SOCIÉTÉ

Strasbourg 2020 : la vague verte submergera-t-elle la capitale européenne ?

Crédit image  : Camille Miloua

Aux coudes à coudes dans les sondages, La République En Marche et Europe Écologie Les Verts se livreront probablement bataille au second tour des élections municipales de Strasbourg. Après 12 ans de règne, qui du 1er adjoint LREM et de la co-présidente du groupe municipal des Verts succèdera à l’ex-socialiste Roland Ries  ? 

Quel intérêt a pu trouver le Financial Times aux élections municipales strasbourgeoises  ? Le 6 mars dernier, le quotidien anglais publiait un article en ligne dans lequel il remarquait le spectre d’une victoire d’Europe Écologie Les Verts. Oscillant entre 25 et 27 % dans les sondages depuis la fin janvier, la candidate Jeanne Barseghian et sa liste «  Strasbourg, Écologiste & Citoyenne  » serait en passe de devenir maire. 

Selon le journal, Strasbourg serait en proie de devenir l’un des fiefs urbains des partis verts européens. La capitale alsacienne figure parmi les villes françaises que le parti de Yannick Jadot peut espérer conquérir, les 15 et 22 mars prochain. Dix mois après le succès des Verts aux élections européennes, Europe-Écologie Les Verts compte bien consolider son assise sur la gauche politique française et arracher une victoire face à Alain Fontanel (LREM), liste favorite et soutenue par le maire socialiste sortant. 

Jeanne Barseghian, l’espoir des Verts à Strasbourg

Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, Strasbourg n’a jamais connu qu’une alternance entre les deux grands partis de droite et de gauche. Cette année, la politique locale pourrait connaître une révolution avec l’accession de l’ancienne co-présidente du groupe Vert, lors de la dernière mandature du conseil municipal, Jeanne Barseghian. La ville ses habitants, particulièrement impactés par la crise climatique, seraient prêts à donner les clés de la mairie à la candidate EELV. 

Jeanne Barseghian, la tête de la liste EELV-PC / ©EELV

Juriste spécialisée dans le droit de l’environnement et éco-conseillère, Jeanne Barseghian a été désigné tête de liste à la suite d’un vote citoyen, en octobre dernier. Lors de la dernière mandature, elle siégeait en tant que conseillère de l’Eurométropole déléguée à l’éco-tourisme, puis à la réduction des déchets. Après le démarrage du chantier du Grand Contournement Ouest (GCO) – un projet de construction d’une autoroute à quelques kilomètres de Strasbourg, contestée pour son impact environnemental néfaste – elle quitte avec le reste des élus écologistes la majorité municipale. 

La tête de liste peut également compter sur la sensibilité de la ville au contexte écologique local. Outre le GCO, les questions de la dépollution du port du Rhin, de la résistance de la ville aux épisodes caniculaires et la fermeture de la centrale de Fessenheim, à moins de 100km de Strasbourg, ont dominé la campagne. 

Si son profil et le contexte politique semblent idéaux pour construire l’alternative écologiste à Strasbourg, Jeanne Barseghian est critiquée par ses adversaires à gauche. Son alliance avec le Parti communiste est un argument en or pour les listes d’En Marche et des Républicains qui attaquent un programme jugé trop social. Elles dénoncent à coup «  d’écologie punitive  » des propositions comme l’objectif d’interdiction du stationnement en centre-ville, qui défavoriserait le commerce local selon eux.

La poussée verte a déjà gagné la bataille des idées

Relativement discrète, la campagne de Jeanne Barseghian profite de l’agenda politique national pour imposer les thèmes de prédilections des Verts dans les débats. Quelques soient les résultats des élections municipales, sa liste jouit déjà d’une victoire certaine. La comparaison des volets environnementaux de tous les programme permet de se rendre compte de la généralisation de mesures phares. 

Des questions comme celles de la déminéralisation de la ville et sa végétalisation sont repris par l’ensemble des candidats à l’élection. Alain Fontanel, en particulier, propose la création de trois nouveaux parcs urbains et promet la plantation d’un arbre pour chaque naissance à Strasbourg, soit environ 4000 par an selon l’Insee. D’autres points, comme le soutien de l’agriculture urbaine ou la généralisation des composts de quartiers, sont partagés par presque toutes les listes. 

Sur le volet écologie, la seule différence notable entre les listes  rivales EELV et LREM sont les mesures liées au mobilité. Tandis que Jeanne Barseghian souhaiterait proclamer la gratuité des transports pour les moins de 18 ans et les moins de 25 ans inactifs, Alain Fontanel favoriserait la gratuité des stationnements entre 12h et 14h. Le programme d’En Marche laisserait ainsi sa chance à la voiture, dans une ville où le tramway et le vélo dominent. La poursuite des travaux du GCO, annoncés par Alain Fontanel, est un autre point de discorde sur lequel les débats ne manqueront pas de cristalliser d’ici le second tour.  

Entre Strasbourg et la REM, la fin d’une idylle électorale  ? 

Si la campagne semble tourner à l’avantage des Verts, la République En Marche reste première des sondages et caracole à 27 % d’intentions de vote au premier tour. Le duel reste ainsi très serré. La victoire d’Alain Fontanel, actuel 1er adjoint à la mairie et dauphin reconnu par Roland Ries, lui semblait pourtant encore certaine il y a quelques semaines. La liste qu’il porte est soutenue par la majorité présidentielle (LREM-MoDem, Agir-UDI), et Strasbourg est l’un des espoirs les plus fondés de La République En Marche. 

En novembre 2016, Emmanuel Macron avait choisi la capitale européenne pour donner son premier grand meeting de campagne. Depuis, le parti a remporté l’ensemble des scrutins strasbourgeois avec des scores légèrement supérieurs à la moyenne nationale, obtenant 27,75 %, puis 82 % lors des présidentielles, 4 députés sur les 5 circonscriptions de la ville aux législatives et s’octroyant 28 % des suffrages aux dernières élections européennes. 

Cette fois-ci pourtant, l’électorat strasbourgeois pourrait être moins enclin à voter En Marche. La crise des gilets jaunes, suivie par les semaines de mobilisations contre la réforme des retraites, ont cristallisé les oppositions d’Emmanuel Macron. Comme partout en France, les candidats LREM pâtissent de la défiance de plus en plus grande à l’égard du Président de la République. La campagne stagne ainsi et les chances de victoire s’amoindrissent, malgré son statut initiale de grande favorite. 

Plus personnellement, Alain Fontanel souffre de l’image du technocrate uniquement concerné par ses dossiers. Philippe Breton, directeur de l’Observatoire de la vie politique en Alsace, rappelait dans Ouest France le manque de charisme de la tête de liste, énarque de 51 ans. «  Alain Fontanel ne peut pas capitaliser sur sa personne pour apporter plus de voix à LREM  », considère-t-il. 

Le spectre rose de Catherine Trautmann, l’autre obstacle de Jeanne Barseghian

Avec la décision de Roland Ries de ne pas briguer un troisième mandat s’est ouverte une course à la succession, notamment à gauche de l’échiquier politique. Pas moins de quatre des neufs listes candidates à Strasbourg ont participé à la dernière majorité municipale, et chacune d’elle entend incarner le renouvellement de la vie locale. Parmi elle, on retrouve les listes d’Alain Fontanel et de Jeanne Barseghian, mais aussi celles de Catherine Trautmann («  Faire Ensemble Strasbourg  », PS) et Chantal Cutajar («  Citoyens engagés  », Divers gauches). 

Pour l’instant, c’est la liste de Jeanne Barseghian qui s’est imposée comme la principale force politique à gauche. Localement, comme nationalement, Europe-Écologie Les Verts comptent reprendre l’hégémonie passée du Parti socialiste. Le parti doit pourtant faire face depuis la mi-février au retour sur le devant de la scène de la vétérante Catherine Trautmann, première femme maire socialiste de Strasbourg élue en 1989. Cette ancienne ministre de Lionel Jospin a été dépêchée pour reprendre la tête de la campagne de l’ex-candidat Mathieu Cahn, mise en demeure après un scandale révélé par Médiapart et Rue89 Strasbourg.

En revenant dans l’arène, Catherine Trautmann a immédiatement redonné de la couleur aux espoirs du PS de figurer au second tour et fait chuter la liste de Jeanne Barseghian de la première place qu’ils occupaient dans les sondages à la fin janvier. La liste pourrait ainsi récolter plus de 10 % des suffrages et se hisser au second tour. Dans l’hypothèse d’une quadrangulaire entre EELV, le PS, la REM et LR, l’ancienne maire tiendrait probablement le destin de Jeanne Barseghian entre ses mains. 

Seule une alliance entre les deux femmes permettrait aux Verts de remporter les municipales. Problème  : Catherine Trautmann n’exclue pas la possibilité de ne pas donner de consigne de votes à ses électeurs, leur laissant le choix de se reporter vers la REM. Un tel acte pourrait saboter les espoirs écologistes, qui ont nécessairement besoin du soutien socialiste pour battre à coup sûr la REM. Plus l’échéance électorale se rapproche et plus l’élection strasbourgeoise se révèle ainsi de moins en moins prévisible. 

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