© Jean Patchett, Mr John cover By Louise Dahl-Wolfe, June 1953
Pionnière dans la photographie de mode, Louise Dahl-Wolfe travailla durant 28 ans pour le magazine Harper’s Bazaar. Passionnée, mais surtout rebelle et indomptable, elle vivra toujours son art comme elle l’entend et sans jamais suivre les consignes des directeurs de magazines. Son travail fera d’elle une influence pour les photographes de l’époque ainsi que l’une des figures emblématiques de l’émancipation féminine.
A l’âge de 26 ans, Louise Dahl-Wolfe s’initie à la photographie en étudiant durant 6 ans aux Beaux-Arts de Californie. Ses premières expériences photographiques ont lieu au début des années 30 lorsque, alors qu’elle vivait dans le Tennessee, elle documenta les milieux ruraux victimes de la Grande Dépression. Aussi, ses voyages en Europe et en Afrique affûtèrent son regard et sa qualité d’artiste. Bien qu’elle soit peu connue en Europe, l’américaine Louise Dahl-Wolfe travailla durant près de 20 ans comme photographe chez Harper’s Bazaar, entre les années 1930 et 1960. Durant cette période elle produira plus de 2000 photographies en noir et blanc, 600 en couleurs, dont 86 couvertures de magazine.

Une femme au caractère bien trempé
Nous sommes au début des années 30 lorsque Louise Dahl-Wolfe débute chez Harper’s Bazaar. Cette période d’entre-deux guerres marque le début de l’émancipation féminine : les femmes ayant participé à l’effort de guerre lorsque les hommes se trouvaient au front ne veulent plus se cantonner à leur rôle passé. À cela s’ajoute l’essor de la haute couture, la coupe garçonne devient la nouvelle mode féminine, l’usage des cosmétiques évolue et l’on privilégie désormais les corps minces et élancés dans des vêtements toujours plus courts.
Dahl-Wolfe, femme et photographe, prendra part à ce contexte de changement et vivra son art tel qu’elle l’entend, sans jamais se soumettre. Passionnée, rebelle et indomptable, elle refusera de travailler pour l’illustre magazine Vogue, qu’elle trouve trop oppressif. Elle forgea son nom au sein de Harper’s Bazaar, soutenue par la rédactrice en chef Carmel Snow et par la rédactrice de mode Diana Vreeland. Mais lorsqu’en 1958, le nouveau directeur artistique se permet de regarder à travers l’objectif de la photographe, celle-ci décide de partir en claquant la porte. Encore aujourd’hui, Louise Dahl-Wolfe reste connue pour sa force de caractère, sa liberté d’expression et son courage.
Hollywood jusqu’au bout de l’objectif
Dès 1938, Louise Dahl-Wolfe se rend régulièrement à Hollywood afin de réaliser des portraits de célébrités. Parmi les célébrités que Louise Dahl-Wolfe aura l’occasion de photographier se trouvent Orson Welles, Jean Cocteau, Marlene Dietrich ou encore Yves Montand.
Déjà ici l’artiste tend à briser les codes en utilisant des éclairages naturels, ce qui s’oppose aux portraits d’Hollywood de l’époque. Toutefois, son talent permettra à certaines femme de se faire reconnaître, créant une première génération de supermodèles. La plus connue reste Lauren Bacall qui, grâce à une seule couverture, fût jetée sous le feu des projecteurs. La photo de Lauren, de son vrai nom Betty, attira l’attention de la femme d’Howard Hawks qui décida d’en faire la vedette de son prochain film Le Port de l’angoisse avec Humphrey Bogart, sorti en 1944.

Réinventer l’image, réinventer la femme
Lorsque Louise Dahl-Wolfe arrive chez Harper’s Bazaar, le journal se trouve déjà dans un esprit de modernisation, elle contribua à sa métamorphose et lui offrira un certain prestige. Au-delà du simple fait qu’elle fût l’une des premières à utiliser la couleur, son sens de la photographie était bien différent de celui des autres photographes de mode. Louise capturait le corps et ses détails, bordé d’un certain naturel éblouissant. A l’aide de sa caméra, son troisième œil, elle redessina la femme sur papier glacé.
Alors que les photographies de mode se déroulaient uniquement en studio, Dahl-Wolfe extrait la femme de cet écrin uniforme et de son rôle de mannequin de cire, en la photographiant dans un environnement réaliste baigné d’une lumière naturelle. Celle-ci n’est plus une figurine qui endosse le vêtement, elle le vit. Les photographies de Louise Dahl-Wolfe ne semblent pas rester en suspend, elles ne sont pas vides et froides comme peuvent l’être les regards des mannequins de défilés ; cela semble être la capture d’un réel moment de vie.
En brisant les codes, il ne s’agissait plus seulement d’une révolution artistique, mais aussi sociale. On pense notamment à la photographie nommée Mary Jane Russell in Dior Dress (1950) qui représente une femme qui se prépare pour sortir le soir, seule, tandis que les femmes de chambre l’observent. L’homme n’apparaît pas sur la photo car, en effet, chez Louise Dahl-Wolfe il tient une place reculée, souvent totalement absent du décor. La liberté de la femme règne, une femme plus autonome, confiante, élégante et surtout moderne.

Louise Dahl-Wolfe c’est le naturel dans toute sa splendeur, accompagné d’une vision diverse du vêtement, celle d’une seconde peau autant que d’une arme de revendications. Son talent inspira divers grands photographes de l’époque dont Richard Avedon et Irvin Penn.
Pour aller plus loin, le court documentaire Louise Dahl-Wolfe : Painting with Light sorti en 1999, écrit et produit par Tom Neff et Madeline Bell. Plus d’informations