CINÉMA

« Si tu vois ma mère » – Maman, son fantôme et moi

Félix Moatti (Max) et Noémie Lvovsky (Monique) dans la fiction de Nathanaël Guedj "Si tu vois ma mère"

© Ivan Mathie 2018

Disponible jusqu’au 9 mai sur Arte, Si tu vois ma mère est un téléfilm de Nathanaël Guedj. Une comédie délirante et sensible sur le deuil d’une mère encore (trop ?) présente.

« Oui… Oui… Bien sûr… Allez, à demain… Moi aussi…. Mon dieu ce qu’elle est envahissante !  ». Vous êtes en terrasse, impassible à la fureur du monde et voilà que l’ami(e) que l’on croyait impénétrable aux ondes familiales vient de mettre fin à la demi-heure quotidienne réservée aux négociations d’armistice maternel. Cher lecteur, passons ensemble un accord tacite sur le doux refrain du «  l’enfer c’est les autres  » puisque nous sommes encore lucides et qu’il faut bien que nos pénibles heures philosophico-lycéennes servent à quelque chose. Ici, il sera question du rôle de nos mères dans nos vies, il est donc bien entendu que vous et moi sommes parfaitement mesurés à ce propos, laissant logiquement le problème aux autres, nous éclaboussant fièrement d’un sens des relations humaines discutables. 

L’ami.e en question se penche alors sur son Perrier rondelle (il est encore tôt), confit d’angoisses, reprend son esprit taquin puis dissipe entre tendresse et honte la culpabilité de son départ soudain. Aucun commentaire sur ce lien si fragile ne serait accepté. 


© Ivan Mathie 2018

L’ami.e n’est plus ami.e, mais bien le rejeton de sa mère. Max (Félix Moati), lui, n’a aucune honte d’être le fils de sa mère avant d’être un homme. Sa vie tourne autour de cet astre enveloppant, fusionne ses passions. Ce n’est pas un cordon ombilical qui les relie depuis trente ans mais bien un cordon de sécurité que les deux autres enfants de Monique, des filles, ne s’aventurent jamais à franchir. Si Max est un fils de plus en plus athée, Monique est une mère juive. Les clichés existent pour perdurer. Monique est évidemment bonne cuisinière, propriétaire du restaurant «  Chez Maman » et n’ose pas dire à son fils qu’elle part au Japon pour un nouveau départ avec l’homme qu’elle aime. Mais comment partir sans celui qui vous considère comme la femme de sa vie ? Le laisser à quai ? Lui envoyer des cartes postales ?

Alors Monique, sans prévenir, s’absente. D’un coup, un seul, elle s’envole un soir, coupant la cordon de sécurité. Sans prévenir, le plus naturellement du monde, Monique meurt. Max reste donc bien à quai. Sa mère meurt, c’est lui qu’on réanime. Son corps ne peut accepter la nouvelle. Dans un premier temps, ce sont ses oreilles qui tressaillent. Votre mère est ***. Le mot n’arrive pas, le médecin parle mais il n’entend rien. Ensuite, ce sont ses yeux qui lui font défaut. Sa mère est là, partout, tout le temps, là. À tout moment, l’imprudente réapparait à l’halluciné, pourvu que celui-ci croque un de ses gâteaux préparés avec amour avant son égarement. 

En regardant Si tu vois ma mère, le spectateur ignore quel fils Nathanaël Guedj, son auteur, est, mais devine quel cinéaste il aspire à devenir. À coup sûr, un cinéaste badin et profond, un prestidigitateur de sentiments, tendre et moqueur. Dans ce téléfilm diffusé ce vendredi 10 avril par Arte (et dont la qualité supérieure éclipse bon nombre de comédies paradant habituellement en salles), aucune promesse faite à l’aube ne vient emporter l’existence du héros. Pas de vie fantasque, ni de tourbillon éclatant, plutôt un quotidien claudicant. Ses personnages sont bienveillants, protègent leurs amis ou familles de leurs propres excès. À cette traversée du deuil, Guedj ajoute une belle idée légère bien qu’évidente : la famille que l’on s’invente en plus de la famille que l’on subit. Pour le fils-veuf, ce sont ses collègues, tous médecins. Lui, ophtamologue, ce qui donne lieu à quelques métaphores plus ou moins bien senties, partage son cabinet avec deux amis et une nouvelle psychiatre basque, Ohiana (pétillante Sara Giraudeau). Avec celle-ci, il débute une relation (à trois, forcément) et, malgré lui une thérapie pour comprendre ces apparitions en série. Tous sur-protègent, surveillent, étouffent d’amour un Max, occupé à filer en douce avec « son » fantôme.


© Ivan Mathie 2018

De cette farce potache, Guedj déroule une chronique douce, dingue et délicate sur l’incapacité d’assumer l’âge adulte. Le jeune réalisateur ne cache pas ses inspirations, présentes dans son réjouissant conte, à commencer par Le Complot d’Oedipe, sketch de Woody Allen dans la mosaïque d’instants new-yorkais New York stories où la mère du héros, subitement disparue lors d’un spectacle de magie, squattait le ciel de Manhattan et le harcelait de sermons moralisateurs. Si la Monique de Guedj se mêle évidemment de tout, et à commencer par ce qui ne la regarde pas, elle est une femme libre.

C’est cette liberté que son fils n’est pas capable de voir, niant sa féminité et son intimité. Max est de ceux qui ont tout fait pour provoquer une passion sans pouvoir en assumer complètement les conséquences. Cet adulescent qui joue à l’adulte à table mais hume les textiles de sa mère dans sa penderie se complait dans une tristesse égoïste doublée de déni. Garder sa mère, oui, mais embrasser une femme devant elle, non. Le garçon qui voulait régler son coeur sur le coeur de sa mère découvre la distance, et avec elle, ses richesses. Nos mères sont des monstres d’amour, et nous sommes leurs esclaves consentants, parfois même leurs commanditaires. Un parfum dans une cage d’escalier un soir de sortie, une réplique crue au moment inattendu, un regard complice, tout est pardonné.

Jamais le film n’ordonne au spectateur d’aimer sa mère. Aux cris de supplication, il préfère lui susurrer : « Sois doux avec elle, comprends là ». Cette intelligence, le film la doit à Noémie Lvovsky, sommet d’assaut émotionnel, à la fois aimante et chiante, carressante et en force.

« Un fils qui a perdu sa mère est un fils perdu à tout jamais » dit une pseudo amie de Monique à son fils à son enterrement. Un film qui regarde les femmes, et les mères, avec autant de justesse et d’originalité, n’est pas un film perdu. C’est un film qui apaise. Parole d’ami, parole de fils.

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