MUSIQUE

La nuit a emporté Christophe

À 74 ans, Christophe est mort « des suites d’un emphysème », une maladie pulmonaire qui le poursuivait. Dans son rétroviseur, il laisse une discographie imposante où traîne quelques notes de synthés et une voix cristalline. Il laisse une trace indélébile dans le paysage musical.

La nuit ne lui a pas laissé de seconde chance, Christophe s’en est allé. Il travaillait sur la musique du prochain film de Bruno Dumont. Il y a encore un mois, avant le report, il scénarisait son double concert au Grand Rex. C’est un artiste confiné, prêt à passer des semaines dans son appartement du boulevard Montparnasse pour trouver le son qui correspond à ses désirs. Christophe vivait la nuit, entre les vrombissements des dernières voitures et les pas des premiers parisiens qui partent au travail. Nous l’avions rencontré il y a deux ans, pour une interview de quatre heures. L’homme est taiseux, peu à l’aise avec les mots mais d’une générosité absolue.

À vingt ans, il entre à jamais dans l’histoire de la chanson français avec Aline, qu’il a toujours envisagé comme un blues. Il la reprendra jusqu’à aujourd’hui, en accompagnant son texte d’un piano ou, dans une optique plus barrée, de la voix de Katerine. Le « beau bizarre » régénère son art à l’aide des synthétiseurs qui débarquent au début des années 1970. Avec eux et l’aide de Jean-Michel Jarre aux mots, il compose des titres mélancoliques comme Les mots bleus, Les paradis perdus ou encore La dolce vita. C’est dans cette décennie qu’il livre l’un de ses plus beaux titres : Le dernier des Bevilacqua. On y retrouve les notes qui accompagnaient ses mots bleus, avant de les voir absorber par une énergie qui préfigure son chef d’oeuvre de 1978, le Beau bizarre.

Les années 1980 et 1990 seront plus discrètes. A l’écart de l’industrie, il travaille, développe sa curiosité et sort un album barré en 1996. On y retiendra Enzo, morceau métallique envoyé au pilote automobile. Chanteur populaire, Christophe prend un virage expérimental qui lui vaut des articles dithyrambiques dans la presse musicale. Les vingt années qui suivent sont peut-être les plus belles dans sa riche discographie. En 2008, Aimer ce que nous sommes s’ouvre sur la voix d’Isabelle Adjani avec des « Je lui dirai » qui rendent hommage à Bashung, une figure importante dans la vie du dernier des Bevilacqua. Il s’épanouit dans la musique électronique, tout en maintenant un goût prononcé pour l’analogique. Chaque titre s’enchaîne, sans jamais se ressembler, à l’instar de It must be a sign. Les premières notes au piano sont suivies par la voix de Denise Colomb qui nous parle de Colette Thomas et de son amour pour Artaud. La tristesse du morceau vole en éclat avec le chœur des enfants andalous et la subtilité des violons.

C’est aussi à ce moment qu’il remonte sur scène, exprimant régulièrement sa frustration de ne pas pouvoir tout contrôler. Sur son contrat est indiqué un album intime, où il passerait du piano à la guitare avant de s’échapper vers ses synthétiseurs. Autodidacte, Christophe dit découvrir toutes les gammes du piano, jouant, dans une presque improvisation, les morceaux de sa vie. Sur scène, pendant près de trois heures parfois, il dialogue avec le public, entre des morceaux chantés tous ensemble et des digressions difficilement saisissables. Ses musiciens viennent l’accompagner à nouveau à partir de 2016, date de la sortie de ce nouveau miracle intitulé Les Vestiges du chaos. Il y convoque Lou Reed, invite Alan Vega à l’accompagner sur le morceau Tangerine, raconte ses premiers ébats accompagné par la voix d’Anna Mouglalis.

Dans ses derniers instants, son contrat lui impose un album de duos qu’il mettra deux ans à composer, triturant la texture de ses chansons pour les moderniser, pour les confronter aux nouvelles technologies comme l’auto-tune. Avec Arno et un jeune musicien du nom d’Augustin Charnet, il relit Les paradis perdus pour l’amener vers une tristesse insondable. C’est sûrement vrai, avec Christophe on pleure beaucoup. Ses mots, ses notes, sa voix nous apprennent à dompter la mélancolie. Pour tout ça et bien plus encore, Daniel Bevilacqua dit « Christophe » va nous manquer.

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