Photo : Musée d’Art Moderne de Paris
Avec le coronavirus, la crise sans précédent que connait la France souligne un peu plus chaque jour des difficultés béantes. Musées, bibliothèques, théâtres : nous nous sommes intéressés à la situation préoccupante des travailleuses et travailleurs vacataires.
Les étudiants et jeunes actifs sont profondément touchés par la crise qui donne suite à la décision de confinement du 20 mars dernier, beaucoup n’ayant plus de revenus suite à cette décision. Plusieurs femmes ont fait le choix de répondre à notre appel à témoignages ; elles travaillent dans des musées, des bibliothèques universitaires, elles sont chargées d’accueil ou de surveillance ; toutes étudiantes leur quotidien a été bousculé par la fermeture des établissements dans lesquels elles travaillent, et si les situations varient, le doute et les craintes ont été les mêmes dès le départ.
Le 24 mars dernier le Collectif des vacataires de Paris Musées alertait sur la situation des vacataires travaillant dans les musées parisiens via un communiqué de presse publié dans Médiapart. La vacation est par définition précaire, c’est un travail au jour le jour, comme l’explique très bien Camille* qui travaille dans un musée du sud-est de la France : « en fonction de mon emploi du temps je choisis différentes missions. Je prends souvent l’équivalent de 35h de boulot. J’enchaîne donc plusieurs CDD et c’est à la carte chaque mois. ». Si les conditions semblent idéales pour les études, le travail n’est pas toujours assuré et les droits sont limités : pas de congés payés, des arrêts maladie qui ne donnent lieu à aucun droit, et pas de progression professionnelle possible.
Précarité(s)
Dans chacun de ces témoignages on retrouve cette anticipation, une anticipation sur le fait que rien ne sera mis en place étant donné la singularité de leur statut ; l’appréhension aussi, étant donné la conscience de cet équilibre fragile. Maria* qui travaille à Paris dans la bibliothèque d’une grande école, souligne toutes les difficultés et les embuches qui s’imposent à elle : « suite à cette situation, je me retrouve sans ressources professionnelles. Je n’ai pas le droit au chômage technique, car vacataire et non salariée ; je n’ai pas le droit au chômage “classique”, même si j’ai travaillé plusieurs années, car je suis étudiante ; je n’ai pas le droit au RSA car j’ai des droits aux chômage que je dois “utiliser” avant. » Un casse-tête pour elle qui doit pourtant subvenir à ses besoins et mener à bien son parcours universitaire. Elle évoque en parallèle son statut d’auto-entrepreneuse qui ne l’aide pas plus car aucun contrat ne s’offre à elle depuis janvier : « je touche la prime d’activité, mais comme je ne vais plus avoir de revenus, je vais perdre 200€ par mois d’allocations de la CAF… Il me reste ma bourse étudiante maintenue à 250€ par mois, et mes yeux pour pleurer. » Inès*, qui travaille dans une bibliothèque municipale, a elle dû prendre les devants : « on est plus de vingt étudiants à y bosser mais visiblement on va pouvoir s’asseoir sur un quelconque salaire. Donc personnellement quand tout a commencé à fermer j’ai fait un prêt étudiant pour pouvoir assurer mon loyer, car je n’ai aucune idée de quand mes vacations reprendront, c’est une grosse galère financière. ».
Pour Chloé* c’est également la douche froide, ses études l’ayant empêchée de faire autant d’heures par rapport à sa précédente année de travail, en travaillant uniquement les week-ends et pendant les vacances au musée elle a du faire une croix sur un revenu conséquent : « ma situation est naturellement compliquée d’autant que nous sortons de la période creuse (janvier – février) pendant laquelle je n’ai pas pu travailler tous les week-ends. C’est la même chose pour tout mes collègues, le début d’année est difficile, les expos sont fermés on ne nous appelle pas, il y a également eu une réduction de l’effectif. »
En plus de cette situation la menace du virus a assez rapidement plané autour des structures culturelles, avec une prise de conscience tardive de celles-ci : « au début le musée restait ouvert alors que nous savons déjà que le virus est contagieux. Mes collèges et moi-même s’inquiétaient de savoir ce qu’il adviendra de leurs revenus si les musées ferment, nous n’avions aucune informations la dessus. D’un autre côté nous étions aussi inquiets pour notre santé et celle de nos proches (…) » Une prise de conscience tardive, pour des postes pourtant très exposés, bien souvent en contact immédiat avec le public ou les visiteurs. Une prise de conscience qui a ainsi pris tout le monde de cours et ce du jour au lendemain : « le 13 mars aux alentours de 17h30 nous recevons tous un message nous avertissant de la fermeture des musées et de l’annulation de nos heures de travail. Aucune rémunération en vue à ce moment là donc. » Quelques jours plus tard elle reçoit un nouveau message de son employeur annonçant qu’une solution serait trouvée via une indemnité journalière, et si celle-ci a été proposée pour mars, rien n’est encore sûr pour avril ou pour le mois de mai, alors que le confinement sera très certainement prolongé au-delà de cette période. Une situation dans laquelle se retrouve également Camille, dont nous parlions plus tôt, si ses heures lui ont été réglées pour les contrats qu’elle avait signé avant le confinement, aucun revenu n’est prévu pour la suite.
Ce sont des interrogations et des doutes à long terme qui s’accumulent ainsi, dépassant le contexte même du confinement, Chloé poursuit : « aucune nouvelle alors que le confinement se rallonge. Serons nous indemnisés ? A quel point ? Quand reprendra le travail ? J’ai déjà perdu 1000€ sur mes économies depuis le début de l’année scolaire, pour un étudiant c’est une somme colossale et tous n’ont pas nécessairement eu l’occasion de travailler suffisamment pour économiser comme j’ai pu le faire. Au delà de l’instabilité de notre situation c’est le manque de communication constant à notre égard qui me déplaît. Nous sommes invisibles pour les visiteurs du musée, mais aussi pour le reste du monde. ».
Des mesures concrètes ?
Parfois les mesures mises en place révèlent de bonnes surprises, bien que certaines modalités demeurent floues. Sandra* affirme ainsi : « j’ai reçu ma paie hier et on est payé normalement ! En revanche je ne sais pas s’ils vont imposer de poser des congés comme cela a été proposé par Gérald Darmanin. Perso j’avais posé un congés la semaine pro qui ne me sert plus à rien du coup mais ça aurait pu être pire. Ils font appel aux volontaires pour venir travailler, et aussi pour ceux qui viennent travailler un jour férié c’est payé comme un jour férié (donc bien payé). Je ne suis pas trop embêtée parce que je travaille dans une grosse structure qui a les moyens, à côté de ça j’ai une copine qui travaillait dans une salle de concerts et était payée au pourboire. Elle elle est un peu plus en galère parce qu’elle n’a plus rien. »
Pour Ninon*, qui travaille dans un théâtre les mesures ont été à la hauteur de la conjoncture : « avec l’équipe de vacataires on a commencé à avoir peur une semaine avant la fermeture des écoles, parce qu’on savait que si on ne faisait pas d’heures en mars et avril on n’aurait pas de salaire, puisqu’on n’est pas protégés. Pas de chômage technique pour nous, rien. Mais fort heureusement notre responsable a fait la demande à la DRH pour des indemnités, et la demande a été acceptée. Nous recevrons donc fin mars et fin avril une indemnité financière calculée à partir de nos revenus de décembre, janvier et février. » À cela il faut ajouter que les salaires sont souvent versés en décalé (un mois plus tard en général), mais dans le cas de Ninon, les responsables ont fait le choix de les verser dès que possible pour limiter cette précarité manifeste : « on a reçu le salaire de février (qu’on reçoit normalement fin mars) au début du confinement. ».
Même système d’indemnisation pour Fannie* qui travaille dans l’accueil d’un SUAPS : « on est payé aux heures qu’on effectue normalement donc je me suis dit que je n’allais plus avoir d’argent vu que l’université fermait. Mais du coup on a reçu un mail disant qu’ils avaient décidé de nous payer sur l’estimation moyenne d’heures qu’on effectue en temps normal. C’est plutôt sympa c’est l’université qui a décidé ça et donc le SUAPS a suivi. Mais je ne sais pas encore quelle sera la moyenne retenue car on est payé en différé donc je vais avoir la surprise en mai normalement. Ça me rassure quand même parce que ça fait un petit revenu d’assuré… ». En effet ce système pose question car basé sur les derniers mois de travail, et le temps travaillé à cette période, il place les vacataires dans une position demeurant incertaine et compliquée.
Et après ?
Comme le soulignait très justement le communiqué de presse du Collectif des vacataires de Paris Musées, des mesures concrètes sont attendues, face à cette pluralité de situations et des déséquilibres manifestes, le statut même de vacataire pose question et semble aujourd’hui réclamer une mise à jour des modalités et des droits que celui-ci permet. Et si des indemnités ont été versées pour mars, voire pour avril, qu’en sera-t-il pour la suite ? Dans quelle mesure les structures pourront continuer à payer leurs vacataires et renforts, si aucune mesure de soutien ou de directives claires ne viennent garantir une sécurité pour ce statut dans le cadre du confinement ? La question reste en suspend.
Plus largement cette prédominance des étudiantes et étudiants dans les contrats vacataires, souligne à quel point ceux-ci sont tributaires de systèmes certes souples, qui permettent bien souvent de conjuguer études et travail, mais également très précarisant car faisant l’impasse sur des droits pourtant nécessaires. Cette conjoncture met en exergue toute les difficultés auxquelles doivent faire face les étudiants, et surtout les plus pauvres d’entre eux.
* L’ensemble des prénoms ont été changés