LITTÉRATURE

Encre fraîche #4 : Zainab Fasiki – Hshouma, révélation révolution

© Madie McGarvey

Elle était déjà mise à l’honneur dans nos femmages de mars. Pour l’encre fraîche de ce mois-ci, c’est au tour de l’autrice et bédéiste marocaine Zainab Fasiki de nous livrer ses motivations, inspirations, et idéaux artistiques. Rencontre avec le visage du féminisme marocain.

Née en juillet 1994 à Fès, diplômée de l’École nationale supérieure d’électricité et mécanique de Casablanca et titulaire d’une patente professionnelle de bédéiste et d’illustratrice, Zainab Fasiki s’impose, à tout juste 25 ans, comme l’une des figures révolutionnaires du féminisme dans le domaine de la création. Comme sa vie a déjà été présentée dans les grandes lignes dans notre femmage, nous n’allons pas nous attarder davantage sur les généralités de ce sujet : nous avons demandé à Zainab Fasiki de nous raconter comment elle en est arrivée à devenir une figure d’inspiration pour une génération culturelle. 

Artiste et ingénieure d’État en mécanique marocaine, la jeune femme commence à créer des bandes dessinées en 2015, dans lesquels elle parle de tabous tels que la nudité et la culture Hshouma (La Honte), au Maroc. Son livre graphique éponyme, Hshouma. Corps et sexualité au Maroc, publié en 2019, détaille la violence et la frustration vis-à-vis du corps féminin que l’on peut observer au Maroc. 

Lorsque l’on perçoit un tel niveau d’engagement pour une cause, il nous apparaît comme une évidence de chercher à savoir l’origine de cet engagement. Pour Zainab Fasiki, cela remonte à la fin de son adolescence  : elle évoque le stress et le sexisme durant ses études d’ingénierie, ainsi que le harcèlement de rue et le contrôle familial qu’elle constatait au quotidien, et elle se souvient de la dépression qui l’a envahie face à cette constatation. C’est alors qu’elle a décidé de se dessiner nue et de le partager sur les réseaux sociaux (notamment instagram @zainab_fasiki). Cet acte de provocation libératrice au sein d’une culture de contrôle omniprésent du le corps féminin a été pour elle une forme de libération et de force. C’est de ce premier acte qu’a découlé l’envie de créer des livres détaillant tout ce qui est corps et tabous, avec pour objectif de faire accepter la nudité dans l’art. 
Pour Zainab Fasiki, dessiner est une passion, et cette passion se transmet également par l’engagement qui s’y présente. Elle nous le dit elle-même  : «  Me dessiner est ma passion, ma façon d’oublier le contrôle de la société. C’est ma façon de résister.  »

© Zainab_Fasiki

La carrière de Zainab Fasiki est une carrière prometteuse et qui a décollé en l’espace de quelques années  :  et pourtant ce n’était pas ainsi que l’autrice imaginait son engagement prendre forme au départ. Ainsi, elle nous confie qu’elle ne s’était jamais imaginée être autrice et bédéiste. Cependant, après cinq années à avoir enduré des attaques sur le Web juste pour s’être dessinée nue, elle dit s’être sentie la responsabilité de corriger les choses. C’est dans ce contexte que Hshouma est né  : un guide simple qui explique aux maghrébins partout dans le monde que le corps ne doit plus provoquer la colère. Ses livres sont une correction à l’extrémisme, une source d’inspiration pour les Marocaines, et surtout une invitation aux Marocains à faire la paix avec leurs corps.

Avec ses autoportraits nus, Zainab Fasiki veut faire passer un message d’éveil et de prise de conscience  : «  Je ne me dessine pas nue pour le plaisir, mais pour réveiller les extrémistes, pour dire aux femmes qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent sans penser à la société.  »

Elle nous partage avec joie les réactions qu’elle reçoit au sujet de ses publications  : «  Chaque jour, je reçois des messages sur les réseaux, de Marocaines exprimant leur joie d’être elles-mêmes, car elles ne se sentent pas seules à le faire au Maroc.  »

Les réactions de ses lecteurs sont d’une extrême importance pour l’autrice, en accord avec son engagement artistique. Ainsi, elle nous explique que pour Hshouma comme pour ses autres œuvres (elle a publié 7 autres BD avant 2019 qui parlent d’immigration et d’éducation politique), son but premier n’était pas celui d’être encensée ou d’obtenir une reconnaissance distinctive, mais celui de marquer le début d’un débat. Elle évoque ainsi la présence de parents avec leurs enfants lors de la sortie de Hshouma, une vision qui lui a conféré fierté et espoir : «  C’est un livre que j’aurais rêvé d’avoir dans mes mains quand j’avais 15 ans, un livre qui regroupe tout  : l’identité de genre, les orientations sexuelles, l’éducation sexuelle. Les adultes comme les enfants marocains l’achètent, car il n’y pas d’âge pour comprendre notre corps, et il n’est jamais trop tard pour le faire  ». 

© Zainab_Fasiki

Ces sources d’inspiration sont variées, mais toujours axées sur le réel, et sur le décevant constat de la perception de la femme dans la culture. Ainsi, la jeune femme nous confie être inspirée par tout ce qu’elle vit chaque jour au Maroc en tant que jeune femme très libre. Également inspirée par les lois qui, selon elle, doivent et peuvent changer les mentalités, elle en tire une force qui la pousse à créer à destination de la nouvelle génération, qu’elle définit comme «  le Maroc du futur  ».

Pour elle, l’engagement s’est présenté sous forme artistique, et son féminisme est un appel à la tolérance  : il s’agit d’accepter les autres et l’individualisme, de ne pas juger les autres au nom des religions et des traditions. 

Engagée jusque dans ses lectures, elle cite comme livre de chevet la BD Persépolis de Marjane Satrapi. Elle salue ainsi la bravoure de la dessinatrice et de son œuvre  : «  C’est une BD qui illustre une période qui a blessé plusieurs femmes iraniennes, et on doit être très courageuse pour le faire.  »

Une leçon de courage donc, de la part de Zainab Fasiki, mais également une leçon d’art, de créativité, de paix intérieure et de tolérance. L’autrice démontre, de par son œuvre mais également de par sa vision de la vie, que s’il est important d’être en paix avec son corps, il est surtout important d’en être fier, et de ne pas s’effacer en tant qu’êtres face à une société qui cherche à nous contrôler et à nous diminuer. 

Cet appel que Zainab Fasiki fait aux maghrébins du monde, selon ses mots, c’est finalement un appel fait au monde entier  : Il s’agit de réveiller les consciences, embrasser la différence, saluer l’art et la liberté, et faire finalement et une bonne fois pour toutes disparaître Hshouma, la honte. 

Hshouma. Corps et sexualité au Maroc, disponible aux éditions Florent Massot.

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