© Ciné Tamaris
Le Festival de Cannes n’aura pas lieu. En tout cas pas en mai. Et pas sous la forme que l’on connait. La rédaction vous propose une sélection non exhaustive de Palmes d’or qui ont jalonnées l’histoire du festival depuis sa création. En 1964, Les parapluies de Cherbourg, Jacques Demy fait le pari gagnant d’un film coloré, tout en chansons, sur l’histoire d’un amour manqué.
En 1964, Jacques Demy connaît son premier succès auprès du grand public. Le réalisateur de Lola (1960) et La Baie des anges (1963) révèle Catherine Deneuve dans le rôle de Geneviève, une adolescente rêveuse de dix-sept ans qui tombe enceinte de son petit-ami Guy (Nino Castelnuovo). En 1957, le jeune homme est contraint de partir pour son service en Algérie. Forcée de rester aux côtés de sa mère (Anne Vernon) dans une petite boutique de parapluies de la ville, Geneviève rêve du retour de son petit ami. Pour elle, sa mère a d’autres projets.
En rendant à Marc Michel le rôle de Roland Cassard, Demy fait un clin d’oeil à Lola, son premier long-métrage. Fidèle au poste, Michel Legrand revient pour sa troisième collaboration et signe un motif mémorable auquel le film doit beaucoup. En quelques notes, toute la mélancolie prend corps. Il y a dans Les Parapluies de Cherbourg les occasions manquées qui sont chères à Demy. Du début à la fin, la tragédie s’annonce. Les retrouvailles n’auront pas l’effet escompté. Les deux amants sont cantonnés à répéter un même air, la promesse d’un futur qui n’est pas le leur.
Demy, toujours à l’Ouest
Pour son troisième long métrage, le réalisateur tente de trouver sur la côte le décor naturel de son scénario. Comme il l’a fait pour Lola avec la ville de Nantes, et comme il fera dans Les Demoiselles de Rochefort, Jacques Demy fait de la ville un personnage. Cherbourg, point de départ pour le nouveau monde, ville au passé militaire historique, se transforme. Le réalisateur choisit la grisaille normande pour son premier long métrage en couleur. Par petites touches ou par de remarquables tapisseries saturées tantôt rouge, verte, bleue ou rose, Demy repeint la ville.
Le cinéaste qui aime ouvrir sur des fronts de mer dans de longs plans-séquence (Lola n’était pas dédié à Max Ophüls pour rien) emmène son film d’une plage à l’autre. À Cherbourg, Geneviève se promène aux côtés de Roland Cassard, par dépit ; à Cannes, le succès est inespéré. Pour Mag Bodard, productrice, qui a fait le pari de porter ce film ambitieux, c’est le début d’une grande collaboration sous le signe du risque.
Le trivial romancé
Demy donne à voir les merveilles de l’ordinaire. Legrand offre au film une sublime mélancolie en signant une partition expressive qu’interprètent Danielle Licari (Geneviève Émery), José Bartel (Guy Foucher) et Christiane Legrand (Madame Émery). Le cinéaste vient romancer le trivial en faisant de la musique un mode de communication permanent. Tout est chanté, des balades en bord de mer au dîner en famille où Geneviève, sa mère et Roland partagent une galette des rois.
Il ne faut pourtant pas s’y tromper, derrière l’esthétique arc-en-ciel qui sera la signature de Demy, Les Parapluies de Cherbourg est un révélateur. Le cinéaste met à l’honneur les métiers manuels et n’hésite pas à tourner dans les rues populaires de Cherbourg. Face au milieu petit-bourgeois de sa petite amie, régi par les convenances, Guy a une petite chambre dans l’appartement qu’il partage avec sa tante Elise (Mireille Perrey). Demy montre aussi la grossesse non désirée d’une adolescente qui n’est pas mariée. Plus subtile, beaucoup de spectateurs voient dans cet amour caché, sans cesse ramené au lendemain, une allusion à la culture gay. Il ne faut pas oublier que le film évoque aussi la guerre d’Algérie, une mention courageuse et rare dans une époque où l’allusion aux « événements » n’est pas de bon ton. La guerre est le rappel d’un réel qui fait obstacle à la romance.
De ce classique instantané, on retiendra l’esthétique haute en couleurs, la musique lyrique, mais aussi les regards caméra, les thématiques traitées avec courage. Si le film a été consacré, ce n’est pas sans raison. Dès 1964, Demy n’est plus un nom, c’est une signature et elle n’a rien perdu de sa singularité.