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Le film historique n’est pas un exercice toujours aisé. Et pourtant L’Ombre de Staline (Mr Jones) d’Agnieszka Holland, présenté à la Berlinale 2019 parvient sans concession à dresser le portrait d’une époque, où les relations internationales et les jeux de pouvoirs prennent le dessus sur les vies humaines.
Journaliste indépendant et conseiller aux Affaires Étrangères auprès de David Lloyd George au sein du gouvernement britannique, Gareth Jones (James Norton), non fier de s’être récemment entretenu avec Hitler, décide de se lancer un nouveau défi : celui de se rendre en URSS pour interviewer Staline, afin d’éclaircir son analyse et son rapport sur la question soviétique. En contact avec divers interlocuteurs sur place, il prends rapidement conscience du malaise suite à la mort de son confrère Paul Kleb. Ada Brooks (Vanessa Kirby) lui indique la découverte que celui-ci avait faite : l’Ukraine. S’en suivra un voyage tumultueux, où ce héros hors du temps mènera un combat sans relâche pour la vérité.
Étant donné le contexte houleux dans lequel nous nous trouvons actuellement, opposant bien souvent pouvoir en place et journalistes, il est intéressant de voir le sort et la place réservée à ceux-ci dans L’Ombre de Staline ; mis de côté ou pleinement intégrés dans les jeux de pouvoirs, et soumis à un silence sous peine de sanction, ou dans certains cas de mort – le traitement cinématographique de ce sujet révèle bien des enjeux.
L’image de l’Ukraine, choque, marque. Il s’agit des images de l’Holodomor, une famine tragique qui perdurera pendant près d’un an entre 1932 et 1933, un sujet semble-t-il passé sous silence dans notre vision de l’histoire mondial, et ce pas seulement en Russie (de nombreux pays, dont la France, n’ont toujours pas reconnu l’Holodomor comme étant un génocide – questionnant notamment le terme employé), et ce malgré plusieurs millions de morts ayant cédés sous le poids et l’arrogance de l’URSS, qui dépouilla cette région fertile, véritable grenier à blé de l’Union, de toutes ses ressources – et ce essentiellement pour pérenniser la souveraineté de leur modèle et leur image. En proposant ce long métrage, adapté de faits historiques, la réalisatrice Polonaise Agnieszka Holland, se fait porteuse d’un travail ambitieux, poussant son public à prendre contact avec l’histoire.
C’est un film profondément nécessaire dans l’idée d’un processus pédagogique de l’histoire, car bien qu’il s’agisse d’une fiction, et que celle-ci réclame une remise en contexte plus large, L’Ombre de Staline est une mise en lumière sans précédent sur un cas historique jamais abordé auparavant au cinéma. Il révèle ainsi la face sombre du célèbre “miracle soviétique“, de la collectivisation, et de la vision du communisme que ce gouvernement prônait. Un fait dont avait déjà témoigné Alexandre Soljenitsyne dans son ouvrage L’Archipel du Goulag, publié en 1974.
L’image du long-métrage développe une esthétique nécessairement sombre, où les espaces extérieurs dépouillés et froids accaparent plus l’esprit que le faste et le luxe des élites dirigeantes, donnés à voir de temps à autre. Les clichés qui demeurent sont ceux de l’Ukraine, celle vu par Gareth Jones, celle jonchée de corps décharnés, celle des foules amassées en quête de quelques denrées – bien qu’il ne s’agisse finalement que d’une partie relativement courte du film.
Ce film laisse s’appesantir sur nous le poids du temps et de notre passé, le poids d’une violence historique, le rapport de force d’ores et déjà anéanti entre un seul homme et une organisation globale, gangrénée par le désir de pouvoirs des uns et des autres, comme en témoigne la prise de position du journaliste étasunien Walter Duranty (Peter Sarsgaard) face à Gareth Jones. Par ailleurs, ce film fait usage d’un parallèle très intéressant, habilement mené par la mise en scène entre la vie de Gareth Jones, et le travail de George Orwell (interprété ici par Joseph Mawle), que l’on suit ici dès le début du film, dans la rédaction de son oeuvre La Ferme des animaux, apologue dystopique publié en 1945, qui critiqua vivement le régime soviétique.