SOCIÉTÉ

Quand l’école doit choisir entre santé et pédagogie

Hall vide d'une école primaire
© Camille Paillaud

© Camille Paillaud

À partir du 11 mai, les élèves de maternelle et primaire vont petit à petit revenir à l’école. Depuis l’annonce du déconfinement et du retour en classe le 13 avril dernier, les enseignants se posent des centaines de questions et les réponses ne sont pas évidentes.

Rentrée en mai ou rentrée en septembre, cela ne demande pas la même organisation. Les écoles publiques sont en lien avec les mairies, si le maire refuse d’ouvrir l’école, il en a le droit. Dans le cas contraire, c’est aux parents de renvoyer ou non leurs enfants à l’école.

Un protocole sanitaire à l’écoute de l’école  ?

Le 29 avril est sorti le premier protocole sanitaire «  Guide relatif à la réouverture et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires  » de 54 pages. Dans ce document, différentes facettes de la vie éducative sont analysées, afin d’envisager un retour en toute sécurité à l’école. On y retrouve l’importance du nettoyage et de la désinfection, les normes d’accueil des élèves, la gestion des circulations, etc.

Mais que dit concrètement ce protocole  ? Quelques moments du quotidien sont présentés dans ce texte, comme l’arrivée à l’école, la distance de sécurité, les récréations.

Le début d’une journée commence par l’arrivée des élèves. Certains prennent le car, d’autres sont accompagnés jusqu’aux grilles de l’école. Le protocole soulève la nécessité de «  limiter les croisements entre élèves de classes différentes ou de niveaux différents  », de plus, les parents ne sont plus autorisés à entrer dans les locaux. Pour un élève de primaire, ce point semble parfaitement réalisable. Si une nouvelle organisation le matin est nécessaire en primaire, elle semble très compliquée en classe de maternelle, puisque les parents accompagnent les enfants jusque dans la classe et parfois jouent avec eux, afin de faciliter la transition maison / école.

Lorsque les enfants arrivent en classe, le protocole exige une nouvelle organisation de la salle. «  À titre d’exemple, une salle de 50m² doit permettre d’accueillir 16 personnes  », car le mètre de distance exige 4m² par élève. De nouveau, si des élèves en primaire peuvent plus facilement suivre ce geste barrière, un enfant de maternelle en est incapable, car il se déplace tout le temps. D’ailleurs, cette distance entre des enfants de 3 – 4 ans et leur enseignant peut devenir un véritable facteur de traumatisme pour les deux parties. Si un enfant, pleure, n’arrive pas à s’essuyer après être allé aux toilettes, ou s’urine dessus, l’enseignant ne doit rien faire si ce n’est observer au risque, dans le pire des cas, d’une plainte par les parents.

Comment peut-on laisser un enfant de trois ans qui terrorisé par le climat ambiant, ne maitrise plus ses sphincters, sans pouvoir sans approcher pour le changer et le rassurer  ? C’est impossible, c’est infaisable  !

Marie-Agnès, Professeure des écoles en maternelle

Cette obligation de ne pas intervenir physiquement lorsqu’un enfant est en détresse remet en question l’ensemble du métier d’enseignant. La place de la responsabilité est au coeur de ce dilemme : entre intervenir et aller à l’encontre du protocole, ou ne pas intervenir et ne pas apporter son aide à une personne en difficulté.

Les deux points précédents ont soulevé des difficultés à appliquer le protocole en classes de maternelle. Mais, s’il y a bien un élément en commun avec l’ensemble des niveaux scolaires, c’est la récréation. Ce moment où l’on peut se défouler, courir, jouer avec ses amis et évacuer l’énergie emmagasinée pendant le cours. Mais, pour protéger les enfants et l’ensemble du corps enseignant, les récréations sont soumises au protocole. Comme il faut rappeler que le mètre de sécurité est également présent sur la cour de récréation, «  les jeux de contact et de ballon devront être proscrits, comme tout ce qui implique des échanges d’objets, ainsi que les structures de jeux dont les surfaces de contact ne pourront pas être désinfectées  ». S’il y a la moindre difficulté, les récréations pourront «  être remplacées par des temps de pause en classe à la fin du cours  », c’est-à-dire, rester à sa table toute la journée et même le midi, car la cantine est fermée. Pour les élèves de maternelle qui ont des coins jeux, aucun de ces lieux n’est autorisé, par manque de désinfection systématique.

© Camille Paillaud

Le protocole est tombé, les enseignants doivent en parler et organiser cette rentrée particulière avant le 11 mai. Dans la salle de réunion d’une école primaire en Loire-Atlantique, la colère se fait entendre  : « Le protocole n’est pas adapté pour des enfants ! » , « Sanitairement ce n’est pas viable  ! », « Nous sommes le seul pays à retourner à l’école  ! ». Si ces enseignants réagissent vivement, c’est parce qu’il y a de nombreuses questions qui restent sans réponse, autant de la part du gouvernement, de l’inspection, que de la mairie. Le matériel obligatoire signalé dans le protocole, comme les serviettes à usage unique, les gels hydroalcooliques, le savon, des lingettes désinfectantes, les masques…, rien n’a été préparé et aucune commande n’a été faite au sein de l’école.

Lors de cette réunion les questions sur l’organisation des salles, la gestion du personnel, le matériel, la surveillance, le nombre possible d’élèves dans chaque classe, le nettoyage ne cessent de revenir sur la table.

À la suite d’un appel téléphonique à la mairie, le maire se veut rassurant sur la quantité des stocks de savons et de produits désinfectant, tout comme avec le personnel supplémentaire et nécessaire au nettoyage des salles, tables et chaises plusieurs fois par jour. Mais certaines questions, comme celles concernant les masques, restent sans réponses  : « c’est le flou total », « on ne sait pas du tout » .

Mardi 6 mai, le Président de la République se rendait dans une école primaire. Par la suite, il a été interrogé par des journalistes de TF1 et de France 2, sur la rentrée scolaire qui approchait. Malheureusement, l’entretien n’a pas visé particulièrement les difficultés de la rentrée scolaire et les interrogations concrètes des enseignants. Selon Emmanuel Macron, le temps scolaire va se diviser en quatre parties  : « un temps de travail, un temps d’étude, un temps pédagogique mais non scolaire, comme le sport, la culture qui sera préparé par des acteurs sportifs, et enfin un temps à distance ». Cependant, en plus du risque sanitaire, la plus grande inquiétude des enseignants est surtout celle du temps de travail qui semble impossible.

Une pédagogie en péril

Pour le gouvernement, il est important que les élèves retournent à l’école, car le confinement a creusé les inégalités sociales. Cependant, au vu des quelques aspects du protocole, l’enseignant doit s’assurer que chaque élève se soit lavé les mains avant d’aller en classe et seulement un par un dans les sanitaires. Une fois en classe, il doit faire cours en surveillant les élèves qui éternuent ou qui se mouchent, car il va devoir les accompagner dans les sanitaires pour un énième lavage de main, tout en gardant un œil sur sa classe. La place de l’hygiène va prendre le pas sur l’enseignement : « On va perdre en pédagogie  !  »

Et si, les élèves restent à leur place et sont sages comme des images  ? Et si aucun rhume n’est présent  ? L’enseignant peut certainement faire son cours comme il a l’habitude de le faire. Ainsi, la leçon commence et les exercices tombent. Les premières mains se lèvent pour prévenir le professeur, cependant, comme le précise le protocole  : «  devront être proscrits […] tout ce qui implique des échanges d’objets  ». Donc échanger la feuille d’exercice pour une correction entre l’élève et le professeur ne peut se faire sans désinfecter le papier… Même si cette situation n’est qu’un détail, elle relève pourtant de la vie quotidienne de l’école. Des solutions sont possibles pour enseigner sans échanger avec les élèves, mais il faut que les enseignants modifient de nouveau leur méthode de travail. Une méthode qui a été radicalement modifiée depuis le confinement, car il a fallu l’adapter pour une version en ligne. Après le 11 mai, il faudra imaginer un cours adaptable en classe sans échange et en même temps en ligne pour l’autre partie de la classe restée à la maison. Pendant la journée, les professeurs vont devoir préparer des cours à distance, tout en étant en présentiel, mais pour certains « ce n’est pas possible d’être sur place et en plus d’envoyer des cours  ! », « Les élèves en feront moins à l’école qu’à la maison »,  « Il n’y aura aucun apport pédagogique ! » , « On va faire garderie, j’ai abandonné l’idée de faire de la pédagogie. »

Si l’on résume le rôle d’un enseignant en primaire, il devra vérifier si chaque enfant se lave bien les mains, si le matériel est désinfecté, l’accompagner aux toilettes, veiller aux distances de sécurité entre les enfants, donner un cours structuré et pédagogique en classe et en même temps à distance. Mais aussi, rester peut-être dans la salle de classe lors du repas du midi, obliger les enfants à rester à leur table toute la journée, mettre en quarantaine pendant cinq jours un livre s’il a été touché, un ensemble de contraintes qui ne sera pas sans conséquence.

Après près de deux heures d’interrogations et de recherche d’éventuelles solutions, la réunion s’achève. À l’unanimité, les enseignants craignent pour le bien-être des élèves qui devront revenir à l’école.

Actuellement les enfants sont dans une prison dorée, à l’école ils seront dans la prison d’Alcatraz.

Karine, Professeure des écoles

Des solutions, mais un avenir incertain

Depuis le début du confinement, certains élèves, comme les enfants de soignants, n’ont pas quitté les bancs de l’école. En mars, la colère des enseignants ne s’est pas faite entendre, alors que la contamination était nettement plus importante qu’à l’heure actuelle puisque l’ensemble de la population était confinée.

Je me suis portée volontaire pendant la période de confinement, dans une école autre que la mienne, les groupes n’excédaient pas cinq élèves et le protocole sanitaire n’était pas aussi strict, alors qu’il y avait autant de danger. Maintenant c’est à grande échelle. Même si les groupes n’excèdent pas quinze élèves, c’est énorme quinze élèves. Pendant le confinement les enfants pouvaient jouer, il n’y avait pas cette distanciation et les jeux étaient présents. Maintenant c’est complètement différent. Maintenant on va accueillir un grand nombre et c’est ça qui fait peur, et aussi ce nouveau protocole.

Marie-Agnès, Professeure des écoles

Pour cette école la solution finale est de faire une rentrée différée pour chaque niveau. Commencer par les CP et les CM afin de voir ce qui est faisable et ce qui sera compliqué avec un effectif important, parce que pour le moment « il y a trop d’inconnus ». Pour ouvrir les autres niveaux, il faut que certaines questions soient résolues comme l’explique le directeur : « moi, pour parler d’une situation, il faut que je vois, seulement après quelques jours, je pourrai parler aux parents ». Par la suite, les autres niveaux de primaire pourront retourner à l’école. Une fois, la situation établie, le pôle des maternelles qui pose actuellement énormément de problème dans le protocole pourra, peut-être, rouvrir.

Le mois de mai va permettre un premier retour à l’école pour certains élèves, mais la seconde vague ne tardera pas. En juin de nombreux élèves devront retourner en classe puisque leurs parents ne toucheront plus le chômage partiel et devront retourner travailler. Le mois de juin sera signe d’une nouvelle organisation pour les écoles avec, peut-être à la clé, un nouveau protocole d’autant plus strict.

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