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Chaque mois, la rédaction de Maze revient sur un classique du cinéma. Le mois dernier, nous rendions hommage au chef-d’œuvre d’Andreï Tarkovski, Le Miroir. Ce mois-ci, place à la nature et aux grands espaces avec Into the Wild, le road movie de Sean Penn sorti en 2007.
Il aura fallu près de dix ans à Sean Penn pour mettre en images l’histoire vraie de Christopher McCandless. Into the Wild, adaptation du roman Voyage au bout de la solitude écrit par Jon Krakauer (1996), relate l’histoire d’un jeune homme de 22 ans parti seul à l’aventure en 1990. Ce voyage, initiatique à plus d’un titre, entraîne Christopher (interprété par Emile Hirsch) sur les routes des États-Unis, au Mexique mais aussi et surtout en Alaska, destination rêvée et fantasmée par le protagoniste. Sans prévenir ses proches et en se délestant de tous ses biens, Christopher s’octroie le nom d’Alexander Supertramp et part à la recherche d’un certain idéal en rejetant la société matérialiste dans laquelle il a grandi. Il tourne alors le dos à une vie confortable noircie selon lui par la pression et l’hypocrisie familiale. Animé par une soif de liberté, Christopher est un idéaliste en quête d’authenticité. Et c’est auprès de la nature et notamment des grandes étendues de l’Alaska qu’il entend la trouver.
Cinéma de voyage
Poétique et philosophique, le long-métrage de Sean Penn s’attache à adapter aussi fidèlement que possible le roman de Krakauer. Le film flirte ainsi avec la littérature de voyage et jongle avec les références littéraires. Bien que seul à entreprendre ce périple, Christopher est en fait accompagné des écrits de grands auteurs à l’image de Léon Tolstoï, Jack London ou encore David Henry Thoreau. Toutes ces lectures mettent en scène des personnages qui ont fait le choix de vivre à l’écart de la société et en communion avec la nature. Chris adopte ainsi les idéaux véhiculés par les héros de ses romans favoris et vit de lecture et d’écriture. Les dialogues, souvent semblables à des maximes, n’hésitent d’ailleurs pas à piocher dans la prose des auteurs lus par le jeune homme. Plusieurs citations viennent ainsi habiller le récit tout comme la bande originale, fruit de la collaboration entre Eddie Vedder et Michael Brook, qui participe d’autant plus à créer une esthétique singulière et empreinte de poésie.
La structure narrative même du film fait écho à la littérature puisque celui-ci est composé de quatre chapitres bien distincts : l’enfance, l’adolescence, la maturité et la sagesse. Pour autant, la chronologie est désordonnée car interrompue par de nombreux flashback. Ces derniers sont concentrés sur la vie de Chris avant son départ mais aussi sur ses deux années passées sur la route, en direction de l’Alaska. La cohérence du récit est assurée par la sœur de Chris, Carine (Jenna Malone), dont la voix off permet de créer du lien entre les différentes séquences et temporalités. Ces bouleversements chronologiques mettent notamment en lumière l’opposition entre la ville et la nature, thématique présente tout au long du film.
Nature libératrice
Aussi agréable à écouter qu’à regarder, Into the Wild fait la part belle à la nature. Pensée comme un personnage à part entière du film, celle-ci apparaît au travers d’une succession de plans de paysages apparemment purs, dénués de toute dégradation humaine. Sean Penn parvient, grâce à des cadrages panoramiques, à présenter une nature idyllique, sauvage, et gracieuse. La grandeur, l’immensité des paysages presque infinie, la représentation d’animaux libres de toutes cordes ou clôtures, amènent aussi bien Chris que le spectateur à la contemplation. La beauté des paysages se présente comme une plongée dans un espace naturel « trop délectable pour y renoncer », comme l’écrit Chris dans son carnet de bord.
De nombreuses scènes permettent, par des effets de ralentissement, d’illustrer l’admiration que Chris éprouve face à la beauté éclatante des paysages traversés. À la manière d’un documentaire, la caméra de Sean Penn propose une représentation de la nature dans tous ses extrêmes, des déserts mexicains aux paysages enneigés de l’Alaska. Cette immensité est cependant contrastée par l’attention donnée aux détails. Les gros plans sur des éléments végétaux se succèdent, eux aussi, et participent à rendre l’expérience du spectateur encore plus immersive.
La pureté dégagée par les paysages semble être ce qui a attiré Chris jusqu’ici. Ce dernier semble se purifier au contact de la nature tant il jouit d’une grande liberté de mouvement. Pour le protagoniste, la notion de liberté est intimement liée à la mobilité que lui offre la nature. La démarche entreprise par le jeune homme amène ainsi le spectateur à se questionner tout au long du film et la beauté des paysages donnés à voir invite d’autant plus à la réflexion. Malgré ses nombreuses rencontres sur la route, Chris ne renonce pas à l’aventure dans laquelle il s’est lancé et continue à avancer afin d’atteindre de nouveaux espaces aussi sauvages que ceux visités précédemment.
Man VS. Wild
Chris entreprend son périple comme un voyage solitaire puisqu’il ne prévient aucun de ses proches de son départ. Les rencontres faites sur le chemin lui servent de points d’attaches mais il reste l’unique protagoniste de ce road trip. La nature apparaît alors comme sa seule véritable interlocutrice, rendant la confrontation avec cette dernière inévitable. Chris doit, à plusieurs reprises, faire face aux éléments naturels notamment lorsque, après deux années loin de chez lui, il souhaite finalement quitter l’Alaska. Seulement, la crue de la rivière autrefois franchie avec facilité l’empêche désormais de repartir. Les denrées alimentaires se font également de plus en plus rares, compliquant ainsi le quotidien de Christopher.
À la manière de deux personnages, les interactions entre Chris et la nature prennent donc parfois la forme de confrontations. C’est le cas lors de la terrible scène avec l’élan, animal majestueux que Chris décide d’abattre pour sa viande. L’aventurier en herbe semble alors atteint par une forme de bestialité puisqu’il n’hésite pas à découper les chairs de l’animal et à le dépecer. Dans cette scène très difficile, il semble réaliser que la vie sauvage telle qu’il l’imaginait et qu’il l’idéalisait ne répond pas toujours aux besoins de l’Homme, contrairement à la vie civilisée qu’il a tant cherché à fuir. Après sa rencontre avec l’élan, Chris est confronté à lui-même et à ce qu’il a fait. Il écrit dans son journal : « Je n’aurais jamais dû tuer cet élan. C’est une des plus grandes tragédies de ma vie. »
Les dernières minutes du film témoignent de la détresse de Chris, affaibli et affamé qui, dans un dernier recours et face au manque de nourriture, décide de se nourrir de plantes. Démarche qui lui sera fatale puisqu’il s’empoisonnera accidentellement. Cette scène de cueillette de plante montre bien les limites de l’idéalisation de la nature que se faisait Chris. Lorsqu’il comprend qu’il a mangé une plante non comestible, le jeune homme écrit dans son carnet qu’il a été « pris au piège de la nature ». Dans ses derniers instants, lorsque la mort le guette, Chris réalise que lui qui refusait de subir les règles de la société est en fait soumis aux lois insoupçonnées de la nature dont il ne perçoit la force que tardivement. Il prend alors conscience que le bonheur peut se trouver dans l’amour de l’autre et écrit sur la page d’un livre : « Le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé. »
Juste avant de mourir, Chris, allongé dans son Magic Bus, rêve le sourire aux lèvres de retrouvailles avec ses parents. La rapidité des changements de plans donnent à voir le vertige de la mort dans lequel il est plongé, entre rêveries et contemplation des arbres qu’il aperçoit depuis son lit de mort. Chris s’éteint en regardant la nature, l’autre personnage principal du film.
En faisant la part belle à l’Amérique des grands espaces et à la quête effrénée de liberté de son protagoniste, Into the Wild se présente comme un road movie traditionnel. Là où le film de Sean Penn s’émancipe quelque peu des carcans du genre c’est dans l’utilisation et le traitement faits de l’émotion. Into the Wild se présente tout d’abord comme une ode à la vie et à la nature. Un film positif mené par un personnage lui aussi profondément positif et qui offre aux spectateurs un certain espace de réflexion. Néanmoins, la fin du film bascule dans une dimension dramatique incroyable qui atteint son paroxysme lorsque Chris perd la vie. Comme un ultime coup de poing, le film s’achève sur la projection d’une photo du véritable Christopher McCandless, posant fièrement devant le Magic Bus. Sean Penn signe ainsi un vibrant hommage à cet aventurier, empli de respect et d’humanisme.