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Pour son dernier métrage, Todd Haynes s’attaque à la croisade de Robert Bilott (Mark Ruffalo) envers la firme DuPont, un géant mondial de l’industrie chimique.
Alors que le cabinet d’avocat pour lequel Rob travaille s’apprête à s’associer à DuPont et ainsi assurer sa couverture juridique, le nouvel associé est contacté par un fermier de Parkersburg dans la Virginie-Occidentale. Son bétail est rongé par la maladie, son troupeau se trouve décimé depuis que DuPont a creusé une fosse à même le sol pour y déverser des produits toxiques, notamment le PFAO utilisé pour produire le téflon.
Todd Haynes avait impressionné par la virtuosité de sa réalisation à la sortie de Carol, il retrouve dans Dark Waters le classicisme de Douglas Sirk, sa principale inspiration, Todd Haynes ayant même réalisé un remake d’All That Heaven Allows, un des films les plus connus du maître du mélodrame américain. En axant sa mise en scène sur la simplicité Haynes évite les écueils de Carol parfois trop maniéré, de plus son académisme sert son propos car Dark Waters est surtout un énième thriller judiciaire comme il y en a eu tant. Edward Lachman, le directeur de la photographie de Todd Haynes, signe une copie très intéressante sur le plan de la lumière malgré la légère désaturation de l’image qui ternissent occasionnellement certaines scènes. La figure de David contre Goliath, d’un individu qui lutte au tribunal contre une organisation débordant de moyens est récurrente au cinéma. Si In the Name of the Father est un parangon du drame judiciaire, la référence évidente pour ce film est Erin Brockovitch.
Dans le film de Soderbergh, Erin, une mère deux fois divorcée est tiraillée entre sa famille et son travail en tant qu’associée d’un avocat qui monte un dossier contre PG&E, qui a empoisonné les eaux d’Hinkley engendrant de multiples pathologies comme des cancers. Beaucoup de ressemblance avec Dark Waters : le vecteur du produit toxique est le même, les deux protagonistes constituent une action collective au nom de centaines de plaintifs et même le chef opérateur a travaillé sur les deux projets etc. Dark Water n’est pourtant pas un remake, les héros ne sont pas confrontés aux mêmes dissensions intérieures. Rob Bilott souffre plus d’une crise identitaire ; une partie de sa famille est originaire de la Virginie-Occidentale, un État profondément rural avec une forte proportion blanche en son sein. Cette descendance « redneck » rentre en conflit avec la vie qu’il s’est construite comme avocat riche et rangé de Cincinnati.
La population « redneck » est beaucoup raillée dans la culture populaire anglo-saxonne I, Tonya en est un exemple récent. Sans être particulièrement flatteuse l’image des « rednecks » dans Dark Waters permet d’apprécier les aspérités individuelles et ainsi effacer les clichés entourant la population rurale de la côte est des États-Unis. Quand Rob retourne voir sa grand-mère et Wilbur Tennant, son client à Parkersburg, il constate la pauvreté d’une population en marge la mondialisation qui n’a pas les mêmes réalités que lui. DuPont est le premier employeur de la région finançant de nombreuses infrastructures comme des squares. Le frère de Wilbur Tennant était lui-même un collaborateur de la firme qui a participé sans le savoir à la ruine de son frère en creusant les fosses à déchets liquides.
Dark Waters dépeint des habitants désabusés et incrédules face à la malveillance d’une entreprise qui les méprisent, les désignant comme de simples « récepteurs ». La haine et le ressentiment éprouvés par les campagnards sont même exprimés quelque fois à l’encontre des lanceurs d’alertes.
Il a fallu sept longues années pour analyser les données épidémiologiques récoltées auprès de 70 000 personnes. Durant ces sept années, Rob apparaît comme responsable de l’inertie du système judiciaire étasunien auprès de la population locale, il n’est plus l’associé fringant de la fin des années 90 et subit de nombreuses baisses de salaires par son employeur. Le film se déroule sur des décennies et cette durée est ressentie comme une grande violence par les habitants de Parkensburg qui voient leurs espoirs s’égrainer au fil des années. Le métrage a l’intelligence d’inclure des indices révélant la fuite du temps par la modernisation du parc informatique, l’évolution des télécommunications ou les enfants qui grandissent. Cette accumulation de signes temporels renforce l’impression d’enlisement dans une affaire perdue d’avance contre un adversaire qui a les complaisances involontaires des institutions.
Le dernier film de Todd Haynes contient de belles idées de montage et une performance de Mark Ruffalo de qualité. Il permet de mettre en lumière les dérives de certains groupes industriels qui profitent du fait que certains produits soient régularisés. Toutefois, Dark Waters manque cruellement d’éclat, un panache qui faisait déjà défaut dans Wunderstruck. Décidément Dark Waters tient plus d’Erin Brockovitch que d’In the Name of the Father.