LITTÉRATURE

Petite maison, grandes idées #4 – Éditions ARP2

@Jacques Vilet, Extrait de Le Bord du jour, 2019, ARP2 Editions @Joël Van Audenhaege, The Darkest Night, (cover) 2019, ARP2 Editions

Une fois par mois, la rubrique littérature de Maze vous présente une maison d’édition peu connue mais dont les richesses méritent le détour. Ce mois-ci nous nous penchons sur la maison ARP2 spécialisée dans la photographie.

En 1993, deux hommes belges : Joël Van Audenhaege et Gilbert Fastenaekens fondent la maison d’édition ARP2. L’un est graphiste, l’autre est photographe et, tout naturellement, ils se tournent vers le livre d’art. Leur objectif initial était de mettre en valeur le travail des photographes contemporains s’évertuant à capter la poésie et la philosophie des paysages qu’ils observaient. Depuis douze ans, maintenant, Joël Van Audenhaege se charge seul de la vie d’ARP2. Il a accepté de nous en dire un peu plus sur sa structure éditoriale originale.

A qui s’adressent vos publications ? Faut-il avoir des bases en histoire de la photographie pour s’approprier vos ouvrages ?

Nos livres rendent compte d’un travail d’auteur mais aussi d’une vision du monde. En ce sens, ils sont très accessibles : par les images et la forme éditoriale. Nous privilégions une grande qualité de production permettant une lecture intimiste des images. La plupart des textes qui les accompagnent sont traduits en plusieurs langues ce qui donne une clé d’entrée confortable aux lecteur.ice.s.

Pourriez-vous nous parler de votre ligne éditoriale, et plus précisément du choix de mettre en avant des images qui proposent un rapport entre le photographe et son environnement  ? Faut-il, à raison des défis qui sont ceux du XXIème siècle, être un artiste engagé pour parler de ce rapport  ?

La photographie de paysage, au sens large, qu’elle soit poétique ou documentaire, hors pistes ou urbaine, permet en effet de poser des questions d’ordre environnemental. Il ne s’agit pas de militantisme, au sens strict. Il ramène l’être humain à son statut d’habitant de la Terre. Il s’agirait plutôt d’une approche philosophique, et bien sûr esthétique. Certains titres sont plus engagés, en abordant des sujets plus «  cruciaux  ». Comme nous présentons le travail d’auteurs pluriels, chacun d’entre eux a sa propre notion d’urgence.

Vous avez publié des ouvrages tels que Les Champignomes de Paolo Gasparotto, André Jasinski et Patrick Liégois – qui semblent donner vie à des champignons par les mots, la sculpture et la prise de vue – ou encore  Photographic Fields  qui présente vos photographies comme la capture de l’ennui, de l’enfermement et des douleurs d’une convalescence. Est-ce le propre de vos livres d’engager, par la lecture et la contemplation, une forme d’expérience avec le lecteur  ?

Vous citez deux exemples particuliers dans la série de publications : Champignomes et Photographic Fields. Le premier est un ouvrage poétique, né de la collaboration d’un philosophe, d’un sculpteur et d’un photographe. Il démontre la diversité de formes présentes dans la nature. Il est comme un jeu alchimique à partir d’éléments naturels. Le second livre que vous citez est un travail personnel, réalisé durant une période de convalescence. Il présente des instantanés ratés, et puis agrandis ; une réflexion sur la condition d’être en maladie, de la perte partielle des sens. La photographie amène une forme de contemplation et peut également mener vers une forme de sérénité mais il s’agit d’un réel interprété, cadré, manipulé, expérimenté.

Comment choisissez-vous les artistes que vous publiez  ? Pourquoi opter pour un regard intimiste plutôt qu’un autre, et comment savoir que ce regard peut parler au lecteur, qui reste un tiers dans la conversation entre le photographe et son environnement ?

La plupart des artistes viennent vers moi et me présentent leur projet ainsi que leur propos. L’intuition fait le reste. Etant graphiste, je ressens assez vite le potentiel de faire un livre, un objet, qui puisse rencontrer le lecteur. Je reçois énormément de projets qui ne me parlent pas, qui n’ont pas cette intemporalité que je recherche, dans mon propre travail également. Je tiens beaucoup à une implication de l’auteur dans la forme finale du livre. C’est une manière d’atteindre les fondements du propos.

Quels sont les défis d’une maison d’édition spécialisée dans la photographie dans une société de l’image comme la nôtre où les outils de reproduction et de diffusion ont explosé  ?

Le marché du livre photographique a en effet explosé, et il y a énormément d’auteurs, de festivals, de rencontres. ARP2 propose, dans un environnement économique difficile, de respecter au mieux une grande qualité de reproduction des images photographiques, dans une forme où la reliure, le choix du papier, ont une importance inégalable sur un écran. Lors de l’émergence d’internet, on a beaucoup lu que le livre n’avait plus d’avenir. Loin de ce constat, il n’y a jamais eu autant de publications d’artistes, sans doute parce que le livre permet une relation plus intime avec le lecteur, et un ralentissement du «  moment  » de lecture et de découverte. Le défi réside dans le fait de pouvoir combiner la qualité et les impératifs économiques sans perdre son âme, en évitant les compromis. Vous écrivant ceci en pleine crise du Covid-19, je ne peux faire de pronostic sur la manière dont le marché du livre d’Art va évoluer dans un futur proche.

Quels sont vos futurs projets de publication ?        

Les événements récents hypothèquent durement les projets de 2020. Je planche sur un livre de Peter Waterschoot, auteur déjà édité avec  At the Skin of Time , dont une exposition aura lieu début 2021 au Musée de la Photographie à Charleroi en Belgique. Quelques projets restent en attente et souffrent de la situation actuelle. Les libraires ne peuvent pas travailler, les représentants ne peuvent pas bouger. En attendant j’élabore un projet personnel autour du Népal et travaille sur des projets collaboratifs à distance, autour de la pandémie et l’enfermement.

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