Copyright Universal Pictures International France
Pour son premier long-métrage, la cinéaste Melina Matsoukas marque les esprits avec un brûlot d’une intensité éclatante, qui a le mérite d’oser aller au bout de son sujet. Attention spoilers.
Queen et Slim c’est au départ une femme noire et un homme noir que Tinder a choisi de réunir, le temps d’un soir, dans un dinner miteux. Deux personnes dont le destin bascule brusquement lorsque ceux-ci font les frais d’un contrôle routier qui aura raison de leur vie passée. Lors de celui-ci Slim tue par légitime défense un policier blanc, une action incontrôlable qui les plongera tout deux au coeur d’une chasse à l’homme dont ils feront ensuite l’objet tout au long du film.
Queen and Slim s’inscrit pleinement comme étant un film de cinéma indépendant, un road movie haletant qui nous montre un panorama étendu de l’Amérique, une Amérique profonde, celle de la route, des mobil-homes, et des pavillons alignés sobrement. Une simplicité qui n’est pas sans nous évoquer par moment, notamment de par l’apparition de l’actrice Chloë Sevigny, Gummo d’Harmony Korine, ou dans un autre registre The Florida Project de Sean Baker. C’est une image profondément esthétique et travaillée, mais pleinement sincère que nous donne à voir ce long-métrage.
L’image a bien souvent des allures de clip parfaitement orchestré (et pour cause Melina Matsoukas est essentiellement reconnue pour ses clips), comme lors de l’unique scène de sexe qui intervient dans la seconde moitié du film. Celle-ci insistant sur un contraste fort entre la légèreté et l’intimité du moment vécu par les deux personnages, et la manifestation de soutien où les violences policières font rage. L’esthétique visuelle présente un caractère qui se prête à une autre époque, comme pour nous rappeler que paradoxalement, le sujet des discriminations raciales, est encore bien présent et ce encore aujourd’hui, ce qui surprend le spectateur.
Bonnie and Clyde
« Et voici nos Bonnie and Clyde noirs ! » c’est une réplique clé du film, et pourtant la réalité est plus subtile, plus travaillée, car nos deux protagonistes sont malgré eux dans cette position singulière. La coordination de la mise en scène et du jeu des acteurs confèrent habilement cette idée qu’ils sont profondément dépassés par ce qui leur arrive, dépassé par le phénomène politique sous-jacent, et ce malgré l’emploi d’avocate de Queen. Leur situation est telle, que tout cela n’a plus d’importance pour eux, et qu’ils peinent durablement à prendre en considération ce qu’ils incarnent.
L’actrice principale, Jodie Turner-Smith (son premier rôle), campe un personnage doté d’une prestance géniale, qui tend tantôt à une fierté implacable et intimidante, et tantôt vers une fragilité sincère et bouleversante. Le personnage de Daniel Kaluuya (Get Out, Skins, Black Panther…) est également très intéressant car dans ce road movie, il fait également face à ses contradictions personnelles, lui permettant finalement de se déterminer progressivement tout au long du film. Tous deux sont portés par cette question de l’immortalité, celle d’une puissance revendicatrice, et libératrice, cette idée de marquer l’histoire par l’image et par le geste. C’est une relation à laquelle l’on s’attache aisément, celle-ci étant pleine de bons sentiments respectifs.
Malgré les enjeux politiques et sociaux forts, le film parvient toujours à nous ramener vers l’enjeu majeur de ses deux protagonistes à savoir, fuir la solitude et fuir l’oubli d’une existence somme toute classique, pour atteindre l’idée du duo amoureux qu’ils constituent. Difficile de s’attendre au premier abord à un film aussi drôle, fait de l’ironie poétique du quotidien, de punchlines mesurées et d’une légèreté nécessaire. Et par contraste il est tout à fait admirable de pousser le film aussi loin, là où on aurait surement souhaité une happy ending, la réalité nous saute au visage, et celle-ci est froide, injuste, cupide. Elle est cette mort déchirante et lente, après une longue cavale, elle est ce deuil prolongé qui érige Queen et Slim en héros. Cet ensemble remarquable nous fait finalement oublier le caractère peu probable d’une fuite si longue à travers les États-Unis, et la dimension (trop ?) fictionnelle du récit et de son scénario.
Queen and Slim se veut ainsi être un écho saisissant aux multiples affaires qui ont fait bon nombres de victimes noires aux États-Unis, comme celle qui concerne ce jeune homme mort le 3 août 2019, criblé de balles, suite à un contrôle de police. C’est un film sur le racisme mais surtout un film qui inscrit l’ensemble de ces affaires réelles dans le temps long, valorisant de fait un sujet bien trop actuel que ce soit ici ou ailleurs. Celui de l’abus de pouvoir des forces de l’ordre qui ont « déconné » , qui sont « allés trop loin », et ont commis l’irréparable.
Difficile au milieu de ces informations de faire l’impasse sur un pan essentiel de l’esthétique résolument maitrisée de ce film, la musique. Queen and Slim est porté par une bande originale des plus brillantes et adroites, composée et dirigée par Devonté Hynes (aka Blood Orange), choisi par la réalisatrice sur les conseils de Solange Knowles. Si l’on veut ici jouer le jeu des comparaisons, un film comme Queen and Slim réussit sur ce point là où Waves échoue. Car malgré le fait que ce film soit une grosse production américaine, l’esthétique, la mise en scène, ou les choix musicaux sont malgré cela relativement humbles, basé sur des instrumentales et un RnB impeccable qui fait intervenir de grands noms de la musique actuelle. C’est une soundtrack adaptée et mesurée qui sait prendre une place de choix sans prendre le dessus sur l’image et sur le scénario. Celle-ci se retrouve comme un fleuve logique, qui s’imbrique aisément avec l’image, et ne sonne pas comme une succession assourdissante de références bien trouvées.
Queen and Slim – Melina Matsoukas / Sortie le 12 février 2020