CINÉMAFestival de Cannes

« Kongo » – Plongez en eaux troubles

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Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav nous plongent dans le quotidien de l’apôtre Ménard à travers un reportage immersif sur les croyances et les rituels mystiques au Congo. Portrait d’une aventure humaine et spirituelle de plus de 5 ans qui interroge sur la notion d’irrationalité et de vérité et qui a clos avec brio la sélection de l’ACID lors du dernier festival de Cannes.

En se concentrant ainsi sur la vie d’un ministre du culte appartenant à l’église ngunza, le duo de cinéastes français dévoile un travail collaboratif pensé et réalisé sur le long terme. Ce reportage s’inscrit dans une volonté anthropologique de rendre compte de pratiques méconnues non pas par l’observation à distance mais bien par la prise de parole directe et inchangée du sujet concerné. Une prise de risque qui peut être largement payante tout comme ne pas toucher un public pas encore suffisamment détaché pour considérer certaines scènes saisies sur le vif autres que “naïves” ou pire, trop troublantes pour être prises au sérieux. Outre faire découvrir une culture peu représentée en dehors du territoire congolais, ce documentaire a ainsi pour vocation de “décoloniser” selon les dires des jeunes réalisateurs ce regard occidental biaisé et conditionné. Dans une démarche de la sorte plus bienveillante que l’iconique Jean Rouch, le spectateur retrace peu à peu une part des activités à la charge du gunza : procès, affaires énigmatiques de sorcelleries, désenvoûtements, transes collectives, invocations des esprits dans le cadre de cérémonies religieuses au cœur de la capitale de Brazzaville et de ses alentours.

Bien que cette expérience visuelle constitue un témoignage pérenne d’une réalité des gestes et de leurs symboliques exécutés par un guérisseur renommé, elle reste particulièrement esthétisée, notamment par des visions surréalistes d’une Nature survoltée et cataclysmique qui suggère au mieux cette force abstraite et pourtant si concrète constituant la voix des esprits et des sirènes. Cette mise en scène matérialise implicitement la finesse de cette barrière entre fiction et réel, entre le monde des vivants et le monde des morts, si étroitement en contact selon les croyances locales, à l’image de cette caméra intrusive qui pénètre littéralement et poétiquement ce monde invisible. Un univers chargé de symboles forts dont la sauvegarde est cependant actuellement mise en péril, comme le montre ce reportage. Le public saisit pleinement l’empreinte d’un contexte géo-politique critique sous-jacent par la dénonciation de la main mise des puissances multinationales (ici d’origine chinoises) sur les ressources locales du territoire. Ce fait inquiétant est notamment visible par la création d’une carrière de pierre ou de minerais ayant impliquée la destruction d’un cascade considérée comme un haut-lieu sacré de communication, qui esquisse clairement une exploitation économique intense et impitoyable en regard des aspects sociétaux progressivement dilapidé par un capitalisme de plus en plus avide.

Finalement, ce documentaire anthropologique déroutant se veut novateur et l’est indubitablement en s’écartant ainsi d’un point de vue misérabiliste et primitiviste qui demeure prégnant dans d’autres écrits et sources visuelles portant sur les notions essentialistes que sont “l’ailleurs”, “l’étranger” ou encore “l’étrange”.

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