La Vérité – Henri Georges Clouzot (1960) – Les Acacias
À l’occasion de la diffusion de La Vérité, classique du cinéma signé Henri-Georges Clouzot sur la chaîne Arte, nous nous sommes penchés sur le contenu et les motifs de ce drame incandescent, inspiré de faits réels.
Le film s’ouvre sur une prison de femmes, froide, ce récit sera celui de Dominique Marceau (Brigitte Bardot). Elle partage sa cellule avec deux autres femmes, elles le savent, c’est le jour où elle passe aux assises ; un regard dans un morceau de miroir donne déjà au spectateur la teneur dramatique de l’action à venir. Cette femme a tué Gilbert Tellier (Sami Frey) l’homme qui l’aimait, ou qu’elle aimait ; une nuance qui semble au premier abord anodine, mais fera tout l’objet du procès qui suit. Le procès tourmenté d’une histoire d’amour sublime de chaos et de souffrance.
C’est une mise en scène sobre empruntant ses codes au théâtre, suggéré notamment de par la disposition traditionnelle du tribunal qui s’offre à notre regard. Ici, l’assemblée venue en masse pour assister à ce procès inédit, fait figure de public. Celui-ci ne manquant pas la moindre occasion de rire, de s’émouvoir ou d’émettre son mécontentement, face au jeu d’acteur saisissant de cynisme de l’avocat de la mère de la victime, Maître Éparvier, interprété brillamment par Paul Meurisse.
Mais pourtant cette histoire avant d’être une histoire de procès est celle d’un amour, un amour en deux temps, passionné et fusionnel, qui oeuvre entre Dominique et Gilbert. Elle est une jeune femme sans ressources qui vit au crochet des autres, presque considérée comme une putain par son entourage ; lui incarne l’idée même de la réussite, brillant élève du conservatoire de Paris, dévoué tout entier à son art, aux airs bourgeois à la fois détachés et tendres. Leurs destins se croisent malgré eux par l’intermédiaire d’Annie (Marie-José Nat), la soeur de Dominique, elle en classe de violon, qui s’impose comme une timide rivale dans cette composition.
Pour reprendre le fil conducteur de ce récit, Clouzot fait dans ce film un usage nécessaire et parfaitement mesuré des flashbacks, atteignant un équilibre tangible entre le présent, l’action du procès, et l’ensemble des faits qui sont successivement reprochés à Dominique Marceau. Au delà de l’affaire, avec La Vérité, Clouzot nous livre un récit d’une modernité transcendante. Une modernité marquée par la place paradoxale accordée aux femmes, ici montrées sous un jour profondément intéressant ; comme en témoigne le discours enflammé et féministe de l’avocat de Dominique interprété par Charles Vanel (visible en bas de page). De fait tout au long du film le personnage de Dominique est essentiellement jugé sur ses moeurs et non pas sur l’assassinat de Gilbert en tant que tel. Elle est jugée sur sa légèreté, son physique, son irritabilité, son instabilité, (des défauts qui semblent ici exclusivement féminins), ses relations chaotiques et son égoïsme. La caméra confère néanmoins une humanité nécessaire à ce personnage campé par une Bardot fascinante de sincérité, engageant chez le spectateur une empathie symbolique, et ce d’autant plus aujourd’hui.
« C’est la troisième ou quatrième fois que vous ratez vos suicides. Décidément, vous ne réussissez que vos assassinats. »
Maître Éparvier à Dominique Marceau (voir extrait ci-dessous)
Car tous les coups sont permis entre ces murs, même les plus bas, poussant l’accusée apparaissant ici en victime d’un système et d’une société qui est par essence patriarcale. Car ce procès est une confrontation, celle de la jeune génération, face aux anciens, tous ridicules si l’on reprend les mots de Dominique. Une confrontation de classes et de genres, d’apparences et de bonnes moeurs qu’il faut préserver coûte que coûte, qu’importe le bonheur ou le malheur des uns et des autres. Le crime passionnel personne ne veut y croire sauf la jeune génération et l’avocat de Dominique, qui ont intériorisé ces moeurs différentes. On est saisi par cette violence caractéristique, ces reproches incessants. Dominique Marceau est dépeinte comme une Circé, une femme manipulatrice, qui charme les hommes, et qui semble détachée de tout. Là, où cette dernière est en décalage, cherchant à vivre sa vie comme elle l’entend, loin de tout jugement.
Trouver sa place
C’est ici tout l’enjeu du parcours du personnage campé par Brigitte Bardot, qui devient ici une tragédienne sous la caméra de Clouzot. Trouver sa place dans un monde qui ne semble l’avoir conditionnée que par une légèreté, suggérée malgré elle par son apparence. Une légèreté qui trouve pourtant un épanouissement, une éclosion, dans le milieu bohème effervescent de la Rive Gauche au coeur de Saint-Germain des Prés, où les cafés, la fête et les chambres de bonnes étriquées deviennent des lieux de vie emblématiques.
Tout l’enjeu de La Vérité réside dans la compréhension de cette figure féminine. Si au départ l’intention immédiate de son personnage ne se dessine pas, le film est dans sa globalité un portrait détaillé et minutieux de la personne de Dominique, on comprend de son enfance jusqu’au moment de l’audience toute la difficulté qu’elle a eu, et qu’elle a encore à trouver sa place. Rejetée à l’école, par sa famille, par sa soeur, par les hommes qui la considèrent tour à tour comme, un objet. La Vérité, c’est ce mal-être ancré d’une femme qui pensait avoir trouvé sa place, auprès d’un homme qui l’estimait malgré les défauts inhérents à son être. C’est finalement l’instabilité, la confiance, la suspicion, la jalousie qui emportent tout sur leur passage, et font vivre un calvaire aux deux amants qui ne parviennent définitivement pas à s’accorder.
La délivrance
La mort de Dominique s’avère être un événement à la fois tragique et inévitable, car la mort est omniprésente dans la permanence de ce récit. Et la question du suicide demeure ouverte tout au long du film, elle poursuit sans relâche cette héroïne d’un genre nouveau. Sa vie à Rennes au début du récit et un premier suicide, ses discussions sincères avec Michel (Jean-Loup Reynold), l’achat du pistolet. L’assemblée, et notamment Maître Éparvier ne veulent ainsi même pas croire en son suicide, poussant la pression psychologique à son paroxysme, la forçant à une remise en question permanente et destructrice – cette même pression psychologique appuyée auparavant par Gilbert qui provoquera le geste irréparable de Dominique.
La fin est à la fois difficile à contenir, toute l’émotion s’évapore, l’on comprend alors que tout ce cirque, cette assemblée en costumes, ne vit qu’une affaire parmi tant d’autres, le suicide – cette fois réussi – de Dominique annoncé l’audience est levée – The End. La vie reprend son cours malgré cette constante intensité conférée par le scénario et les choix rigoureux de mise en scène. Une fin saisissante qui n’est pas sans rappeler l’issue bien plus récente de Swallow (Carlo Mirabelle Davis – 2020), qui fait le choix d’engouffrer le récit de son héroïne dans celui de dizaines d’autres femmes. Ici l’affaire Marceau-Tellier se dissout en quelques secondes dans les tribunes, dans les murs épais de cette pièce qui voit passer tant d’affaires. Ce n’était qu’une histoire.
La Vérité (2h02) est diffusé le 23 mars 2020 à partir de 21h, et le 7 avril 2020 à 13h35 sur la chaîne Arte.