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Loin de ses grands mélodrames sortis ces dernières années, les studios Pixar nous offrent avec En Avant un récit où la magie et notre société se réincarnent sous le prisme de la fantasy. Malgré un balisage contraignant, la firme à la lampe ne cesse de toucher au coeur.
Depuis le rachat de Disney en 2006, la société Pixar s’autorise certains pas de côté dans ses créations pour se rapprocher à la fois d’une animation plus grand public, « dreamworksienne » dirait-on, et par conséquent de son jeune public – comme ce fut d’ailleurs le cas dans les franchises Marvel et Star Wars. Des films tels que Rebelle, Le Voyage d’Arlo et les suites des franchises Monstres & Cie, Les Indestructibles et Cars (projet de sequels qui ne verra plus le jour, comme annoncé récemment) ont en effet cette mignonnerie dans leur processus, loin d’atteindre les épiphanies larmoyantes de chefs-d’œuvre tels que Toy Story 3, Vice-Versa ou Coco. Ce sont des œuvres au balisage scénaristique important, qui jouent moins sur la mise en abyme du réel, mais ceci représente un avantage sur le plan de la mise en scène, et notamment du décor planté, puisqu’il est tout à fait possible d’y construire des univers assez larges où le réel n’apparait pas, mais se transforme, se réincarne : reprise des traditions celtiques et donc de toute une période historique dans Rebelle et enfin la Préhistoire traitée sous le prisme de l’uchronie, et donc de la modification, dans Le Voyage d’Arlo.
Un avantage que En Avant, ce nouveau « Disney-Pixar », ne se cache pas d’exploiter. Le film met en scène une société proche de la nôtre mais dont les humains et les animaux sont remplacés par des créatures de fantasy : des elfes sont l’humanité, mais on y découvre aussi des centaures, fées, phénix, licornes… Le réel ici se transforme du point de vue sociétal, mais cette transformation s’acte au son d’une voix-off formant un véritable pacte avec le spectateur : l’art de la magie (ses sorciers, outils et sortilèges) régissait ce monde avant de disparaitre, il est maintenant question de savoir s’il en reste.

Corps et décor
Quand deux frères elfes, Ian et Barley, s’offrent la possibilité de retrouver leur père défunt le temps d’une journée, ils partent à la quête d’une précieuse pierre magique pour finaliser cette réincarnation (une première tentative n’a fait apparaître que les pieds et les jambes de leur père). L’étendu du monde transformé tel qu’il sera développé sous nos yeux réside en fait sur ce qu’il y a de caché en-dessous de lui, sur ce qui est caché et surtout sur ce qui se doit d’être réincarné : car en plus de faire réapparaître la magie, il y a cette histoire de réincarnation d’un père, et d’une relation fraternelle.
On distingue ici la duplicité géniale et jamais surlignée du projet : à la réincarnation d’un monde se substitue celle d’une croyance envers la magie et la fraternité, deux images d’un même univers et qui sont interdépendantes. Sous le mode du récit d’aventure, le film pèse au travers de ses personnages tous les enjeux émotionnels qu’implique cette vaste thématique de la réincarnation du monde et de ses ressources. L’évolution du personnage de Ian, balisée par excellence (le jeune timide qui finit par s’affirmer par la découverte de son courage et d’une volonté), trouve un ressort dramatique à la fin du film qui lui fait porter tous les enjeux de mise en scène de la réincarnation : il se porte garant d’une renaissance que l’on pensait perdue, alors que lui-même donc se découvre dans ses ressources.
En témoigne cette scène où Ian fabrique un pont imaginaire à l’aide de la magie, mais qui par précaution est relié à une corde pour ne pas être aspiré par le vide sous ses pieds. Arrivé au milieu de ce pont invisible, la corde se détache accidentellement, mais Ian l’ignore, épris de sa magie, heureux d’avoir accompli une telle prouesse. Arrivé de l’autre côté, il s’aperçoit qu’il n’était plus attaché. « J’aurais pu mourir sans cette corde », dit-il à son frère Barley, qui lui répond : « En avais-tu vraiment besoin ? ».



Il y a dans cette situation et ce dialogue toute l’étendue de la croyance qui habite ce film : croire en son pouvoir, au-delà de le faire réincarner, c’est aussi la faculté de l’oublier pour l’intégrer pleinement dans le corps (il est aussi question de compléter l’autre moitié du corps du père…). Si les grands Pixar font le pari du scénario et des grandes séquences tire-larmes pour toucher au cœur, il y a dans cet En Avant un instinct tout simplement bouleversant à raconter les choses de la vie (la peur du vide par exemple) sous le mode spirituel de la fantasy, c’est-à-dire « telle qu’elles pourraient être dans un autre monde ». On peut y décerner un traitement en circuit fermé (une seule influence ici, alors que les grands Pixar ouvre les vannes de l’imagination), mais se serait ignorer comment la réincarnation peut toucher tous les mondes possibles, y compris le nôtre.