CINÉMA

(Re)Voir – « Les Moissons du ciel », au rythme du vent

© Paramount

Pourquoi ne pas plonger ou replonger dans la beauté et les paysages intérieurs et extérieurs de Days of Heaven, aussi appelé Les Moissons du ciel, de Terrence Malick ? Partons à la découverte d’un film qui en 1978, s’est construit d’images poétiques qui marquent encore profondément les esprits.

Les saisons s’enchaînent au rythme de la mémoire, des images d’une beauté indescriptible, auxquelles seule rivalise la nudité de la nature qui les forme, se présentent sous nos yeux. Une nudité qui entoure ces quelques personnages perdus dans un milieu qui les conforte en partie mais leur échappe, perdus dans leur vie, seulement conduits par la nécessité de combler un ventre vide.

Car Les Moissons du ciel commence par une recherche de survie : le martèlement de la forge, le grondement du feu, le travail du métal, l’agression d’un homme, forment le bourdonnement de la ville, desquels nos personnages s’échappent, pour rejoindre, élevés par la musique si mythique maintenant d’Ennio Morricone qu’elle semble venir du fond des âges, les larges champs de blé à l’ombre des montagnes rocheuses, où ils trouvent un salaire presque adéquat.

Ici, de brefs instants, la nature semble en harmonie avec les humains qui la peuplent, si ces humains ont le privilège d’être riche et de profiter de la terre que d’autres travaillent et ne peuvent que brièvement contempler. Car la nature est indifférente, et la moisson, l’exploitation, restent au cœur de cette terre dorée. L’harmonie a du mal à exister, et bientôt, les relations humaines se détruisent, leur terre périssant elle-aussi dans leur sillon, dans une alchimie vicieuse et sinueuse.

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Une femme et un homme, forment un couple. Ils se font passer pour frère et sœur, afin d’éviter d’éventuels problèmes. Ils sont accompagnés d’une petite fille, soeur véritable de l’homme, qui narre cette histoire, de son point de vue innocent. Ils survivent tant bien que mal, et se retrouvent à faire les moissons sur le domaine d’un riche propriétaire, qui d’après quelques paroles volées serait proche de la mort.

La dure et lente frappe des forges de la ville est remplacée par la vive et virevoltante machinerie nécessaire à la récolte des épis à perte de vue. Par leur apparence et leur son, on croirait voir une nuée d’oiseaux battre des ailes, migrant au gré des saisons. Dans une référence anachronique dans l’histoire du cinéma mais pas des hommes à l’ère industrielle, on croirait entendre les machines volantes peuplant Laputa : Le Château dans le ciel d’Hayao Miyazaki. Une ingénierie dévastatrice de son efficacité, mais presque magique, et enrobée d’une apparence merveilleuse.

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Des saisons passent, et il devient clair que le riche exploitant, bon au deumeurant, s’éprend de la femme. Par une décision au gré du vent et des possibilités financières, dans l’espérance d’un futur radieux derrière la maladie qui terrasserait prochainement le propriétaire, la femme se marie à lui. Ainsi ils s’éprennent l’un de l’autre, les deux relations se font parallèlement, une à l’ombre une au soleil, et la vie semble un instant apaisée dans une fausse extase, entre deux moissons.

Mais très vite revient l’activité, et, après des vas-et-vient entre mensonge et vérité, la mort se charge d’achever l’enchevêtrement des destins de nos personnages, et il ne reste que ce souffle de liberté et de vie, qui pour ceux encore en vie, sera sans doute aussi grand que l’avancée de l’industrie humaine exploitant sans relâche les terres qui ne demandent apparemment qu’à être possédées.

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La danse des moments, des mémoires, si propre et chère à Terrence Malick, autant dans le cadre que dans la structure globale du récit, est ici voluptueuse et lancinante, chaude même, gonflée par l’image d’une rare et douce esthétique, portée par l’illumination de l’aube et du crépuscule, les piliers de notre perception du temps qui passe.

Cette danse se profilera bien plus longtemps après dans un autre film de Malick, A Hidden Life, Une vie cachée, où les conflits entre les hommes s’abattront une fois de plus sur des mondes qui auraient pu semble-t-il n’être qu’idylle et utopie, et où la fureur de l’Histoire ne s’arrête pas et embarque par sa force les vies les plus reculées, pour mieux les écraser, ce qui encore, rappelle Miyazaki.

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La beauté, qu’elle soit dans la contemplation ou la ferveur des relations humaines, semble régner si radieusement et constamment, qu’on en est même surpris par des moments plus purs encore. Des instants qui élèvent un film à une hauteur inégalée, par quelques secondes à peine.

Un bref visage éclairé par le feu admirant l’ardeur d’un musicien, une prière, un jeu, une pause, en somme, une histoire de regards, d’impressions humaines qui ne peuvent se traduire par les mots. Dans Les Moissons du ciel, des discussions courtes et laconiques mais intenses produisent de grands changements, mais ceux-ci ont toujours l’air d’appartenir au flot de la vie, comme si les choix des humains n’étaient que partie d’un grand tout déjà harmonisé depuis toujours.

On retrouve similaires discussions entre homme et femme liés par l’amour dans Une Vie cachée, où au début d’une conversation, on sait et on sent tout ce qu’il y a à dire, et après une coupure, nous sommes à la fin de cette discussion, et ce qu’on savait, ils savent aussi, et ce qu’on sentait, est maintenant décuplé. Pas un mot, pas un appui, un simple flot d’images et de moments qui en dit plus que d’innombrables échanges.

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Le champ de blé, baigné de soleil, de lune, de femmes et d’hommes, en paix, exploités, bloqués dans un cycle, semble pourtant éternellement immobiles dans ces métamorphoses continues, identiques.

Seul vient le troubler une situation biblique, l’invasion d’insectes, et dans la lutte entre la troupe humaine et le nuage de malheur, une étincelle, conjuguée à la violence de la passion humaine, provoque le feu destructeur qui rugit et détruit tout sur son passage. Lorsque entre la femme et les deux hommes le subterfuge ne tient plus, le sol se rompt sous eux, et le ciel s’abat au dessus d’eux. Seule la petite fille réussit à trouver par les décombres, un jeu.

Le paysage ainsi reflète ceux intérieurs de nos personnages, et dans son indifférence ne fait que subir autant qu’eux. L’image humaine est semble-t-elle ici créée supérieure, et le monde ne reflète que la potentielle action que celle-ci pourrait avoir sur lui, et ainsi, qu’elle aura sur elle-même.

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Dans la création de Malick, les humains, et tout ce qui se construit, tout ce qui vit, tout ce qui tourne autour de ces images, semble mû d’une profonde et puissante force qui les pousse à poursuivre le chemin qui leur est donné, mais cela, au rythme de la croissance d’une simple mèche de blé. Peut-être dans ce geste sont la beauté et la vérité.

CINÉASTE AMATEUR, ÉTUDIANT EN COMPOSITION ÉLECTROACOUSTIQUE ET EN INFORMATIQUE À BORDEAUX. SERVITEUR DES IMAGES, DES SONS, ET DU MÉLANGE SINCÈRE ET IMMANENT DES DEUX.

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