, 17 ans, en janvier 2020 montre un manque d’étude et de recherche autour de cette maladie, symbole d’un tabou lié aux règles.

Cette situation est due, en grande partie, aux coûts et aux taxes imposés sur ces produits, indispensables aux femmes. Selon les Décodeurs du Monde, en France, les femmes dépensent 3 800 euros au cours de leur vie en protections périodiques. Sans compter le prix des consultations médicales, des sous-vêtements ou encore du linge de lit. Pour remédier à la différence de dépense entre les sexes, de nombreuses associations féministes demandent, aujourd’hui, de mettre en place une taxe rose, soit empêcher l’état de récolter de l’argent sur un bien essentiel pour les femmes. L’Australie, l’Inde et la Belgique l’ont déjà adopté et de nombreux autres pays commencent à imposer la gratuité de ces produits.

« Le coût fluctue en fonction de la quantité de sang perdu et de protections utilisées par mois, des périodes d’aménorrhée, mais aussi du prix des soins gynécologiques et des médicaments, des médecines alternatives, des sous-vêtements et linges tachés, des protections périodiques choisies… »

Fanny Godebarge, présidente de la plateforme d’information consacrée aux règles cycliques

Certaines caricatures sont d’ailleurs apparues sur les réseaux sociaux pour rappeler, en cette période de pandémie, que les protections hygiéniques sont payantes comme les masques, et pourtant nécessaires pour la santé.

Malgré ces évolutions positives, la composition des protections périodiques reste au centre du problème. En juillet 2018, un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, avait mis en avant la présence de pesticides, d’hydrocarbures, de phtalates…Des substances cancérigènes considérées comme des perturbateurs endocriniens. Seule alternative ? Acheter bio. Se protéger chaque mois est donc devenu un luxe pour les femmes.

Slogan contre la taxe tampon. © Louise Chappe

Même si la normalisation des menstruations avance en France et en Europe, de nombreuses femmes dans le monde n’ont toujours pas accès à des protections périodiques. Certaines, une fois par mois, utilisent de la bouse séchée en poudre dans un tissu, des jupes en peau de chèvre, du coton ou creusent simplement un trou dans le sol pour laisser écouler leurs règles. L’accès à des protections hygiéniques pour toutes est alors fondamental pour l’avancée des droits de chacune.

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