CINÉMA

PALME D’OR – « Le Ruban Blanc », le son de la violence

© ARD/Degeto/BR/X-Filme

Le Festival de Cannes n’aura pas lieu. En tout cas, pas en mai. Et pas sous la forme que l’on connait. La rédaction vous propose une sélection non exhaustive de Palmes d’or qui ont jalonnées l’histoire du festival depuis sa création. Palme d’or de 2009, Le Ruban blanc est le tableau d’une société avant la première guerre mondiale, fermée sur elle-même. Entre abus, violences et obsession de l’innocence, les figures d’autorité d’un petit village allemand s’obstinent à conserver un idéal qui n’a jamais existé.

Il y a beaucoup de raisons d’en vouloir à Michael Haneke. Ses films se passent de musique, à l’exception de celle qu’écoutent ses personnages. Ils sont cruels, pessimistes, frustrants et le cinéaste refuse de donner une interprétation. Mais qui sait restituer la violence à l’écran avec tant de justesse ? Peu de films saisissent le monstruosité dans le détail comme le font ceux de Haneke. Le Ruban blanc est un de ces grands films où le mal est omniprésent sans que jamais son nom ne soit dit.

Société sans couleur

Allemagne, 1913. Un petit village protestant subit en l’espace de quelques semaines un déferlement de violence inédit. Saccage des récoltes, mutilation d’enfants, meurtre d’une paysanne… Entretenu dans un système quasi-féodal, le petit village sombre progressivement dans la paranoïa. Dans cette micro-société dont le pasteur, le médecin et le baron sont les figures d’autorité, la tristesse devient omniprésente. La société que dépeint Haneke semble bien terne, austère et le noir et blanc n’y est pas pour rien.

© ARD/Degeto/BR/X-Filme

Quand son fils ramène un oiseau blessé et promet de le soigner, le pasteur prévient l’enfant : l’oiseau est habitué à la liberté, en cage, il sera malheureux. Pour les locaux, le passage en ville fait figure d’exception. La liberté n’est même pas un sujet. La reproduction se poursuit donc, faute de contre-modèles. Le fatalisme se lit sur tous ces visages que Haneke prend le temps de cadrer tour à tour. La messe est dite.

Les femmes et les enfants d’abord

Cloisonnées dans les rôles traditionnels, les femmes sont muettes. Témoins et victimes de la violence de maris médiocres, garants pourtant de la bonne morale. L’obsession des hommes de pouvoir pour le ruban blanc est telle, que l’effet inverse se produit. L’innocence se désagrège dans les déchirements de violence des plus jeunes. Les figures d’autorité essaient vainement de marquer la frontière entre le monde de l’enfance et le leur. Le pasteur lie son fils à son lit «  pour ne pas [qu’il] succombe aux tentations de sa jeune chair  ». Attaché à l’innocence à l’aide d’un ruban blanc comme si le mal était ailleurs, hors de portée, le fils aperçoit de sa chambre l’incendie de la grange. Les deux mondes ne sont pas imperméables.

Le professeur se promène dans une zone grise. Au contact des enfants dont il peine à obtenir les confidences, il est rejeté par la plupart des adultes. Du haut de ses 31 ans, il s’émerveille de la timidité et de la franchise infantile d’Eva, une (très) jeune employée de la baronne. Une autre époque, nous dira-t-on. Il n’est pas étonnant que le personnage à la frontière des deux mondes soit le narrateur de ce récit cruel.

© ARD/Degeto/BR/X-Filme

Violence partout, innocence nulle part.

Le Ruban blanc se passe de musique, à l’exception de celle que joue la baronne qu’aucun villageois n’est assez bon pour accompagner et de celle qui résonne dans l’église. Si le silence est omniprésent, c’est que la violence s’écoute. L’instituteur vieilli d’une trentaine d’années au moins commente l’intrigue. Sans éclairage rétrospectif, il détaille les ellipses de l’intrigue. Dans le film de Haneke, le son s’immisce entre les images. De la même façon, la violence s’écoute bien plus qu’elle ne se regarde. Les coups sont distribués hors-champ. L’abus se devine derrière les portes.

Dans l’ombre des grands absolus, les enfants découvrent un monde construit sur le mensonge, la manipulation et la violence. C’est là le coup de maître de Michael Haneke. Sous l’apparence d’un film sage qui emprunte quelques codes au documentaire, le cinéaste autrichien livre un récit puissant sur la violence insidieuse et la complexité des idéaux dans un monde qui s’apprête à basculer avec fracas dans la modernité.

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