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Rencontre avec Rone – « Le retour à la vie va être fort et intense »

© Alexandre Ollier

Confiné dans son appartement montreuillois, Rone se confie sur son sixième album, Room with a View. Le producteur et musicien de talent évoque son rapport à la danse, ses premiers disques ou encore son rapport à l’isolement. Rencontre. 

Quelques jours avant le confinement, tu dévoilais ton album à venir dans un spectacle au théâtre du Châtelet, qu’est-ce que tu retiens de cette expérience ? 

Ce confinement c’est une grosse redescente. Je repense beaucoup au spectacle, j’y tiens et j’ai l’impression que je vais le rejouer demain. Ce qui est génial c’est qu’a priori on va pouvoir retourner au Châtelet donc ça c’est une super nouvelle. Car on a pu faire deux trois dates normales puis on a été obligés de réduire la jauge d’accueil de la salle, au fur et à mesure c’était un peu étrange même si ça restait quand même extrêmement fort. 

Tu t’attendais à un tel engouement ? 

Honnêtement je ne savais pas trop comment les gens allaient le recevoir mais j’étais très fier, j’assumais complètement le spectacle et j’avais hâte de le présenter. Sur les dernières semaines avant de jouer j’étais vraiment impatient. Au bout de trois quatre dates on avait une standing ovation tous les soirs. La générale était particulièrement émouvante. D’ailleurs j’ai pleuré pendant les saluts, j’étais ému de voir que d’une certaine manière on avait visé juste, que ça parlait aux gens. 

Musique et danse sont mêlées dans ce spectacle. C’est la première fois que tu t’essayais à cet exercice ? 

Il y a eu pas mal de premières fois dans cette expérience. D’abord effectivement le travail avec des danseurs, dont j’avais envie depuis longtemps. Au départ j’y pensais pour un clip et quand le Châtelet m’a proposé cette carte blanche je me suis dit que c’était l’occasion idéale. C’est un plateau gigantesque, je me voyais mal le faire vivre tout seul. La deuxième chose c’est qu’habituellement je ne joue jamais au même endroit plus de deux jours en général, et là pendant deux semaines on devait être au même endroit. Je me demandais ce que ça allait donner : est-ce qu’il n’allait pas y avoir de la lassitude etc… Et en fait pas du tout. Finalement le spectacle évolue toujours, et j’adorais ça. Surtout avec 18 danseurs, parfois c’est juste des détails mais il peut y avoir des surprises, des regards entre nous, des choses qui font changer complètement la perception de ce qu’on est en train de faire. 

Pour toi qui expliquais avoir besoin d’ennui pour créer, comment est-ce que tu vis le confinement ? 

En ce moment je suis enfermé dans mon appartement à Montreuil avec ma chérie et mes deux enfants, c’est génial parce que je profite à fond de mes enfants qui sont tout petits, mais de l’autre côté quand je lis sur internet que “c’est le moment d’apprendre à jouer du piano”, moi c’est complètement l’inverse. Ce n’est pas une période propice à la création pour ma part. Ça ne ressemble pas du tout à l’isolement que je recherche quand je pars dans un endroit pour créer tout seul. 

Pour Mirapolis, tu t’étais d’ailleurs coupé du monde pour travailler. Tu as suivi la même méthode pour Room with a View ? 

J’en ai tellement parlé dans les interviews que des organismes commencent à me proposer de me prêter des lieux assez dingue pour travailler, c’est super cool (rires). Là c’est le centre des Monuments Nationaux qui m’a proposé une résidence dans la maison de George Sand, en plein centre de la France, dans le Berry. J’ai commencé à poser les bases de l’album là-bas, en plein milieu de nulle part en fait. C’était super parce que c’est un endroit qui est encore habité de plein de fantômes. Chopin, qui était son amant, y a fait deux tiers de son oeuvre. Il n’arrivait pas à travailler à Paris donc il allait se réfugier chez George Sand. Sinon je venais de déménager, j’ai trouvé un petit studio à Montreuil dans lequel je suis très bien et où j’ai fait une bonne partie de l’album aussi. Puis j’ai pas mal travaillé à Marseille, où les danseurs du Ballet National étaient basés. 

Qu’est-ce qui démarque cet album des précédents ? 

Si je suis complètement honnête, j’ai envie de dire que c’est mon meilleur album et mon préféré. Mais quand je prends un peu de recul, je réalise que je dis ça à chaque fois évidemment (rires). C’est le dernier truc que t’as fait, le truc le plus important. ll a un côté album concept puisqu’il a été composé en pensant à ce spectacle… J’ai voulu faire une musique assez épurée en pensant justement aux danseurs, pour leur laisser la place de s’exprimer, c’est pour ça que c’est très instrumental, il n’y a pas de featuring contrairement aux albums précédents. C’est vraiment un journal intime qui correspond à la première période de création de l’album, c’est de la musique qui sort de mes tripes et de mes machines. Mais à un moment donné j’ai inséré quelque chose de beaucoup plus organique, d’humain et de collectif. À Marseille, quand j’allais voir les danseurs qui répétaient, j’avais un petit micro et j’enregistrais les répétitions pendant une heure ou deux. J’ai utilisé cette matière là sur l’album. Parfois c’est très subtil on ne l’entend pas mais il y a du grain, de la vie, grâce aux souffles, aux respirations et aux bruits de pas. J’ai l’impression d’y avoir mis beaucoup plus de fond que sur d’autres albums. 

Tu expliquais déjà avoir gagné en sincérité sur Mirapolis, ne plus avoir le sentiment de faire les choses pour être apprécié, c’est une continuité finalement… 

C’est drôle parce que bon, je ne vais pas faire le vieux mais je commence quand même à avoir quelques poils blancs dans ma barbe là (rires), et au bout de ma dixième année dans la musique, je me dis que c’est assez drôle le parcours d’album en album. Le premier était très sincère parce que je ne me rendais même pas compte que j’étais en train d’en faire un, je faisais juste de la musique et un label m’a proposé de le sortir. Puis j’ai essayé de garder cette sincérité, et ce n’est pas toujours évident de ne pas se perdre là-dedans quand il y a les attentes d’un label et d’un public. J’aime bien cette idée de garder le cap en me disant qu’il faut toujours faire de la musique de manière spontanée. C’était un peu mon défi. Maintenant j’ai l’impression d’être au-delà de ça, d’expérimenter davantage. Chaque album est une espèce de photographie, un instantané d’une période. Il y a même davantage de fond sur les clips, chacun est tourné par un réalisateur différent mais il y a une espèce de fil rouge. En plus de Ginkgo Biloba, deux autres clips sont en train de se tourner et ça va former une espèce de triptyque autour du thème de la sur-consommation.

Qu’est-ce qui a changé dans ton rapport à la musique depuis ? 

Il y a plein de choses qui n’ont pas changé, qui font heureusement que je prends le même plaisir à faire de la musique, comme la sensation de sortir des choses de moi. Les premières fois où je faisais de la musique, honnêtement c’était pour essayer de séduire les filles. J’étais très timide donc j’essayais de trouver des moyens de m’exprimer.. J’ai changé d’objectif maintenant (rires). Mais il faut toujours faire quelque chose de très personnel. J’adore d’ailleurs cette phrase de Marguerite Duras : ”Plus on est personnels, et plus on a de chances d’être universels.” Quand on va chercher des trucs profondément en nous il y a des chances que ça touche des personnes qui nous ressemblent etc… J’essaye de faire un travail d’introspection quand je fais de la musique, c’est pour ça que je pense que c’est bien de se couper du monde, de ne plus écouter de musique non plus, de ne plus regarder la télé. Et après par contre de tout lâcher, partager avec les gens. C’est pour ça que j’adore les concerts, les tournées, les foules, et que là ça commence à me manquer. 

Comment tu imagines la reprise post-confinement ?

Je pense que ça va prendre du temps, mais que ça sera d’autant plus fort. Au début tout le monde va être un peu timide, les premiers concerts et festivals on va tous un peu se toiser, se rapprocher progressivement. Ca va être très spécial mais je crois beaucoup à ce truc de prise de conscience. Il y a un morceau de l’album qui s’appelle Nouveau Monde et c’est fou parce que j’ai l’impression que l’actualité nous a complètement rattrapés. J’ai posé des titres comme ça, un peu instinctivement, Nouveau Monde, Esperanza… Et ils prennent un sens très spécial durant ce confinement. Comme dans le spectacle, où j’avais l’impression qu’on faisait un truc presque de science-fiction, avec personnages qui ont des masques à gaz, et dans les dernières représentations il y avait des gens avec des masques dans la salle, ça faisait vraiment miroir. Il y a un côté irréel, parfois tu te dis que c’est un cauchemar. Mais je pense que le retour à la vie va être fort et intense. 

Rone – Room with a View (sortie le 24 avril)

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