LITTÉRATURE

La Madeleine de Proust #14 – « Nino dans la nuit » : le stroboscope poétique

© Fanny Monier

Crédits : Fanny Monier

Chaque mois, un membre de la rédaction se confie et vous dévoile sa madeleine de Proust, en faisant part d’un livre qui l’a marqué pour longtemps, et en expliquant pourquoi cet ouvrage lui tient à cœur.

J’ai lu Nino dans la nuit l’année dernière, à sa sortie, en janvier 2019. Je connaissais déjà l’un de ses auteurs, Simon Johannin qui avait publié L’Eté des charognes deux ans auparavant chez Allia. Sur la couverture noire, des lettres colorées annoncent le titre comme des enseignes en néons multicolores se détachant sur le ciel nocturne. Au dessus du titre, les noms des auteurs apparaissent en blanc, Capucine et Simon Johannin, mari et femme qui donnent vie à quatre mains au personnage de Nino. Un coup de cœur, un coup de poing, je ne sais pas comment vous décrire cette lecture alors je vais tenter de vous raconter ce que vous pourriez ressentir si vous preniez la peine de suivre de Nino dans sa nuit.

Le livre est un bel objet, la couverture lisse est douce. Tu tournes la première page, tu découvres un jeune homme, fauché, qui tente de s’enrôler dans la légion étrangère. Le roman aurait pu prendre un tout autre tournant mais le test urinaire anti-drogue en décide autrement. Rapidement, Nino t’entraîne dans l’obscurité de ses nuits sous les néons, près des caissons. Tu as les dents plus jaunes d’avoir tiré sur ses Winston. Les yeux plus rouges, la tête qui tourne. Parfois des flashs dans la rétine, quand ce n’est pas un acouphène en bruit de fond du cerveau. 

« Maintenant je fais la fête tout seul, j’ai la pilule dans le sang et dents serrés je ferme les yeux sans force. J’exulte dans les ombres roses et bleues avant de te rejoindre, et des fois les nuits sont trop courtes. Je voudrais pouvoir danser au moins trente heures dans le noir. Je reste ma peau dans la tienne avalé par le lit. »

Nino dans la nuit, par Capucine et Simon Johannin aux éditions Allia

Ce roman raconte la galère de Nino Paradis, le paradoxe de ce nom avec cette vie qui se traîne au ras de terre. 20 ans sur le papier – gueule d’ange – pourtant des rides en plus, creusées par la misère. La drogue aussi. Entre problèmes d’argent, jobs de merde ou combines douteuses, Nino essaie de survivre dans un monde qui fonctionne sans lui et où les seuls moments de répit sont les soirées entre copains. Celles où la drogue et la fête laissent les soucis sur le parvis de la boîte. Pour quelques heures. 

« Rien d’en haut, je prends tout par les yeux, en face. Je regarde les tiens pendant que tu manges et je vois que ça brille, des lucioles et des strass sous une lumière de banquise, je me demande pourquoi moi si con choisit par toi si pure. Mystère de l’amour. »

Nino dans la nuit, par Capucine et Simon Johannin aux éditions Allia

Il y a aussi Lale, l’amour de Nino. La langue du narrateur qui vacille entre passion, tendresse et des mots toujours crus, des images toujours plus vives comme les lumières des boîtes de nuit. Des métaphores qui vous donnent l’impression  … d’avoir loupé une marche. 

« J’attends qu’on nous rende ce qu’on nous a pas encore donnés, l’opportunité de mettre un pied dans l’existence. Je sais même pas si j’en veux, j’ai les bras comme chargés de pierres et je préfère cracher que dire bonjour. »

Nino dans la nuit, par Capucine et Simon Johannin aux éditions Allia

Tu emboîtes le pas rapide de Nino qui circule habilement (mais pas toujours droit) entre les masses et qui, l’œil lucide, te dévoile d’un ton cynique l’envers du décor. Et tu bois ses paroles. Qui claquent et éclatent sous tes oreilles saintes, rarement habituées à tant de feu et de vérité. Tu suis Nino et l’accompagnes « toucher la nuit, l’embrasser, glisser en elle ». Et le jour aussi. Souvent assez morne pour sembler être une nuit faiblement éclairée par une lumière sale. Mais ne t’inquiète pas, il y a aussi des belles lueurs qui réchauffent les cœurs et paraissent d’autant plus vraies.

« Si on avait su que c’était ça le futur on y serait pas allés, moi en tout cas je serais pas venu. Je suis comme le reste, parachuté dans le triste débile de l’époque.

Nino dans la nuit, par Capucine et Simon Johannin aux éditions Allia

Clip musical de Contrefaçon – Ancilla Domini (inspiré par le roman) avec Simon Johannin
Produit par P.Y.T Paris – Réalisé par CONTREFAÇON

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